Une romance

Ça commence mal pour Jocko, scénariste richissime de la télévision américaine : une balle dans la tête et le voilà pour plusieurs mois dans le coma, avec en prime une cicatrice en forme de spirale (« queue de cochon » dit le texte) sur le front. Jocko est revenu d'entre les morts. Il quitte Hollywood pour Manhattan, où son père l'étouffe de reproches, où il traîne dans une boîte de nuit, La Trompe de l'Éléphant, pour se retrouver avec une étrange jeune femme qui se fait appeler Inertie, rencontrée un soir qu'elle essayait de sortir d'un tas de neige qui lui était tombé dessus. Jocko va alors la suivre dans ses dangereuses pérégrinations et vivre une romance étrange et décousue, dans une atmosphère hallucinée. Un voyage passionné à la poursuite du corps insaisissable de Katinka Baer, doublé d'un voyage géographique qui le conduit de New York à Cologne.
Le récit saccadé de Charyn trouve son exact écho dans les dessins de Loustal, le second appuyant le premier. L'association des traits et des mots sonne juste, ni trop, ni pas assez. Les deux auteurs semblent jouer une partition, avec des rythmes tantôt rapides, tantôt lents. Une romance est une musique de papier qu'à force de lire et de voir, on finit par entendre, entre le jazz des boîtes sombres et les musiques de Bernard Hermann. Par ailleurs, les traits de Loustal (un amateur incontestable de jazz auquel on doit le remarquable Barney et la note bleue), taillés dans la page, sont là pour l'attester, Une romance est aussi un récit visuel, rythmé comme La mort aux trousses d'Hitchcock ou le faucon maltais de Huston.
Pourtant, malgré les apparences, on ne peut pas proprement parler de polar, mais plutôt du roman d'un homme revenu à la vie et dont il connaît le prix pour avoir failli la perdre ; un homme à qui, jusqu'à son agression par balle, tout souriait, et dont le monde feutré qu'il s'était construit se fissure.
Jocko est un héro en quête d'espoir, et cet espoir il le rencontre dans une femme que tout invite au contraire, en un lieu à la fois repoussant et captivant, autour duquel l'intrigue gravite : La Trompe de l'Éléphant, boîte de nuit où se trament des affaires louches. Il cherche dans les bras d'Inertie/Katinka cette part d'imprévu qui lui fait défaut, lui qui contrôle tout avec sa fortune et sa renommée, et qui sature à force de s'entendre appeler du nom de sa série sur le banditisme, Monsieur Lamplighter, comme s'il n'existait plus qu'à travers le prisme de celle-ci, qu'il voudrait d'ailleurs voir disparaître. Et le voilà, comme une mise en abîme, plongé à son tour dans la réalité de sa fiction pour ainsi dire, guidé par son seul amour pour une inconnue qui ne s'offre à lui que fugitivement parce qu'elle-même ne s'appartient pas.
Comme l'écrit Myriam Anissimov en postface, Une romance est un « tendre conte » où Jocko ferait figure de prince charmant courant au secours de sa bien-aimée meurtrie.

(publié à l'origine dans la revue Jazzosphère)