L'insoucieux Tristram Shandy remarquait qu'il lui fallait plus d'un an et quatre volumes pour raconter une seule journée de sa vie et il se réjouissait qu'à ce rythme sa tâche ne finirait jamais. Ce n'est pas le cas De Chateaubriand : avec ce quatrième volume ses souvenirs l'ont rattrapé, il n'écrit plus des mémoires mais un journal (ou un carnet de voyage car il passait beaucoup de temps sur les routes d'Europe en ce début des années 1830), et il voit arriver la fin de sa vie avec un grand accablement. Je comprends pourquoi sa relation de la révolution de juillet 1830 à la fin du troisième volume avait l'air d'un article de journal, c'est qu'il en rendait compte peu de temps après les évènements. Et c'est ainsi pour le reste de ses Mémoires qui s'achèvent en 1833.
Dans cette dernière partie, lors de ses nombreuses pérégrinations, il se souvenait de sa jeunesse, avec énormément de mélancolie. le pauvre vieux Chateaubriand - impénitent séducteur, qui adorait se faire regarder à la dérobée par les jeunes femmes rencontrées au hasard - se lamentait beaucoup des quelques cheveux blancs qui lui restaient, car il était aussi un impénitent plaintif. La fameuse phrase « La vieillesse est un naufrage », qui lui est parfois attribuée mais qui m'a échappée lors de ma lecture, pourrait tout à fait avoir été écrite par lui, c'est son genre, mais pas dans le sens acerbe dont on use habituellement, plutôt sur le mode plaintif.
Il se plaint, il se plaint de la fin de l'ancien monde, de la monarchie. Car le règne de Louis-Philippe depuis la révolution de 1830 lui était odieux, peut-être le pire gouvernement depuis 1790, après celui de la Convention. Au fond il était plus légitimiste que royaliste. Résumons la situation de la monarchie : L'ancien roi Charles X avait abdiqué en 1830 en faveur de son petit-fils Henri V pas encore majeur ; eux deux et toute la famille royale étaient en exil depuis que Louis-Philippe avait usurpé le pouvoir ; Chateaubriand les soutenait, mais il n'était pourtant pas sur la même ligne politique que la famille royale, il était plus modéré, voulait une constitution démocrate, car il pensait qu'il n'y aurait pas d'avenir en France sans démocratie.
Quoi qu'il en fut, la mère d'Henri V, la duchesse de Berry, femme aventureuse, emprisonnée en France, enceinte et remariée en secret, se retrouvait en porte à faux avec le reste de la famille royale, elle essayait de s'attacher Chateaubriand pour lui servir d'intermédiaire avec eux et envisageait de le faire précepteur d'Henri V. Tout cela échouera. Il faut dire que l'éducation qu'il aurait donnée à Henri V était assez spéciale, il voulait tout simplement en faire le dernier roi de France. Il écrit d'abord : « après Henri V mort sans enfants, je ne reconnaîtrais jamais de monarque en France ! », c'est dit, adieu la monarchie. Mais il va encore plus loin : « Que s'il eût recouvré sa couronne, je ne lui aurais conseillé de la porter que pour la déposer au temps venu. J'eusse voulu voir les Capets disparaître d'une façon digne de leur grandeur. » Enfin sur cette dynastie des Bourbons qu'il chérissait tant : « Qu'elle meure à jamais ou qu'elle ressuscite, elle aura mes derniers serments : le lendemain de sa disparition finale, la république commencera pour moi. » Et voilà.
Voilà toute l'ambiguïté De Chateaubriand, fidèle parmi les fidèles, jusqu'à la mort, mais prenant acte de la fin de la monarchie. Il aimait les Bourbons pour leur tragédie, dans leurs tristes sorts de rois déchus, de reines opprimées, de dauphines et dauphins malheureux. La monarchie lui paraissait parfaitement incarnée par le vieux Charles X exilé, occupant ses soirées à jouer au whist. Il aurait juste préféré qu'elle finisse avec plus de panache.
Dans les dernières pages, il essaye de prévoir l'avenir. Deux siècles plus tard c'est extrêmement intéressant à lire. On ne peut pas dire qu'il se soit beaucoup trompé, ses sujets d'inquiétude sont actuels : le gain matériel mais la perte de morale, la civilisation unifiée et le dépérissement des nations. Il écrit aussi un chapitre sur le communisme et le socialisme naissants, auxquels il ne croit pas du tout. Toutes ces nouvelles hérésies, comme il les appelle, cachent sans l'admettre la seule et éternelle solution : l'Evangile.
