L'avenir des églises

Dans l'imaginaire collectif, le clocher est une architecture évidente de la ville comme du village : repère spatial, il est aussi un puissant symbole identitaire, qui incarne notre relation à la religion, au patrimoine et au passé. Mais la sécularisation des sociétés occidentales bouleverse de manière brutale ces belles certitudes : abandonnée par ses fidèles, l'église peut être susceptible de réaffectation, voire de destruction. Les récents scandales liés à la démolition de lieux de culte, comme celui de l'église Saint-Jacques d'Abbeville, tombée en 2013 sous la pioche des démolisseurs, ont ainsi causé un émoi inédit. Cette église était un rare exemple d'architecture néo-gothique encore debout dans une région traumatisée par deux guerres mondiales ; elle a de plus été détruite sans être désacralisée et son mobilier liturgique, récupéré en hâte, dispersé sans concertation préalable. Or de nombreux lieux de culte sont aujourd'hui menacés du même sort. Sur les quelque 44 000 églises et chapelles de France, entre 2 000 et 5 000 pourraient être désaffectées, vendues ou mises à bas ; 2 000 églises ont été fermées en Angleterre depuis le début du XXIe siècle, 600 aux Pays-Bas... L'édifice catholique ou orthodoxe comme le temple protestant ou maçonnique sont tout autant en souffrance, quels que soient leur statut juridique et leur situation territoriale.

C'est pourquoi ce livre, fruit des actes d'un colloque d'histoire de l'art qui s'est tenu en 2016, est d'une actualité brûlante. Il engage aussi une réflexion très lucide sur ce phénomène qui touche de nombreux pays. Les articles, équilibrés entre témoignages, interrogations sociales et analyses architecturales, portent sur la France, l'Italie, l'Allemagne, la Belgique, la Hollande et vont jusqu'au Canada et au Midwest des États-Unis ; le cas des églises construites durant la colonisation en Algérie n'est pas non plus oublié. Tous ces textes forment les éléments d'une mosaïque d'autant plus intéressante qu'elle se reconstitue finalement de manière assez identique dans tous les pays. L'importance d'une réflexion préalable avec les habitants, futurs usagers du bâtiment, paraît partout essentielle. C'est de cette concertation que naissent les projets les plus pertinents et les plus novateurs. Ainsi de l'Italie, où l'église est souvent devenue l'écrin de manifestations artistiques et musicales, tout en étant un observatoire des matériaux du patrimoine bâti religieux. Ou encore de l'Allemagne, qui transforme volontiers ses édifices cultuels à l'abandon en colombariums. Dans le Nord de la France, l'église de Hem, construite en 1968, s'est muée avec bonheur en épicerie solidaire, renouant d'une autre façon avec les valeurs chrétiennes de charité. Les réfections liées à ces nouvelles destinations sont toujours hasardeuses, car il faut tenir compte de distributions de l'espace intérieur très particulières. Mais elles aboutissent parfois à de réelles réussites. C'est en tout cas ce que démontre cet ouvrage, à la fois nuancé, accessible et bien illustré, qui offre non seulement un vademecum efficace à ceux qui opèrent dans l'urgence des reconversions, mais aussi un bilan d'ampleur sur un patrimoine essentiel de notre quotidien.

Par Christine Gouzi, critique parue dans L'Objet d'Art 556, mai 2019