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EAN : 9782253005636
435 pages
Le Livre de Poche (01/09/1974)
3.87/5   177 notes
Résumé :
Le roman commence quand Barthélemy Piéchut, le maire de la commune de Clochemerle-en-Beaujolais, dévoile à Ernest Tafardel, l'instituteur, son projet : « Je veux faire construire un urinoir, Tafardel. […] Enfin, dit-il, une pissotière ! »

Cette vespasienne, destinée, bien plus peut-être, à confondre madame la baronne Alphonsine de Courtebiche, le curé Ponosse, le notaire Girodot et les suppôts de la réaction, qu'à procurer un grand soulagement à la ge... >Voir plus
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Depuis belle lurette à Clochemerle , ça pisse dru à tous les coins de rue.
Piéchut le maire qui se voit déjà préfet tient à laisser une trace de son passage. Ce sera celle d'un urinoir public dans l'impasse des moines.
La goutte fait déborder le vase...
C'est du propre s'insurgent les bénitiers du curé qui voient là un déballage public... de tous les attributs masculins.
De quoi je me mêle braillent les buveurs de crus qui se font la main...
Autant pisser dans un violon, tout le fiel accumulé remonte à la surface.
Le maire laisse couler ...
Mais les petits ruisseaux font les grandes rivières....
Je n'ai pas été déçu de mon séjour dans le beaujolais village.
Tout ce petit monde en prend plein le pif..les arsouilles !
Mais aussi du blaze et de l'arrière train pour certains,
des histoires de coucheries, de cocus et tout le m'a tu vu.
Rien de nouveau sous le soleil provincial franchouillard
sauf que Gabriel Chevallier n'y va pas avec le dos de la cuillère.
Il en rajoute des louches, fait dans la caricature et le grotesque
bref en fait des tonnes avec truculence et une belle pointe d'ironie.
On l'a souvent imité mais rien ne vaut la recette originale du terroir.
Clochemerle, laisse pisser ou pas, à toi de voir !
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En 1922, à Clochemerle-en-Beaujolais, le maire Piéchut décide d'installer dans sa commune une vespasienne, pour le confort urinaire de ses administrés, et pour faire la nique à la réaction locale ; la baronne, le curé et le notaire.

Paru en 1934, le roman de Chevallier connut un succès qui ne se dément pas.

Adapté au cinéma en 1948, (film interdit au moins de 16 ans à sa sortie !) Clochemerle est passé dans le langage courant; on évoque parfois encore ce nom pour parler d'une querelle locale un peu ridicule, exemple au hasard: Un "néo-rural" qui se plaint du bruit des cloches ou du chant du coq…

Au-delà de la farce et de la critique sociale sous-jacente, il faut signaler la qualité de l'écriture de Gabriel Chevallier ; riche, drôle, imagée, elle est infiniment plaisante.

Il est bien dommage que cet auteur soit tombé dans l'oubli, car il semble que Clochemerle soit son seul roman encore réédité et disponible en librairie de nos jours -en l'occurrence au Livre de Poche- citons aussi son roman sur son expérience de la première guerre mondiale "La peur", occasionnellement réédité.

Chevallier, n'est donc pas l'auteur d'un seul roman emblématique, je vous invite cordialement à le découvrir !
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ISBN : inconnu

Françaises, Français ...

