Une oeuvre historique est susceptible d’être étudiée à un double point de
vue : en premier lieu, on peut en examiner la matière et faire un départ entre ce que l’auteur a vu lui -même, ce que ses contemporains lui ont appris et ce qu’il a lu chez ses devanciers. Après avoir ainsi dégagé les diverses parties de l’ensemble, on peut en second lieu rechercher quelle forme l’écrivain donne à ces matériaux ; son cerveau est comme un prisme à travers lequel se réfractent les rayons lumineux qui sont les faits et il importe de déterminer l’indice de réfraction de ce prisme ; on montrera donc de quelle manière il fait revivre le passé par son imagination, comment il conçoit l’enchaînement des événements par sa méthode, avec quelle précision il sait distinguer le vrai du faux par son jugement critique.
Les Mémoires historiques de Se-ma Ts’ien sont, comme leur titre même
le donne à entendre, un livre d’histoire ; ils sont de plus un livre chinois ;
enfin ils sont vieux de deux mille ans. Il faut tenir compte de ces trois
considérations pour les bien comprendre.