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Critique de Simonbothorel


Ce roman court et ces deux nouvelles De Chateaubriand apparaissent ensemble et pour la première fois dans le tome XVI des Oeuvres complètes de l'auteur français. Avant cela, Atala et René étaient réunis dans le célèbre Génie du Christianisme, ce qui fait sens car, les deux récits entretiennent un lien direct entre les personnages et surtout entre les thématiques. Mais, le Dernier Abencerage colle merveilleusement bien avec les deux autres histoires car les trois oeuvres parlent de la même chose : celui de l'exil. Un exil qui est un chant élégiaque et un appel au voyage, à l'exotisme et au fait de s'éloigner pour se plonger dans notre soi intérieur. Chateaubriand est souvent considéré comme un écrivain du préromantisme et étant surtout à l'aune du romantisme. Chez lui, son romantisme est très religieux car la religion est un moyen de conférer une intensité aux émotions, elle créait une profondeur psychologie poétique et surtout passionnelle. Les trois hommes au centre des récits sont soustraits à une forme de péché et par ce biais, l'écrivain s'adonne à démontrer les nuances, les complexités et les contradictions de l'esprit humain. La religion n'est pas là pour être moralisatrice, mais pour élever l'âme et s'enivrer de tout ce qui entoure l'Homme. C'est ainsi que l'écriture De Chateaubriand prend une dimension lyrique à tous les niveaux, il donne à ses images une splendeur mystique, un onirisme étrange et une picturalité sensorielle. Avec ces trois oeuvres, l'auteur parle du moi intime, du coeur et du lien omnipotent entre la Grâce et la Nature, des choses divines qui dépassent l'humain, du débordement imaginatif, du Paradis perdu, des espaces illimités du désir et à chaque fois d'une histoire sur un amour impossible.

Pour commencer ce livre magnifique, Atala prend pour cadre celui du Nouveau Monde et il est le fragment de l'épopée des Natchez, un livre-fleuve que le romancier abandonnera. Il parle d'un certain Chactas, un vieux amérindien racontant son histoire à un Européen adopté par les siens, un certain René et qui à son tour racontera son passé dans la nouvelle du même nom que le personnage. le vieil homme était un jeune garçon s'étant laissé charmer par Atala, une amérindienne chrétienne vouée par sa mère à la virginité et qui tombe amoureuse de Chactas, après que ce dernier se soit fait prisonnier par sa tribu. En le libérant de ses chaînes, ils vivent une idylle sans espoir car pris par des remords et par un désespoir de culpabilité, elle s'empoisonne et meurt auprès de son amant et du père Aubry, un vieux missionnaire ayant recueilli les jeunes amoureux dans leur exil. La première chose à noter, c'est la magnificence des paysages américains dont Chateaubriand capture toute la colorisation, sa faune et sa flore, la grandeur de ses espaces, la variété des nuances visuelles, ses odeurs, ses lumières, ses sons et ses sensibilités plastiques. Inspiré par ses propres voyages, l'auteur français n'a pas hésité à reconstituer à sa manière la géographie et les distances entre les plusieurs lieux qu'il décrit. Cette façon de ne pas respecter la spatialisation permet d'entreprendre sans fioriture une épopée rousseauiste sur les Sauvages. Chateaubriand ne fait pas de ses protagonistes des sauvages primitifs, car ce sont avant tout des rêveurs d'une profonde tragédie. En effet, Atala prend la forme d'une tragédie grecque dans sa pure origine, tout en évoquant un style proche du néoclassicisme. C'est un récit à la fois anthropologique mais surtout dramatique mais sans l'aspect romanesque (ni d'intrigue clair, ni de rebondissement, ni de psychologie classique, etc.). le livre est un rêve au rythme sensoriel, une longue poésie antique, une variation sonore intériorisée et faisant un lien métaphysique avec les sentiments émotionnels. Ces deux étrangers lointains sont tiraillés passionnellement par leur origine, la religion (une chrétienne sauvageonne qui tombe amoureuse d'un amérindien païen) et par leur amour intensément court et passionnellement douloureux. Chateaubriand se confronte aux moeurs indiennes et ces dernières se confrontent à la civilisation occidentale. La rencontre fortuite entre le couple et le père Aubry donne à produire un dialogue électrique entre deux civilisations, l'Ancien et le Nouveau Monde. Par