... Ah ! ah ! avouez que je vous ai fait peur ! Mais si, je vous ai vu sursauter, là, vous, dans le coin, qui tentez de vous cacher derrière votre camarade ! Vous vous êtes dit sans doute : "Pour son anniversaire, elle a complètement pété les plombs !" mais rassurez-vous, il n'en est rien : je commençais ainsi parce qu'il est dommage que le rédacteur de "La Peur" (roman terrible sur la non moins terrible Grande guerre) ou encore de "Sainte-Colline" (récit d'une scolarité malheureuse) ne soit resté dans la mémoire de la majorité d'entre nous (et sur la majorité de nos étagères de bibliothèque) que pour un seul roman, il est vrai digne de Rabelais mais en moins pédagogique : "Clochemerle." Quand je suis née - il y a de cela cinquante-six ans - on interdisait sévèrement aux enfants d'y porter ne fût-ce que le regard le plus indifférent : c'est vous dire combien les vilains garnements (dont je ne fus jamais ) cherchaient à en savoir plus. D'autant que, dans l'édition qu'il y avait chez ma grand-mère (et que j'ai rachetée chez un bouquiniste par la suite), les illustrations avaient un charme baroque, un peu à la Peynet. L'un des personnages, qui soulève son chapeau melon devant "Les Galeries Beaujolaises" et la flamboyante Judith Toutmignon, ressemble d'ailleurs presque comme un frère à l'Amoureux de Peynet. Mais comme, à l'époque, on ne signalait pas le nom des illustrateurs à moins que leur nom ne fût déjà bien connu (manie détestable et injuste réapparue depuis quelques années d'ailleurs dans notre monde des quatrièmes de couvertures), il m'est impossible de vous garantir que c'est effectivement Peynet qui conçut la première jaquette de "Clochemerle" pour "Le Livre de Poche."

Roman inusable, indémodable, "Clochemerle" fait partie de ces succès de librairie qu'on réédite régulièrement et qui fit, d'ailleurs, la fortune de son auteur, le Lyonnais Gabriel Chevallier né l'année même où les frères Lumières inauguraient ... le cinéma. Pourquoi un tel succès pour un livre qui insiste - parfois lourdement - sur l'aspect grivois de l'intrigue et qui se rebelle plus ou moins ouvertement contre le système - encore et toujours lui - même si le déclenchement du Grand Soir n'en est pas le thème principal ?

Eh ! bien, peut-être parce que "Clochemerle" symbolise toute une part de notre littérature, la part rabelaisienne et humaniste, le tout en un style beaucoup plus fin que ne se l'imaginerait quelqu'un qui ne l'a jamais lu, le tout fondé sur des personnages truculents et qui, bien que solidement typés pour la plupart, n'en font pas moins terriblement authentiques. A Clochermerle, paysans ou notables, on ne triche pas. En tous cas, pas avec le lecteur. On dit ce qu'on pense, dans la langue de Molière, en trébuchant parfois sur les syllabes parce qu'il faut bien rappeler que ce livre est aussi un roman de terroir et l'on n'y a aucune honte de ce coq emblématique associé à notre pays, qui célèbre avec ardeur le retour du soleil et laisse traîner ses ergots dans le fumier avec la plus totale indifférence : "Rien ne se perd ..."

"Clochemerle", c'est la France rurale qui sort de la Grande guerre - nous sommes en 1922 - et qui, sous un soleil éclatant, voit se ranimer en ses murs la vieille querelle entre cléricaux et anti-cléricaux. le maire, Barthélémy Piéchut, enfant du pays, a en effet pour projet de faire bâtir un nouvel édicule auprès de l'église, fief du paisible abbé Ponosse. Mais attention ! Pas n'importe quel édicule ! Non, messieurs-dames, Piéchut, avec sa roublardise joviale et gardant toujours en vue un avenir de sénateur (et pourquoi pas ? On a vu bien pire, non ? ... ) entend "moderniser" sa municipalité en y faisant élever ... un urinoir où ne seront évidemment autorisées à s'exprimer que les vessies de sexe mâle. Or, outre sa frappante proximité avec l'église, le lieu choisi par Piéchut donne d'un côté sur l'Impasse des Moines et, de l'autre, sur une autre impasse au nom tout aussi réjouissant. Mais c'est dans l'Impasse des Moines que réside, si mes souvenirs ne m'ont pas encore lâchée, la redoutable et redoutée Justine Putet, "vieille fille" attitrée du bourg, à la langue implacable et aux obsessions innombrables, surtout dans le domaine sexuel. Justine Putet possède de surcroît, on ne peut le lui contester, un sens de la repartie absolument fracassant qui lui fera jeter à sa rivale en piété, la non moins redoutable Clémentine Chavaigne - que le pharmacien du coin, perdant la tête, avait anesthésiée dans son arrière boutique dans des buts ... euh ... mystérieux mais à coup sûr répréhensibles - qu'elle "s'était fait poilpharder." Expression désormais passée dans le langage courant clochemerlin et issue du nom du malheureux apothicaire à la dérive de ses fantasmes : Poilphard.

