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Critique de Woland


ISBN : 9782070357796

Il s'agit d'une biographie légèrement romancée et pourtant, je suis tombée sous son charme. Car Chauveau parle non seulement de la vie mais de la personnalité de Léonard de Vinci avec une passion, une chaleur si communicatives que, en refermant son livre, on ne peut plus voir le Maître florentin du même oeil. Pour vous, comme pour moi, Vinci, c'est "La Joconde", qui illumine le Louvre parce que le peintre l'offrit en cadeau à François Ier, le seul de ses mécènes, semble-t-il, à avoir vu en lui le génie qu'il était, cet "Homme Nouveau" chanté par la Renaissance, cet Humaniste dont l'esprit plane encore sur nous, et pour le plus grand profit de notre civilisation. Certes, me direz-vous, Vinci a inventé l'ancêtre de la mitrailleuse. C'est vrai mais est-ce sa faute si nous l'avons perfectionné et si l'Homme n'aime rien tant que massacrer son semblable ?

Léonard de Vinci, c'est un cerveau qui, jamais, ne cesse de penser, d'inventer, d'écrire, de dessiner, de peindre ... de s'interroger. Un esprit quasi universel qui, persuadé dans sa jeunesse et dans sa vie d'homme mûr que l'Homme était bien le centre du monde, commence à se détacher de cette idée dans les dernières années de son existence. Sa peinture, cette peinture qui l'a révélé au monde mais qu'il ne considérait que comme l'une des multiples occupations où il excellait, cette peinture que, certains jours, il a failli mépriser et même haïr, prouve amplement l'évolution, lente mais sûre, de son génie, de l'Homme vers le Cosmos, l'Autre dimension (celle de l'Art ? celle de l'Au-delà ? peu importe, puisqu'elle est "autre", toute neuve, à découvrir), l'Au-delà de ce que nous voyons ... Léonard le sait, il le sent, il l'a pressenti : observez ses toiles, celles qu'on peut lui attribuer à bon droit, celles qui n'ont pas subi trop de restaurations (il innovait tellement dans ses techniques de mélanges de pigments et d'huile que, par exemple, la célèbre "Bataille d'Anghieri", fresque pourtant prodigieuse, fit, si l'on peut dire, un "flop" retentissant) et vous verrez qu'il parvient à peindre non seulement ce qu'il voit (normal pour un peintre) mais encore ce qu'il ne voit pas.

J'ai appris, avec surprise, que certains se plaignaient de scènes trop explicites tournant autour de l'homosexualité non seulement de Léonard mais aussi de la plupart des peintres de l'époque. Personnellement, des scènes "hot", homosexuelles, hétérosexuelles et tout ce que vous voudrez, j'en vois plutôt dans Sade ou dans Bataille - voire dans certains "romans sentimentaux" pas piqués des hannetons. Mais, même si elle appelle un chat un chat, Chauveau ne s'attarde guère à ces scènes. Bien sûr, elle met en avant l'homosexualité de Vinci, liée autant aux moeurs du temps, surtout en Italie, qu'à sa naissance d'enfant illégitime et à son rejet par son père. Mais comment l'ignorer, comment la passer sous silence ? Si certains, de manière à notre avis excessive, la voient partout dans l'oeuvre de Vinci, dans les poses de ses modèles et pourquoi pas ? soyons absurdes jusqu'au bout , dans les cadres, pourtant bien modernes, de ses toiles, il est clair que les préférences sexuelles du peintre sont à l'origine de cette façon pratiquement unique qu'il avait de représenter femmes et hommes. Il y a beaucoup d'androgynes chez Vinci, même dans les sujets religieux, comme si l'artiste lui-même avait toujours hésité. S'il n'a jamais eu de relation hétérosexuelle, il s'entendait fort bien avec les femmes et son histoire avec Lisa del Giocondo, dite "La Joconde" ou "Mona Lisa", est une belle histoire d'amitié, teintée d'une sorte d'amour purement platonique. "Sa" Lisa , comme il l'appela jusqu'à la fin, avant de la confier à François Ier et à cette France qui avait au moins tenté de panser les plaies de toute une vie ...

