Citations sur Nuage et eau - Maman Jeanne (19)
Oui, ce hameau à la frontière, on y naissait, on y mourait. On y vivait peut-être un peu, entre les deux, comme en passant. J’aurais aimé ça, moi, être d’un coin, et y rester, qu’on entende un soir le glas tinter pour moi et qu’on dise : V’là la Jeanne qu’elle s’en va…
C’est dont ça, être femme ? Saigner, souffrir, tourner de l’œil ? Si je restais petite fille ?
Elle sort de l’enfance, meurt à nouveau pour mieux revivre. La voilà demoiselle. Ses kimonos vont changer de couleurs.
Elle a compris que le combat ne s’arrête pas au premier sang.
Puis il gagna le dojo pour le premier zazen où il médita longuement la parole du Bouddha : "Mieux vaudrait que ton sexe pénètre dans la bouche d'un serpent venimeux et terrible plutôt que dans celui d'une femme."
Qu’est-ce dont que nos vies, sinon quelques ricochets à la surface de l’eau ?
Il est moine, elle est nonne. Ils savent tous deux que vie et mort sont les deux faces d’une même réalité, le recto et le verso d’une même feuille. Mais la tristesse de la séparation, pourquoi vouloir l’éviter si elle aussi fait partie du grand jeu ?
Il eut une pensée pour sa mère. Elle ne vivrait pas éternellement. Avait-il bien mesuré, en prenant sa décision, la peine qu'il lui causait ? En poursuivant l'idéal de compassion universelle qu'avait légué le Bouddha, ne lâchait-il pas la proie pour l'ombre ? Quelle valeur avait une vocation qui, pour apaiser la souffrance de millions d'inconnus hypothétiques, faisait d'abord souffrir une mère de chair et d'os ?
Je ne vous aime pas, mon amie, vous valez bien mieux que cela. Je ne désire que vos yeux dans mes yeux. Je ne désire rien de plus, car plus serait moins. De vous, je veux juste être assuré de la présence aux moments où la vie se fait un peu lourde, un peu pierre. Je veux simplement savoir vos épaules sous ce ciel, vos pieds sur cette terre. De vous je ne désire que la pensée en moi, comme en l’huître la perle. De vous je ne veux rien, car vouloir serait perdre.
C’est ainsi que je suis devenue l’épouse de Paul. Paul Carton. Il portait ce nom ridicule. Ni papier ni bois, ni fin ni robuste. Un mou, un mou déguisé en dur. Un distillateur, un bouilleur de cru. Je n’avais pas le choix. Les moustaches avaient frémi. Ils avaient bu la bière brune et l’alcool blanc. Tope-là ! L’affaire était dans le sac.
L’envers et l’endroit
Je le sais se joignent comme
La mort et la vie –
Mais il est triste de voir
Un ami gagner l’envers.
L’automne, elle reste assise seule, longtemps, dans le jardin de la grande maison, pour le momijigari : simplement regarder le rougissement des feuilles d’érable, de ginkgo, de platane. Attendre que l’une se détache dans le suspens du temps, voltige jusqu’à la surface de l’étang où la carpe Koï, parfois, vient faire des bulles, froisse un peu l’eau qui bientôt se déride, retourne à sa lisse tiédeur.