Alors, comptons ensemble, si vous le voulez bien : l'église, le curé Ponosse, sa fidèle servante-maîtresse (chuttt ! ) Honorine et Justine Putet d'un côté et, de l'autre, le maire et son premier adjoint, l'instituteur Ernest Tafardel, célibataire intouchable portant lorgnon et petit bouc, grand amateur et rédacteur de discours anti-calotins, jacobin de première main et d'une honnêteté scrupuleuse que certains événements actuels scandalisent certainement, dans ce Paradis des Livres qui illumine mon humble logis. Soutenant Piéchut et Tafardel, tous les radicaux "de gauche" (oui, de gauche, vous voulez que j'épelle ?) de la commune, ceux qui ne vont pas à la messe très régulièrement mais qui, en général, font toujours baptiser leur progéniture.

Entre les deux, l'urinoir et ce à quoi il est destiné.

Et, partout, partout, avec une bonne humeur rabelaisienne (je sais, j'insiste, tant pis ! ), les femmes et filles de Clochemerle qui ragotent et cancanent sur le mode suraigu. Comme leurs hommes d'ailleurs, ces dames connaissent tous les scandales, ceux qui ont éclaté, ceux qui éclatent au moment où je tape sur ce clavier, et surtout ceux qui vont éclater dans pas longtemps. Ainsi, tenez, le cas de la Rose Bivaque, honteusement chassée de la confrérie des Enfants de Marie en raison d'un petit ventre qui se fait un peu trop proéminent depuis que le Claudius Brodequin - un beau gars, et pas fier, et travailleur, et dont les parents ont du bien - est parti au régiment. La Rose Bivaque, le Bon Dieu, le curé Ponosse - qui est un bon gros naïf, de l'avis de toutes les dames-patronesses du coin, lesquelles le considèrent à la fois avec le respect dû à sa fonction et le mépris absolu du sexe faible pour un curé qui croit tout ce qu'on lui raconte - continuerait à le lui donner pratiquement sans confession, tous les dimanche, si seulement il n'y avait pas ce ventre ...

Mais sans l'urinoir, mesdames, messieurs, sans l'urinoir diabolique des non moins sataniques Piéchut et Tafardel, ce ventre n'aurait jamais grossi comme ça, tout seul, dans la nature, alors qu'il se promenait en toute innocence avec le Claudius Brodequin - un pervers, celui-là, démoniaque lui aussi et à qui on devrait infliger le sort jadis imaginé par le bon et miséricordieux chanoine Fulbert envers ce satyre d'Abélard !

Oui, Mesdames, oui, Messieurs : il FAUT détruire l'urinoir ! le lapider, le raser, le piétiner, lui cracher dessus, répandre du sel sur ce qui fut ses fondations puantes, le ...

Et encore, je ne vous donne ici qu'un bien modeste aperçu du climat de tensions et de haines, laïcardes comme religieuses, qui a entrepris de détruire Clochemerle et les Clochemerlins !

Cet urinoir, ce ventre, ces dame-patronesses, celles qui n'en sont pas comme Judith Toumignon la Sans-Vergogne, qui fait cocu son François d'époux, un parfait abruti , à tous les coins de rue (et peut-être même dans l'urinoir, qui sait ? ) ou encore sa rivale, Adèle Torbayon, la bistrotière du coin, qui trompe aussi allègrement son mari (celui-là, c'est Arthur ) mais dont le rêve, d'ailleurs atteint, est de le tromper avec l'amant en titre de Judith, le bel Hippolyte Foncimagne, et surtout ces vieilles filles estampillées "Pureté et Chasteté" comme la Putet et la Chavaigne, sans oublier les ivrognes du coin (ils sont assez nombreux et, côté cancans, bien qu'appartenant au sexe prétendu "fort", ils en remontrent parfois à Justine Putet en personne, c'est vous dire ! ) et tous ces imbéciles, jeunes et vieux, qui, émergeant de l'urinoir, ont omis - volontairement ou non, nous ne nous prononcerons pas - de rajuster leur braguette un peu débraillée tout en adressant de grands signes amicaux de la main à la malheureuse Justine Putet - oui, toujours elle - qu'on soupçonne de satisfaire ces plaisirs qu'on dit charnels en espionnant à sa fenêtre les allées et venues autour de l'urinoir piéchutesque ...