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Le plus beau des quatre tomes selon moi. Il semble véritablement être le tome de la vieillesse avec ses souvenirs et ses regrets. Il parle souvent de son passé et il y a de nombreux parallèles avec les tomes précédents (jeunes filles croisées, mais que le vieillard qu'il est devenu ne peut plus approcher, villes dans lesquelles il est allé et revient, destinées et mots d'hommes qu'il a connu, etc.) A nouveau libre après la fin officielle de sa carrière politique, il conserve malgré tout son soutien à la famille déchue des Bourbons et voyage en Europe, notamment en Italie et en Autriche. j'ai retrouvé dans ce tome ses plaintes sur le temps qui passe, son lyrisme qui me plaisait tant et ses remarques et observations sur les villes qu'il visite et sur certains grands auteurs. Certaines parties sont écrites en italien et beaucoup de documents sont insérés, ce qui crée une multiplicité des voix et des tons langagiers.
L'ensemble de l'oeuvre constitue une lecture longue et ambitieuse que je ne regrette pas d'avoir entreprise.
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La lumière manque à cette latitude, et avec la lumière la vie ; tout est éteint, hyémal, blêmissant ; l'hiver semble charger l'été de lui garder le givre jusqu'à son prochain retour. Un petit morceau de la lune qui entreluisait me fit plaisir ; tout n'était pas perdu, puisque je trouvais une figure de connaissance. Elle avait l'air de me dire : "Comment ! Te voilà ? Te souvient-il que je t'ai vu dans d'autres forêts ? Te souviens-tu des tendresses que tu me disais quand tu étais jeune ? Vraiment, tu ne parlais pas trop mal de moi. D'où vient maintenant ton silence ? Où vas-tu seul et si tard ? Tu ne cesses donc de recommencer ta carrière ?"
O lune ! Vous avez raison, mais si je parlais bien de vos charmes, vous savez les services que vous me rendiez ; vous éclairiez mes pas alors que je me promenais avec mon fantôme d'amour, aujourd'hui ma tête est argentée à l'instar de votre visage, et vous vous étonnez de me trouver solitaire ! Et vous me dédaignez ! J'ai pourtant passé des nuits entières enveloppé dans vos voiles ; osez-vous nier nos rendez−vous parmi les gazons et le long de la mer ? Que de fois vous avez regardé mes yeux passionnément attachés sur les vôtres ! Astre ingrat et moqueur, vous me demandez où je vais si tard : il est dur de me reprocher la continuité de mes voyages. Ah ! Si je marche autant que vous, je ne rajeunis pas à votre exemple, vous qui rentrez chaque mois sous le cercle brillant de votre berceau ! Je ne compte pas des lunes nouvelles, mon décompte n'a d'autre terme que ma complète disparition, et, quand je m'éteindrai, je ne rallumerai pas mon flambeau comme vous rallumez le vôtre !
Le temps du désert est revenu ; le christianisme recommence dans la stérilité de la Thébaïde, au milieu d'une idolâtrie redoutable, l'idolâtrie de l'homme envers soi.
Il y a deux conséquences dans l'histoire, l'une immédiate et qui est à l'instant connue, l'autre éloignée et qu'on n'aperçoit pas d'abord. Ces conséquences souvent se contredisent ; les unes viennent de notre courte sagesse, les autres de la sagesse perdurable. L'événement providentiel apparaît après l'événement humain. Dieu se lève derrière les hommes. Niez tant qu'il vous plaira le suprême conseil, ne consentez pas à son action, disputez sur les mots, appelez force des choses ou raison ce que le vulgaire appelle Providence, regardez à la fin d'un fait accompli, et vous verrez qu'il a toujours produit le contraire de ce qu'on en attendait, quand il n'a point été établi d'abord sur la morale et sur la justice.
Si le ciel n'a pas prononcé son dernier arrêt ; si un avenir doit être, un avenir puissant et libre, cet avenir est loin encore, loin au delà de l'horizon visible, on n'y pourra parvenir qu'à l'aide de cette espérance chrétienne dont les ailes croissent à mesure que tout semble la trahir, espérance plus longue que le temps et plus forte que le malheur.
