Au surplus, c’est aussi là une question de prudence. Si le spiritualisme n’eût point occupé de bonne heure les riches contrées de l’esthétique, d’autres s’y seraient établis et de là lui auraient créé des embarras et suscité des obstacles ; et il lui eût fallu dépenser à conquérir cette province un temps et des forces mieux employés à la cultiver. Il a donc été sage de s’en rendre maître ; il la gardera et il continuera, s’il plaît à Dieu, d’y attirer les esprits qui pour aller au vrai préfèrent cette route ou ne connaissent que celle-là.
Par quel prodige est-il sorti d’une religion comme le polythéisme hellénique, et d’une société comme la société grecque du cinquième siècle avant l’ère chrétienne, une littérature et un art aussi épurés que l’art et la littérature qui, depuis deux mille ans, s’imposent à l’admiration des hommes? Le fait est moins étonnant qu’il ne le parait au premier abord. Le sentiment religieux est quelque chose de si salutaire que, en dépit de l'imperfection de tels ou tels mythes , il élève le coeur de l’homme et devient un élément de moralité.
Nous ne prétendons point cependant que l’esthétique ait la miraculeuse vertu de convertir la foule au spiritualisme. Aucune science philosophique n’a jamais eu, n’aura jamais sur la foule d’action directe et immédiate. Celle qui voudrait se mettre, comme on dit, à la portée de tout le monde, altérerait son caractère, ou plutôt le perdrait infailliblement.