... tout ça crée une gigantesque cocotte-minute avant l'heure qui va exploser avec la remontée triomphale de la grand-rue clochemerline par une Justine Putet qui n'a plus toute sa tête et qui s'est décidée à se rendre à la grand-messe dans le plus simple appareil, à l'exception d'un chapelet probablement destiné, dans son esprit détraqué, à protéger en dernier recours ce qu'elle possède de plus précieux.

Sous ces dehors rabelaisiens, Gabriel Chevallier inscrit en filigrane la critique féroce d'une société qui, lentement, se délite, obsédée qu'elle est par l'argent, le statut social et le sexe. Oh ! les mots ne sont pas prononcés mais, dans l'"héneaurme" silence typiquement gaulois de "Clochemerle", ce sont eux que le lecteur attentif entend bien au-delà les vociférations et fanfaronnades d'une tel ou d'une telle.

En ce sens, on peut dire sans exagération - je ne pense pas que notre amie Lydia me contredise - que "Clochemerle", sorti initialement en 1934, assure le lien avec les fabliaux de notre Moyen-Âge, l'oeuvre de Rabelais, les flopées de libelles licencieux qui se prélassent tout au long de l'histoire de notre littérature, les "gauloiseries" d'un Paul de Kock dont, paraît-il, se régalait le Chancelier de Fer, pourtant si peu francophile et ce type d'ouvrages qui, de tous temps, certains avec talent, d'autres avec une vulgarité rare, ont contribué à la survie d'une certaine partie (oh ! peut-être pas la plus glorieuse, je l'admets ! ) de la littérature française. J'oserai même aller plus loin en précisant que les fantasmes sexuels du pharmacien Poilphard ont bel et bien quelque chose de sadien ...

Pour en terminer, n'allez pas croire que Chevallier se contente de se moquer des malheureuses comme Justine Putet. Bien au contraire. Sous le grotesque de leurs excès, il pose la question, là aussi en filigrane : "Qui les a rendues ainsi ? Ne sommes-nous pas un peu responsables, dans le fond, nous qui avons eu plus de chance qu'elles ?"

Gabriel Chevallier, féministe avant la lettre ? Peut-être. En tous cas un homme intelligent, qui se posait pas mal de questions et qu'il est bon de découvrir (ou plutôt de redécouvrir) non seulement avec sa trilogie de "Clochemerle" (bien que le premier volume soit le meilleur, vous vous en doutez) mais aussi avec bien d'autres livres dont "La Peur", lequel vaut largement, voire même dépasse "Le Feu" de Henri Barbusse. ;o)
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S'il est certain que Gabriel Chevallier fut un auteur populaire, et que son roman a fait la joie de plusieurs générations, on ne peut pas dire qu'il se soit montré indulgent pour certains de ses contemporains.
L'univers clochemerlesque fait penser irrésistiblement aux dessins de Dubout, dans lesquels se côtoient des personnages grotesques ou vaniteux, couples dépareillés, foules en délire ou en furie, populace débraillée et forte en gueule. Fortes matrones ou vieilles filles desséchées, godelureaux naïfs ou vieux grigous bilieux, on est certes dans la caricature appuyée, pas loin du stéréotype. Grâce au style du portraitiste, qui ne se prive pas de nous fournir tous les détails, au physique et au moral, de ses personnages, le théâtre Guignol devient digne de Molière.

Mais au-delà de la caricature, transperce la tendresse pour le genre humain, ses faiblesses et sa fragilité. Ses travers et sa drôlerie souvent involontaires, ses bouffées d'orgueil et son incurable optimisme. le récit passe de la bouffonnerie au drame, mais c'est toujours le rire qui l'emporte. Chevallier n'a pas oublié les leçons de Maitre Rabelais, et Clochemerle est le lieu de guerres Picrocholines, de banquets et de beuveries mémorables, ou le curé et le sacristain sont de la partie. le jus de la treille réjouit les gosiers et les coeurs, il s'ensuit une belle ardeur qui annonce d'autres réjouissances de la chair.

