C'est à l'émission de
François Busnel consacrée à
Camille Kouchner et à son livre,
La familia grande, (j'y reviendrai dans une prochaine chronique), que je dois ma "rencontre" avec
Sophie Chauveau, puisque, au milieu d'une production intense de romans consacrés à des biographies d'artistes, cette auteure a aussi écrit un récit autobiographique consacré à l'inceste dans sa lignée familiale . Et que c'est la lecture de
la Fabrique des pervers qui aurait décidé
Camille Kouchner à écrire son livre sur le viol de son frère jumeau par leur beau-père.... avec le scandale médiatique que l'on sait.
Sans doute pour prendre moi aussi quelque recul, j'ai préféré commencer par le livre de
Sophie Chauveau.
Je n'ai pas été déçue.
Sophie Chauveau fait la rencontre d'une lointaine cousine qui lui apprend avoir été victime d'inceste. À son tour, la romancière avoue avoir subi le même sort.
De confidence en confidence, les deux cousines découvrent qu'il s'agirait d'une véritable tradition familiale : l' abus criminel des enfants, pratiqué par bon nombre de membres mâles du clan, (et même par une femme), et toléré voire encouragé par les mères de la horde, de génération en génération.
Naît donc le projet d'un livre.
Avec tout le talent de l' historiographe chevronnée, l'auteure se penche d'abord sur la généalogie familiale avant de raconter les malheurs de sa cousine et les siens propres..(si j'ose employer cet adjectif dans un tel contexte).
Quel répugnant panier de crabes, en effet!
Édifiante succession d'abuseurs sans scrupule, pratiquant l'endogamie et la prédation sur les plus faibles et les plus proches, avec l'aplomb insupportable que donnent l'argent, le pouvoir, le sentiment de supériorité et la certitude de l'impunité!
Le triomphe de l'entre-soi! La monstruosité comme rite distinctif et ciment clanique!
Après cette généalogie de l'infâme, le livre, sagement, reprend le recul nécessaire , et prend de la hauteur. Analyse percutante des lois bibliques, des lois humaines, du droit en évolution récente sur le sujet, et de la "morale" à tirer , pour les victimes, d'un droit qui les a si longtemps et si mal protégées.
On sort édifié et révolté de cette iecture passionnante et très complète.
Brillant, cinglant, évitant à la fois le piège de l'euphémisme et celui de la grossièreté, celui du voyeurisme et celui de l'épanchement personnel,
La fabrique des pervers est un livre courageux, lucide et intelligent dont on comprend qu'il puisse donner aux victimes ou à leur entourage, la force de parler.
Je m'étonne seulement qu'il n'ait pas eu, à tout le moins, le même impact que celui de
Camille Kouchner. Pas seulement pour une question de timing, celui de Camille profitant de la récente vague #metoo. Je pense surtout qu' en éclaboussant une série de noms célèbres du Landerneau germanopratin, le livre de Camille éveille un certain voyeurisme du lecteur, alléché par le frisson délicieux du scandale médiatique ...
Le livre de
Sophie Chauveau qui ne surfe sur aucune vague et ne bénéficie d'aucune éclaboussure scandaleuse, est à mon sens plus abouti et plus convaincant que celui de
Camille K.
Il est plus fouillé, enraciné dans une recherche sociétale, moins "people" , et donc plus convaincant. L'auteure ne " subtilise" pas la parole aux autres victimes, elle les associe à la sienne dans une étroite collaboration. Bref, je l'avoue, même si c'est grâce à
Camille K.que j'ai découvert Sophie C. , j'ai préféré nettement l'original à la copie , la maîtresse à sa disciple.
Lire
La fabrique des pervers, c'est rendre justice à un livre fondamental sur l'inceste. Qui part du particulier pour aboutir au collectif et démêle avec une grande fermeté les fils intriqués d'une tradition familiale crapuleuse et ceux d'une société et d'une législation tolérantes sinon complices à l'égard de tous les bourreaux de leurs propres enfants.