Ériger l'intimité en valeur suprême.
"On sort de l'enfance sans savoir ce qu'est la jeunesse, on se marie sans savoir ce que c'est que d'être marié, quand on entre dans la vieillesse, on ne sait pas où on va. En ce sens, la terre de l'homme est la planète de l'inexpérience", a écrit Kundera.
La rareté illumine,
l'omniprésence dilue l'être .
Kundera ouvre toutes grandes les portes de sa bibliothèque idéale. Il lit des extraits de L’Homme sans qualités, de l’écrivain autrichien Robert Musil ; explore Les Somnanbules, de son cher Hermann Broch ; fait découvrir Le Brave Soldat Chvéïk, du Pragois Jaroslav Hasek, le grand maître de l’ironie. Il invite à s’asseoir à ses côtés l’écrivain yougoslave Danilo Kis ou le Polonais Kazimierz Brandys, qui le raconte dans ses mémoires, ou encore son amie Agnieszka Holland. Elle réalise aujourd’hui des épisodes entiers de The Wire ou de House of Cards ; à l’époque elle décryptait le film Danton de Wajda.
Pendant plus d’une décennie, à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Kundera a ouvert son panthéon littéraire à une quarantaine de privilégiés.
Milan et Vera Kundera découvrent une institution française : les déjeuners qui s’éternisent autour d’une conversation. « Le nation tchèque ne connaît pas ce rite social vieux en France de plusieurs siècles, s’amusait Vera il y a un an dans Host. Les fêtes, les repas, les salons : voilà ce qui tient la France et l’empêcherait de s’atomiser même si le pays était occupé par des Lapons.
Dans leur esprit, aujourd’hui, les Kundera sont à Brno, en Moravie. La nuit, Vera rêve qu’elle est allongée sur les rochers de la Vydra, dans la forêt de la Sumava, au sud de la Bohême, glisse sur la glace avec ses patins, ou se baigne dans la Vltava. Un vers de Viktor Dyk,, poète tchèque du début du XXe siècle, la hante et la laisse sans sommeil. La « patrie » lui parle. « Si tu me quittes, je ne mourrai pas. Si tu me quittes, tu périras. »
Pour son entrée dans la « Bibliothèque de la Pléiade », en 2011, il a posé ses conditions. N’y figurent que ses onze romans, une pièce de théâtre et quatre essais : les seuls qu’il « valide ». Aucun poème, une seule de ses trois pièces de théâtre ; son retentissant article « Un Occident kidnappé » est absent.
Emigrer, c’est réinventer de nouveaux cercles d’amitié.
« Qui ne marche pas avec nous est contre nous », disaient les communistes sous l’occupation russe. Les livres de Kundera sont retirés des bibliothèques et des librairies. « Je n’existais plus », résume-t-il à François Nourissier.