Deux ans après «
le vampire de Ropraz »
Jacques CHESSEX s'attache à rédiger «
Un juif pour l'exemple », en 2009 donc (l'année de sa disparition, c'est d'ailleurs si je ne m'abuse le dernier roman publié de son vivant, deux suivront à titre posthume), avec une fois de plus la Suisse vaudoise rurale comme décor.
Payerne, par ailleurs lieu de naissance de l'auteur en 1934, est une petite ville bourgeoise de 5000 âmes, la haine du juif et du franc-maçon est alors vivace en ce mois d'avril 1942, avec notamment comme figure de proue son Pasteur hitlérien, Lugrin. Dans cette région reculée, le repli sociétal est quasi total. Une vingtaine d'habitants ont prêté serment au régime nazi, dont Fernand Ishi, garagiste. Son but : assassiner
un juif. Pour l'exemple. Pour ceci il doit recruter des têtes brûlées, notamment au sein même de son garage. Après concertation, la victime est désignée, ce sera
Arthur Bloch, un marchand de bestiaux de 60 ans. Justement, le lieu du crime sera la foire aux bestiaux de Payerne, toute la région paysanne étant présente pour ce grand rassemblement. le groupe des futurs meurtriers de Bloch est déjà constitué, ils sont sept et chacun a son rôle à jouer. La vente d'une vache va servir d'appât afin d'attirer Bloch hors de la foule et le tuer à coups de barre de fer. le corps n'est pas tout de suite retrouvé.
« Mais curieusement, au lieu que l'horreur de la disparition, ou l'angoisse qu'elle diffuse, éveillent la compassion ou la tristesse, un ricanement secoue encore les cafés, ironie sale, propos appuyés sur la « juiverie », le « profit », les commerces « parasites ». Des numéros de Gringoire et de Je suis partout continuent à circuler parmi les notables. Jamais, depuis l'avènement de Hitler et les persécutions de la nuit de cristal, on n'a pas perçu un tel sentiment de haine à l'endroit des israélites ».
«
Un juif pour l'exemple » est un petit roman coup de poing, un fait divers issu de la campagne d'un pays pourtant neutre en pleine guerre mondiale, au moment même où la haine du juif est démultipliée. Alors quoi ? Mimétisme au coeur de ce pays tranquille ? Fanatisme aveugle ? En tout cas volonté évidente de plaire au Führer. La violence psychologique et physique est omniprésente tout au long de ces pages particulièrement sombres, même si
CHESSEX ne tombe pas dans la facilité de conter à grands renforts d'effet lacrymal, il sait rester éloigné, non sans émotions, non spécialement avec pudeur puisque de nombreux détails sont retranscrits dans ce texte offensif, mais ne veut pas faire pleurer dans les chaumières, il choisit le style journalistique, détaché, comme pour le rendre plus crédible encore. Il n'empêche qu'il est fort difficile de ne pas avoir froid dans le dos.
Comme pour «
le vampire de Ropraz », la fin de ce roman est soignée, après que
CHESSEX soit entré en piste en se remémorant son bref entretien avec Lugrin, le pasteur nazi, longtemps après qu'il ait été impliqué dans la mort de Bloch. «
Un juif pour l'exemple » est un format parfait : affaire monstrueuse et détaillée, mais sans déborder sur le privé ni en de longues diversions, elle est au contraire resserrée au maximum.
CHESSEX reste factuel, froid, distant, et dans sa plume ciselée, il sait nous faire vibrer à la manière forte, car choisissant un sujet ô combien sensible (comme il le fit pour «
le vampire de Ropraz »). Au risque de me répéter, je crois que ces deux romans doivent être lus l'un après l'autre, ils forment une sorte de diptyque parfaitement agencé, ils sont devenus des références en affaires criminelles romancées, même s'ils ne s'attachent à aucun personnage en particulier. Ils font parler toutes les âmes d'un village, c'est lui seul qui est au coeur de l'action, ses habitants semblent n'être que des pantins s'auto-influençant brutalement. Deux lectures indispensables en période hivernale.
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