Je ne veux pas éreinter
Zombis parce qu'il ne s'agit pas d'un livre proprement inintéressant. Mais enfin, il cumule tellement de défauts que je pourrais difficilement le qualifier de "bon livre".
Certes, le sujet se pose là : il est déjà bien difficile d'aborder le thème du
vaudou, religion qui pratique l'initiation, et donc le secret. Mais traiter des
zombis haïtiens (c'est-à-dire des "véritables"
zombis, et non des multiples morts-vivants qui ont proliféré depuis les films de Romero et qu'on affuble souvent du nom de zombies), c'est encore une autre paire de manches. Que sont exactement les
zombis ? Quelles réalités recouvre le mythe ?
Philippe Charlier a tenté de répondre à ces questions en choisissant de nous faire partager un voyage qu'il conçoit comme initiatique. On le suit donc dans son périple en Haïti, où l'on rencontre avec lui scientifiques, sociologues, avocats, houngans et mambos (que l'on peut qualifier, en gros, de sorciers et sorcières
vaudou "bénéfiques"). On se promène avec lui dans les cimetières, on se rend avec lui à la bibliothèque un jour de pluie pour obtenir des renseignements sur la tétrodotoxine, on apprend l'histoire de
zombis célèbres. La démarche est originale mais pas très bien exploitée. Si bien qu'on est un peu perdu dans le flot d'informations, qui, de plus, ne nous permettent pas de cerner le sujet.
Le tout est donc presque constamment fouillis. Pas de chapitre introductif sur l'histoire d'Haïti : c'est embêtant, les
zombis étant un mythe typiquement haïtien, qui trouve son origine dans la traite des esclaves et qui se nourrit de la culture
vaudou et haïtienne. Pas de carte d'Haïti qui nous permettrait de suivre plus facilement
le voyage de l'auteur, pas de lexique en fin d'ouvrage récapitulant les termes
vaudou, que
Philippe Charlier nous balance un peu tous à la fois en un chapitre. Et surtout, on n'y voit pas tellement plus clair sur les
zombis. Certes, il nous est expliqué que le terme de zombi recouvre bien des réalités différentes : parler de zombi, ça peut être parler d'une personne qu'on a tenté d'empoisonner pour lui voler son identité, pour s'en débarrasser, pour l'exploiter, mais ça peut être aussi parler d'une personne qui souffre de troubles psychiatriques. Utiliser le terme "zombifié", c'est aussi s'exprimer à propos d'une situation sociale : esclavagisme, colonialisme, christianisation (et j'imagine que la dictature a sa place dans le lot). Au final, on ne sait pas très bien comment faire la part des choses, différencier le mythe du fait social ou médical. Difficile de savoir ce qui relève de la poudre aux yeux pour touristes ou de pratiques superstitieuses plus ou moins liées au
vaudou, d'une part, et des rites religieux, d'autre part. Les propos des houngans et mambos restent suffisamment flous pour qu'on n'apprenne pas grand-chose. Les chapitres les plus clairs et les plus intéressants sont donc ceux concernant la médecine (et notamment sur la tétrodoxine) et la justice. Les histoires de
zombis célèbres, évoquées à plusieurs reprises, sont elles-mêmes assez confuses, ce qui ne nous aide pas beaucoup. On se retrouve avec pas mal de répétitions d'un chapitre à l'autre. Quant aux descriptions de péristyles et autres lieux consacrés au
vaudou, elles nous éloignent du sujet sans rien nous apporter.
L'aspect qui me semble le plus intéressant, c'est qu'on sent à quel point la mort est présente quotidiennement et visiblement dans la culture haïtienne, et que les Haïtiens l'apprivoisent plus ou moins via le
vaudou. Mais je reste franchement sur ma faim en ce qui concerne les
zombis, et ce d'autant plus que j'avais déjà lu un article de
Philippe Charlier concernant les rapports entre les
zombis et l'esclavagisme dans un numéro spécial d'Historia sur les revenants, article finalement bien plus intéressant que le présent livre (ce sujet n'est d'ailleurs pas développé ici). J'ai aussi le sentiment qu'étudier le
vaudou pose toujours un énorme problème, que résume très bien
Alain Froment en postface à travers une citation de
Paul Morand : "Je crois savoir à quel point il est difficile d'assister à des cérémonies autres que celles qu'on veut bien montrer aux étrangers. Tout ce qui est magique, par définition, est secret."