En outre, ressemblant terriblement sur ce point son très hétérosexuel géniteur, Vinci, surtout jeune, souffrait d'une frénésie érotique qui lui causa bien des soucis. C'est une composante du personnage, qui diminue avec l'âge mais rappelons que, au physique, le peintre fut longtemps une force de la nature, jusqu'à la malaria qu'il attrapa en visitant les marais Pontins, que le Vatican lui demandait d'assécher. Et puis, avec l'âge ... Selon son optique personnelle, on jugera ou pas la sexualité de Vinci mais jamais on ne dira de lui qu'il devint un vieillard libidineux. Trop amoureux de la Beauté pour supporter qu'un amant le vît tel que l'âge et la maladie l'avaient fait, il se détacha de la chair et y perdit le grand amour de sa vie, Salaï, qu'il avait recueilli adolescent dans son atelier et qui se révéla tout d'abord une vraie peste, puis, au fil du temps, un homme ingrat et avide. (Son surnom d'ailleurs signifie "Petit Diable" ou "Démon".) Quand Vinci renonça aux plaisirs de la chair, quand Rome l'enterra avec mépris au palais du Belvédère, quand il se vit définitivement rejeté par sa patrie, Salaï ne fit ni une, ni deux et abandonna l'homme qui lui avait tout donné sans rien lui demander en retour. Et pourtant, dans "L'Ange Incarné", devenu "L'Ange de l'Annonciation", puis "Jean-Baptiste", ce sont les traits de Salaï que Vinci transcende en une des plus belles expressions picturales jamais rendues par l'oeil et la main d'un peintre. C'est comme s'il avait vu en Salaï ce que celui-ci ignora sans doute toute sa vie qu'il possédait : sa part d'Infini, sa part de Divinité.

Que vous dire encore sur cette biographie ? Que Léonard adorait les animaux et les protégeait dans la mesure du possible ? Qu'il avait une fâcheuse tendance à la procrastination ? Que son grand rêve était de voler - et de voir l'homme voler - comme Icare ? Que ce n'est pas seulement à un génie universel que nous donne accès Sophie Chauveau mais aussi à un homme tout simple dans le fond en dépit d'un cerveau plus que complexe, un homme qui voulait seulement qu'on l'aimât pour lui-même et non pour ce qu'il pouvait rapporter, un homme qui aimait rire et voir rire, qui donnait sans compter, qui adorait la liberté, qui crut sincèrement avoir gâché sa vie et qui, malgré son orgueil d'artiste, n'imagina sans doute jamais de son vivant l'éternité qui attendait, dans les siècles futurs, sa "Joconde", son "Bacchus" - là encore Salaï, mais un Salaï plus sombre, plus inquiétant - sa "Dame à l'Hermine" (une maîtresse de Ludovic Sforza qui posa aussi pour l'ange de "La Vierge aux Rochers"), sa "Cène", si patiemment, si difficilement, si précieusement restaurée et, bien sûr, son nom de bâtard finalement légitimé : Leonardo da Vinci ?

Le jour de sa mort, complétant ce qu'il avait tracé la veille sur ce qui fut le dernier de ses chers carnets, à savoir "La soupe va refroidir ... mais je continuerai," le peintre, qui se sentait mourir, parvint à écrire : "Et caetera. Et caetera."

Et c'est vrai : Léonard de Vinci reste parmi nous. Peu importent des préférences sexuelles que le Destin, plus que la nature, lui imposa : l'Art qu'il portait en lui, en le libérant d'une réalité qui lui déplaisait, l'a rendu éternel et lui permet de planer à dix mille coudées au-dessus de ce qui ne sont plus, finalement, que discussions byzantines et plus ou moins mesquines.

Franchement, quand vous contemplez sa "Joconde" ou même son "Bacchus", c'est à l'homosexualité passive de Léonard que vous songez avant tout ? Si tel est le cas, vous êtes bien plus à plaindre qu'il ne le fut jamais et vous devriez tenter une psychothérapie. ;o) Si vous y voyez par contre la Beauté et même Plus Loin Que La Beauté, alors, lisez "L'Obsession Vinci" de Sophie Chauveau : ce livre est fait pour vous. Et ne craignez ni le jargon, ni la pédanterie académiques que Vinci a lui-même tant détestées et raillées de son vivant : allez-y de confiance et découvrez un génie - un vrai, avec ses faiblesses mais aussi ses qualités, bref, tel qu'il fut.
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