A part une bouchée de terre, que peut-elle bien avaler maintenant. Il n'y a pas de pissenlits autour de sa tombe. Les couleuvres, elle les a avalées de son vivant.
Les secrets de famille les mieux gardés sont ceux qui n’ont jamais été interrogés.
On est toujours novice pour mourir.
Elle est seule dans la mort. Elle est seule dans la solitude de la terre. Le fils est seul dans son chagrin. Solitude commune, partagée. Le fils quitte la mère pour la dernière fois. Sans se retourner. Sans pleurer. Ses larmes, il les a versées il y a bien longtemps. Ses larmes ont disparu avec son enfance. Avec sa mort, il est passé de l’enfance à la vieillesse en quelques pelletées. Il sait qu’il restera toute la vie un enfant aux yeux de la mère.
Elle ne pleurait pas pour rien, elle riait de tout. Ils vont lui manquer ses rires francs, ses rires exubérants, ses rires parfois gênants. Peut-être étaient-ils forcés pour conjurer le mauvais sort. Ses rires et surtout ses sourires portés en bouclier pour repousser les agressions de la vie. Ces sourires qu'elle lui a transmis. Tous ces sourires éteints que portent les gens tristes.
Elle n’en a jamais voulu à cet homme pervers et alcoolique. Souvenirs pleins de tendresse. Elle en parle avec ce sourire de l’innocence des enfants qui désespèrent d’être aimés. Il lui portait l’attention qui lui manquait tant. Elle s’est trompée, en prenant son intérêt pour de l’amour. Ces abus dont elle a été victime l’ont empêchée d’aimer et de s’aimer. C’est une des choses qu’elle a en commun avec son mari. Lui aussi est incapable d’aimer et de s’aimer.
Les gens manquent de tout. Comme ils n’ont rien, ils se satisfont de peu. « Les bonnes sœurs n’ont jamais été méchantes avec moi. Elles n’étaient pas tendres mais justes. » Elle est si jeune, à peine deux ans. Elles ont de la pitié sans lui donner d’amour. Son père ne vient jamais la voir. Pas de nouvelles non plus des autres frères et sœurs. C’est la guerre. Le temps des privations. Privée de tout, privée d’amour.
Depuis longtemps, le fils a cherché à percer le secret de ses origines. Il voulait savoir qui était vraiment la mère. Son intuition l’a incité à découvrir les causes de son mal-être. Aller au plus profond du mal pour le combattre. Enquêter pour connaître la vérité. Interroger par pur égoïsme. Comprendre pour ne pas souffrir comme elle. Savoir pour conquérir sa propre liberté.
Le corps ferme et tonique de la mère quand elle avait trente ans. Sa peau est si fine, si fripée, si flasque, maintenant. La peau de la mère est si douce que son contact sous la main en est presque repoussant. Ses muscles ont fondu. Sa bouche s’est enfoncée en une fente goyesque et son menton a décidé de se projeter en avant pour faire contrepoids aux dents disparues.
Elle ne pleurait pas pour rien, elle riait de tout. Ils vont lui manquer ses rires francs, ses rires exubérants, ses rires parfois gênants. Peut-être étaient-ils forcés pour conjurer le mauvais sort. Ses rires et surtout ses sourires portés en bouclier pour repousser les agressions de la vie. Ces sourires qu’elle lui a transmis.