Passées les agapes et les batifolages villageois, au détour d'un chapitre, Chevallier ne se prive pas de glisser des discours violemment anti-militaristes et anti-cléricaux. La tradition lyonnaise des canuts ne se trouve pas que dans la consommation des pots de beaujolais. Il y a ici de la critique sociale qui attaque aussi bien les bourgeois étriqués et les aristos décatis que les politiciens sans scrupule.

Clochemerle est ainsi une lecture résolument subversive, qui prône la liberté de vivre et de penser, plus libertaire et contestataire qu'on ne le croirait, plus proche de Brassens que de Chasse, pêche, nature et traditions.
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Clochemerle, 1922.

Petite commune du beaujolais qui vit de la culture de la vigne. On y lève le coude aisément, et par voie de nécessité on s'y soulage fréquemment et aisément au milieu et dans les recoins de l'espace public.

Les autorités locales, soucieuses de marquer elles aussi leur empreinte sur ce territoire décide l'installation d'un urinoir.

Décision qui ne réserve pas un avenir doré aux Clochemerlins tant l'usage immodéré de ce nouvel équipement en vient à faire émerger de vives tensions entre cléricaux et anti-cléricaux.

Mais Clochemerle ce n'est pas que des histoires de pipi, c'est également des histoires de cocus, de vices, d'ambitions et de jalousies.

Une galerie de personnages joliment troussés et de jupons souvent retroussés.

Cette chronique de village ne se lit pas en un jet. On prend le temps de se repetre de ces phrases savoureuses à n'en plus finir. On profite jusqu'à la dernière goutte de ce roman rabelaisien d'une autre époque, un peu éloigné des canons actuels mais qui satisfait pleinement un besoin intemporel et de lecture.
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Lorsqu’il affirmait, l’instituteur Ernest Tafardel appuyait son index à son nez, avec une force qui en déviait la pointe. Rien d’étonnant donc, qu’après trente ans d’un métier qui exige constamment l’affirmation, son nez fût un peu tordu à gauche. Ajoutons, afin que ce portrait soit complet, que l’haleine de l’instituteur gâtait ses belles maximes, ce qui faisait qu’on se méfiait à Clochemerle de sa sagesse, qu’il aimait à insuffler aux gens de trop près. Comme il était la seule personne du pays à ne pas connaître son inconvénient, il attribuait à l’ignorance et au bas matérialisme des Clochemerlins l’empressement qu’ils apportaient à le fuir, et surtout à écourter toute conversation confidentielle, toute discussion passionnée. Les gens reculaient et lui donnaient raison, sans opposer d’arguments. Tafardel voyait là du mépris. Sa conviction d’être persécuté reposait donc sur un malentendu. Il en souffrait pourtant, car, naturellement prolixe, il eût aimé, étant instruit, à faire étalage d’érudition. Il concluait de son isolement que cette race de vignerons montagnards avait été abrutie par quinze siècles d’oppression religieuse et féodale. Il s’en vengeait en portant au curé Ponosse une haine vive – d’ailleurs platonique et purement doctrinale – et que tout le bourg connaissait.
Lorsqu’il devait avoir une conversation sérieuse avec l’instituteur, le maire l’entraînait à la promenade : de cette façon, il l’avait toujours de profil. Il faut dire aussi que la distance qui sépare un instituteur d’un gros propriétaire creusait entre eux un fossé de déférence qui mettait le maire à l’abri des émanations que Tafardel prodiguait face à face aux petites gens. Enfin Piéchut, en bon politique, utilisait à son profit la virulence buccale de son secrétaire. S’il désirait obtenir pour une affaire difficile le consentement de certains conseillers municipaux de l’opposition, le notaire Girodot, les viticulteurs Lamolire et Maniguant, il prétextait un malaise et leur dépêchait à domicile Tafardel, avec ses dossiers et son éloquence empestée. Les conseillers donnaient leur consentement, pour fermer la bouche à l’instituteur. Le malheureux Tafardel se croyait une force d’argumentation peu commune. Conviction qui le consolait de ses déboires en société, qu’il attribuait à l’envie que la supériorité inspire aux médiocres. Il revenait très fier de ses missions. Barthélemy Piéchut souriait silencieusement et frottait sa nuque rouge, ce qui était indice chez lui de profonde réflexion ou de grande joie. Il disait à l’instituteur :
- Vous auriez fait un fameux diplomate, Tafardel ! Dès que vous ouvrez la bouche, on se trouve d’accord.
- Monsieur le maire, répondait Tafardel, c’est l’avantage de l’instruction. Il y a une façon de présenter les choses qui échappe aux ignorants mais finit toujours par persuader.