conséquent, le christianisme se mêle avec harmonie dans ce memorium des Anciens, car toute la vibrante liberté et le doux battement de la narration fait renaître à plusieurs niveaux les souvenirs d'une ancienne civilisation qui se fait remplacer. Effectivement, sous les discours somptueux du père Aubry, Chactas tombe d'une infinie affection pour la religion chrétienne et par son échange avec René, nous comprenons qu'il a toujours gardé cette foi. Pour l'auteur, Atala est aussi une façon d'exposer l'importance du peuple agricole sur le peuple chasseur, l'idée que la succession des états primitifs de la civilisation était d'abord chasseuse puis laboureuse, l'une des théories de Rousseau. Chateaubriand a voulu pointer « les avantages de la vie sociale sur la vie sauvage » et pour mieux le comprendre, faire « le tableau du peuple chasseur et du peuple laboureur ». Il garde un profond respect pour les moeurs traditionnelles (les rites, par exemple) des sauvages, tout en ne négligeant pas l'évolution positive que le christianisme leur a apportée. Cet amour pour l'Évangile est également une manière d'affronter les insupportables passions et la peur de mourir. L'oeuvre contient une obsession funeste de la mort et convoque régulièrement des images à propos de celle-ci. Enfin, l'impression donnée par Atala est celui d'une histoire racontée dans le temps et narré de génération en génération, comme Homère avec l'Iliade et l'Odyssée. Chateaubriand enchevêtre les histoires dans les histoires (Chateaubriand s'inspirant des récits qu'il a entendu en voyageant, Chactas qui conte son histoire à René, l'épilogue faisant l'état des lieux de ce qu'ils sont devenus…), comme si ce morceau était celui d'un immense récit dont l'auteur a déterré le fragment le plus intime.

L'intime est au coeur même de René, intime d'abord par sa dimension presque autobiographique puis intime dans le « Moi » intérieur du protagoniste. René est donc l'Odyssée d'un civilisé en pleine crise existentielle, c'est un rêveur mélancolique traversant le monde à la recherche d'un horizon perdu. Chateaubriand envoûte encore plus son lecteur que dans Atala, les sensations sont plus intenses, transcendantes et tous les paysages, monuments qu'il rencontre font écho de manière extatique à l'état du personnage. L'auteur parle clairement de lui, de sa vie bretonne et de son envie de partir ailleurs (le fait de vouloir absolument quitter le château paternel et en même temps, il a une profonde nostalgie pour le pays breton) car ses vertiges du coeur sont le produit d'une solitude élégiaque et d'une souffrance perpétré par sa soeur. L'auteur reste ambigu sur cette relation presque incestueuse, il est comme fou amoureux et en même temps très pudique avec elle. Sa fièvre et ses exaltations donnent une imagination débordante qui a besoin de l'inconnu et du dépaysement. Les lieux qu'ils traversent sont nombreux (Etna, Écosse, Calédonie, Rome, Grèce, France…) mais souvent désignés de façon rapide ou flou, comme pour mieux accentuer cette envie pressante de ne pas rester en place parce-que, sa crise serait pire. Partout, il recherche la beauté, la magie et un remède contre ses maux car, semblablement à Chactas, l'amour impossible lui donne toute cette névrose effervescente. Comme son ami indien, c'est la religion qui l'aide à guérir de ses blessures, même si la fin expose un chant d'une magnifique tristesse. Prenant le bateau vers l'Amérique (l'exil ultime pour le personnage), il voit pour la dernière fois sa soeur dans le couvent auquel elle a prêté serment. Même dans la plus lointaine des contrées, René a besoin d'Amélie, car sa souffrance reste la même quand il raconte son histoire à Chactas. Cette nouvelle est donc un regard jeté sur le passé, un entrelacement des souvenirs disjoints de l'homme et de ses plus profonds regrets. Encore une fois, l'environnement joue un rôle primordial dans la composition littéraire de l'écrivain. La Nature prend un sens métaphorique très fort (par exemple, René voit dans le trou du volcan de l'Etna, les abysses profonds de ses angoisses et de son désespoir inexplicable ou la mer qui représente l'âme même du personnage.) Tout le style d'une grande puissance sensorielle touche admirablement notre coeur devenant évasif face à ce flot vertigineux d'images et de mots d'une grande force spirituelle, symbolique et esthétique.

