S'inspirant d'une histoire vraie, l'Américaine
Barbara Chase-Riboud retrace la vie de Saartjie - Sarah - Baartman, de son véritable prénom Ssehoura. Née chez les Khoekhoe, des pasteurs nomades de l'Afrique du Sud, en 1789, la fillette voit ses parents et son peuple massacré par les colonisateurs hollandais puis anglais. Il est en effet de "bon goût" d'avoir une tête empaillée de ces autochtones, qu'ils appelleront par mépris Hottentots (bègue en hollandais), à côté des autres trophées de chasse...
Tour à tour vendue comme esclave, puis exploitée comme bonne d'enfants, Sarah est emportée vers l'Angleterre pour être exhibée en tant que
Vénus hottentote, aux formes callypiges, marque de beauté des femmes khoekhoe et devenues sources de fascination mêlée de moqueries pour les curieux londoniens. Réduite à l'état de caricature dans une cage, Sarah endure les flots de haine, de mépris, de propos graveleux et de sarcasmes du public. Parfois, un éclat de compassion dans l'oeil d'un quidam, qui l'atteint d'autant plus dans sa dignité mortifiée.
Montrée aux côtés d'autres "monstres", très en vogue alors, il apparaît que les véritables monstres sont devant la cage, ou à ses côtés pour exploiter la jeune femme.
Barbara Chase-Riboud construit son récit en ouvrant en prologue sur l'épilogue de l'existence de Sarah. Celle-ci meurt de tuberculose à Paris le 1er janvier 1816, à seulement 27 ans, le corps et l'esprit minés par les épreuves, la morphine, l'alcool - pour tenir pendant ses expositions et oublier les humiliations -, la prostitution et la maladie.
Comme si ça ne suffisait pas, son cadavre est vendu au célèbre naturaliste Cuvier pour dissection et appuyer sa thèse du Hottentot en tant que chaînon manquant entre "l'orang-otan et le nègre", dans la chaîne de la création des espèces. L'auteure nous fait assister à une conférence démonstration entre tenants de la phrénologie, naturalistes, anatomistes et autres scientifiques de l'époque. Les arguments volent autour du cas Sarah, les spécialités se contrecarrent et s'affrontent. Pourtant tous se rejoignent sur la suprématie physique, morale et intellectuelle de l'homme blanc occidental. C'était dans les années 1810 et il est navrant de constater qu'en dépit des progrès éthiques et scientifiques, deux cents ans après, encore trop de personnes restent ancrés sur cette aberrations pour prôner leur racisme.
L'histoire de Sarah est, on s'en doute, très douloureuse à lire. Même si l'héroïne fait preuve d'une dignité qui la grandit face aux hordes moqueuses et viles qui se pressent au spectacle. La lecture de cette biographie romancée m'a fait penser à une précédente lecture : Cannibales de Didier Daenninckx. Ainsi qu'au très beau et très dur film Elephant Man avec
John Huston dans le rôle de John Merrick.
J'ai trouvé ce volume par hasard dans une Boîte à Livres. J'avais déjà lu
La Grande Sultane de
Barbara Chase-Riboud, quand j'étais adolescente. Je suis contente d'avoir pu lire sa
Vénus hottentote, même si les sentiments qui m'ont agitée au fil des pages ont oscillé entre compassion, admiration pour Sarah et indignation, colère et dégoût pour ces êtres qui osent se revendiquer d'humanité.