A quatre-vingt douze ans, la mère de
Noëlle Châtelet (et de
Lionel Jospin*) a décidé de mettre fin à ses jours. Elle n'est pas malade, mais "simplement" usée, et la fatigue est pour elle une déchéance honteuse, elle refuse de devenir un poids pour ses enfants. Elle veut en outre partir dignement, elle a milité activement en faveur de l'euthanasie, et souhaite être encore en pleine possession de ses moyens pour accomplir le geste elle-même le moment venu.
Elle informe ses quatre enfants de cette décision, leur annonce même la date : le 17 octobre, trois mois plus tard. Comme c'est dur à entendre ! Face à leur réaction, elle accepte de différer sa mort de quelques jours, sans préciser la date cette fois. le triste compte à rebours est commencé, pour elle, et pour ceux qui l'aiment.
La mère de
Noëlle Châtelet exerçait la profession de sage-femme. de même qu'une naissance se mûrit en plusieurs mois, physiquement, psychiquement, seule, avec ses proches et/ou des professionnels, cette vieille femme prépare sa mort pendant de longues semaines, seule (tri, rangement) et avec sa fille, l'auteur alors âgée de cinquante-huit ans, dont elle est très proche affectivement.
Noëlle Châtelet évoque dans ce texte ce douloureux travail conjoint d'une mère et de sa fille, comme une "vaccination", de "l'homéopathie" : apprivoiser l'idée de la séparation pour moins souffrir le moment venu, faire face. Les sentiments traversés ressemblent à ceux du deuil, bien sûr, mais avec la compagnie du futur défunt, ils sont différents.
Anticiper la mort d'un proche de cette façon la rend-il moins douloureuse ? J'en doute, et je me suis interrogée plus d'une fois sur la "cruauté" du geste de la vieille dame vis à vis de ses enfants - non pas celui de se suicider, mais celui d'annoncer la période choisie si longtemps à l'avance, et de solliciter autant sa fille dans les préparatifs - même s'il s'agit d'un geste d'amour, on le voit : la mère prépare doucement sa fille à vivre sans elle, elle lui "tient la main" sur la route du deuil avant qu'elle y chemine seule, comme quand, enfant, la petite apprenait à écrire... Ceci de manière positive, optimiste, parfois gaie.
Ce livre est superbe, certes, l'euthanasie est un sujet qui m'interpelle, j'y suis favorable, j'admire la sensibilité de
Noëlle Châtelet, ses mots, mais j'ai eu du mal à m'identifier aux personnages, aussi bien en tant que mère qu'en tant que fille - peut-être me suis-je tenue à distance à la lecture, parce que cette démarche me semble vraiment trop éprouvante ? J'ai lu ce témoignage à petites doses, vite plombée, agacée, dérangée. Gênée de cette intrusion trop intime, comme si je regardais une inconnue accoucher longuement, douloureusement, soutenue tant bien que mal par le père désemparé du bébé. Quelque chose de cet ordre-là, oui... Les dernières pages m'ont émue aux larmes, quand même.
Sur ce thème (accompagnement de fin de vie d'un proche, mort, deuil), j'ai été bouleversée en revanche par '
D'autres vies que la mienne' d'
Emmanuel Carrère et par l'album de
Sylvain Ricard &
Isaac Wens '
La mort dans l'âme'.
* PS : je mentionne
Lionel Jospin parce que ce décès est survenu fin 2002, année de sa défaite aux élections. Sans parti pris politique, je pense à la souffrance de l'homme déjà fragilisé par un échec...