Enfin, Les Aventures du dernier Abencerage, parle d'Aben-Hamet, un Maure dont sa famille noble dû s'exiler, car ils ont perdu le contrôle de Grenade contre les Espagnols en 1492. Un jour, il décide de revenir sur les terres dont ses aïeux ont régné pour se laisser envoûter par la beauté de cette cité. Une beauté qu'il va retrouver chez Bianca, une Andalouse dont il tombe follement amoureux. Elle est la fille du roi de Grenade et la descendante du Cid (donc la soeur de Don Carlos). Elle tombe également amoureuse sauf que chacun de leur côté n'accepte pas de se marier ensemble, tant que l'un ne s'est pas converti dans la religion de l'autre. D'un côté un musulman, de l'autre une chrétienne, c'est donc un choix cornélien que Chateaubriand impose à ses brillants personnages. Ils sont tiraillés par leur religion mais aussi pas le regard que leur famille va porter sur eux. En conflit à cause du passé ennemi de leur ancêtre et de leur honneur, cette histoire d'amour impossible est tout aussi déchirante que les deux précédentes. Aben-Hamet se sacrifie en s'éloignant de sa famille, il est torturé dans son chagrin et dans les regrets qu'il porte à sa patrie dont il témoigne tout son amour. Bianca ne sait que choisir car sous la pression de son frère qui veut la faire épouser auprès de Lautrec (un prisonnier chrétien), elle n'est plus libre de ses choix. Chateaubriand met en exergue cet obstacle insurmontable et interroge les notions d'honneur, de fidélité, de sacrifice et de moeurs à respecter. Ce sont tous des personnages à la fois généreux, héroïques et galants, l'auteur nous transporte dans cet exotisme sentimental et passionnel. Comme à l'accoutumée, les regards portés sur la grandeur des paysages et plus spécifiquement Grenade qui fut sans cesse remplacer par les Maures puis les Espagnols, sont splendides parce qu'ils font sens dans les émotions du protagoniste principal. En effet, l'Abencérage est le produit de ce choc des civilisations, il aime sa patrie et en même regrette quelque chose qu'il n'a pas connu, c'est-à-dire Grenade sous l'occupation musulmane. Il a des visions très romantiques, il poursuit une chimère dont le temps et L Histoire ont tout détruits sur leur passage. Bianca devient la métaphore d'une entité inaccessible et ceux jusqu'à la fin lorsque Aben-Hamet décide de retourner chez lui sans avoir pu goûter à l'extase ultime de son amour. La vision finale est à la fois funèbre et accentue ce flux des histoires qui traversent l'espace-temps, car elle présente la tombe, perdue en plein désert, du Maure dont sa destinée ne fut pas connue. En même temps, la pierre sépulcrale a un léger enfoncement qui permet à des oiseaux de se désaltérer quand il y a de l'eau à l'intérieur. D'une certaine manière, sa quête amoureuse reste encore palpable et brûlante comme le soleil plombant du désert et surtout l'amour fou qui ne put jamais être conclu à cause de leur dignité familiale.
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