L'orage recommence ; les éclairs s'entortillent aux rochers ; les échos grossissent et prolongent le bruit de la foudre ; les mugissements de la Schächenel et de la Reuss accueillent le barde de l'Armorique. Depuis longtemps je ne m'étais trouvé seul et libre ; rien dans la chambre où je suis enfermé : deux couches pour un voyageur qui veille et qui n'a ni amours à bercer, ni songes à faire. Ces montagnes, cet orage, cette nuit sont des trésors perdus pour moi. Que de vie, cependant, je sens au fond de mon âme ! Jamais, quand le sang le plus ardent coulait de mon cœur dans mes veines, je n'ai parlé le langage des passions avec autant d'énergie que je le pourrais faire en ce moment. Il me semble que je vois sortir des flancs du Saint-Gothard ma sylphide des bois de Combourg. Me viens-tu retrouver, charmant fantôme de ma jeunesse ? as-tu pitié de moi ? Tu le vois, je ne suis changé que de visage ; toujours chimérique, dévoré d'un feu sans cause et sans aliment. Je sors du monde, et j'y entrais quand je te créai dans un moment d'extase et de délire. Voici l'heure où je t'invoquais dans ma tour. Je puis encore ouvrir ma fenêtre pour te laisser entrer. Si tu n'es pas contente des grâces que je t'avais prodiguées, je te ferai cent fois plus séduisante ; ma palette n'est pas épuisée ; j'ai vu plus de beautés et je sais mieux peindre. Viens t'asseoir sur mes genoux, n'aie pas peur de mes cheveux, caresse-les de tes doigts de fée ou d'ambre ; qu'ils rebrunissent sous tes baisers. Cette tête, que ces cheveux qui tombent n'assagissent point, est tout aussi folle qu'elle l'était lorsque je te donnai l'être, fille aînée de mes illusions, doux fruit de mes mystérieuses amours avec ma première solitude ! Viens, nous monterons encore ensemble sur nos nuages ; nous irons avec la foudre sillonner, illuminer, embraser les précipices où je passerai demain. Viens ! emporte-moi comme autrefois, mais ne me rapporte plus.
Je dois demander pardon à mes amis de l'amertume de quelques−unes de mes pensées. Je ne sais rire que des lèvres, j'ai le spleen, tristesse physique, véritable maladie ; quiconque a lu ces Mémoires a vu quel a été mon sort. Je n'étais pas à une nagée du sein de ma mère, que déjà les tourments m'avaient assailli. J'ai erré de naufrage en naufrage ; je sens une malédiction sur ma vie, poids trop pesant pour cette cahute de roseaux. Que ceux que j'aime ne se croient donc pas reniés ; qu'ils m'excusent, qu'ils laissent passer ma fièvre : entre ces accès, mon cœur est tout à eux.
Toujours regretter ce qu'il a perdu, toujours s'égarer dans ses souvenirs, toujours marcher vers la tombe en pleurant et s'isolant : c'est l'homme.
INTRODUCTION :
« Il est assez probable que les pages intitulées Pensées, Réflexions et Maximes seront une révélation pour bien des gens, — même pour ceux qui connaissent très suffisamment leur Chateaubriand [1768-1848]. de cela il y a de fort bonnes raisons. Ces pages sont assez courtes ; elles n'ont jamais été publiées, que je sache, séparément ; elles ont paru, pour la première fois, très tardivement, entre 1826 et 1831, quand l'auteur donna chez le libraire Ladvocat, la première édition de ses Oeuvres complètes. […]
Et cependant, ces Pensées, — dont l'origine exacte nous échappe, — sont pour la plupart fort remarquables ; et il est évident, pour qui sait lire, qu'il n'eût tenu qu'à Chateaubriand d'en grossir considérablement le nombre, et de se faire une juste place, à côté, et probablement au-dessus de son ami Joubert [1754-1824], parmi les Moralistes français.
[…] » (Victor Giraud.)
« Le chant naturel de l'homme est triste, lors même qu'il exprime le bonheur. Notre coeur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs. » (Oeuvres complètes de M. le Vicomte de Chateaubriand, tome XVIII, Paris, Pourrat frères, 1836, p. 119.)
CHAPITRES :
0:00 — 1. ;
0:45 — Introduction ;
1:09 — 7. ;
2:11 — 18. ;
2:46 — 20. ;
3:10 — 27. ;
3:23 — 30. ;
3:38 — 31. ;
3:51 — 36. ;
4:06 — 38. ;
4:25 — 49. ;
5:09 — 62. ;
5:40 — 64. ;
5:55 — 68. ;
6:48 — 69. ;
7:05 — Générique.
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE :
Chateaubriand, Pensées, réflexions et maximes, suivies du Livre XVI des Martyrs, édition nouvelle par Victor Giraud, Paris, Bloud & Cie, 1908, 68 p.
IMAGE D'ILLUSTRATION :
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BANDE SONORE ORIGINALE : Carlos Viola — Immortal Beloved
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LIVRES DU VEILLEUR DES LIVRES :
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VOYAGE À PLOUTOPIE :
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https://youtu.be/YjvEBidvMXM
https://youtu.be/vl0c5Kp1rzM
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