La situation avantageuse de l'Île de Corse et l'heureux naturel de ses habitants
semblent leur offrir un espoir raisonnable de pouvoir devenir un peuple
florissant et figurer un jour dans l'Europe si, dans l'institution qu'ils méditent
ils tournent leurs vues de ce côté-là mais l'extrême épuisement où les ont jetés
quarante années de guerres continuelles la pauvreté présente de leur Île et
l'état de dépopulation et de dévastation où elle est ne leur permettent pas de se donner sitôt une administration dispendieuse, telle qu'il la faudrait pour les
policer dans cet objet.
D'ailleurs mille obstacles invincibles s'opposeraient à l'exécution de ce
plan. Gênes maîtresse encore d'une partie de la côte et de presque toutes les
places maritimes écraserait mille fois leur marine naissante sans cesse exposée au double danger des Génois et des barbaresques *. Ils ne pourraient tenir la mer qu'avec des bâtiments armés qui leur coûteraient dix fois plus que le trafic ne leur pourrait rendre. Exposés sur terre et sur mer, forcés de se garder de toutes parts, que deviendraient-ils ? à la discrétion de tout le monde, ne pouvant dans leur faiblesse faire aucun traité de commerce avantageux, ils recevraient la loi de tous ; ils n'auraient au milieu de tant de risques que les profits que personne autre ne daignerait faire et [...] qui se réduiraient à rien. Que si par un bonheur difficile à comprendre ils surmontaient toutes ces difficultés, leur prospérité même attirant sur eux les yeux de leurs voisins serait un nouveau péril pour leur liberté mal établie.
*RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE* :
« Neuvième promenade », _in Les confessions de J.-J. Rousseau,_ suivies des _Rêveries du promeneur solitaire,_ tome second, Genève, s. é., 1783, pp. 373-374.
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