De ce sourire nourri de réussites palpables, il enveloppait le fébrile Tafardel - un malheureux qui ne possédait pas un lopin de bonne terre, pas un pied de vigne -, avec cette pitié que les hommes d’action ressentent pour les écrivailleurs et les falots, qui s’attardent en billevesées fumeuses. Heureusement, l’instituteur était protégé de l’ironie par sa vertueuse ferveur et sa croyance aux missions émancipatrices. Rien ne pouvait l’atteindre ni le blesser que l’inexplicable recul d’un interlocuteur devant ses aphorismes corrosifs.

Depuis quelques années, l’instituteur attendait vainement les palmes académiques, qui lui auraient donné à Clochemerle un grand prestige. Cette récompense ne venant toujours pas, il se croyait des ennemis en haut lieu. En réalité, personne ne tenait les yeux fixés sur Tafardel, et c’était la raison simple de l’oubli. Les inspecteurs passaient rarement dans la région, et les ridicules du bonhomme ne le désignaient guère pour une distinction honorifique. Impression injuste, il faut le dire, car Tafardel faisait preuve d’un absolu dévouement professionnel. Il enseignait plutôt mal, étant en tout ennuyeux et doctrinaire, mais il enseignait avec application et conviction, sans ménager sa peine. Malheureusement, il mêlait à ses leçons des tirades civiques trop compactes, qui encombraient le cerveau des enfants, où elles se mélangeaient fâcheusement aux matières du programme.
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[...] ... Justine Putet entre en scène : parlons d'elle. Qu'on se représente une noiraude bilieuse, desséchée et vipérine, ayant mauvais teint, mauvais oeil, mauvaise langue, mauvais circuit intestinal, et tout cela recouvert d'agressive piété et de douceur sifflante. Un parangon de consternante vertu, car la vertu incarnée sous de pareils traits, est détestable à voir, et cette vertu d'ailleurs paraissait s'inspirer d'un esprit de vengeance et de misanthropie, plus que d'une naturelle aménité. Exaltée, brandisseuse de chapelets, fervente diseuse de litanies, mais aussi semeuse effrénée de calomnies et de paniques clandestines. En un mot, le scorpion de Clochemerle, mais un un scorpion camouflé en bête à Bon Dieu. La question de son âge ne se posait pas, ne s'était jamais posée.On peut lui donner un peu plus de quarante ans mais personne ne s'en souciait. Tout prestige physique lui avait été retiré dès l'enfance. Pas plus qu'elle n'avait d'âge, Justine Putet n'avait d'histoire. Morts ses parents, de qui elle tenait onze cents francs de rente, à vingt-sept ans elle avait entamé sa carrière de vieille fille solitaire, au fond de l'impasse des Moines, à l'ombre de l'église. De là, elle veillait jour et nuit sur le bourg, dont elle dénonçait les infamies et les concupiscences au nom d'une vertu que les hommes de Clochemerle avaient soigneusement laissée de côté.

Durant deux mois, Justine Putet observa les allées et venues autour de l'édifice et sa fureur chaque jour augmentait. Tout ce qui était viril ne lui inspirait que haine et ressentiment. Elle voyait les garçons agacer gauchement les filles, les filles provoquer hypocritement les garçons et l'entente peu à peu se faire entre les petites saintes-nitouches et les bons rustauds, spectacle qui lui donnait à penser que ces jeux acheminaient la jeunesse vers d'effroyables abominations. Plus que jamais, elle voyait les moeurs en grand péril, par la faute de l'urinoir. Enfin, l'impasse des Monies, avec les chaleurs, commençait à sentir fortement.

Après avoir longuement médité et prié, la vieille fille décida d'entreprendre une croisade et de porter son premier effort sur la citadelle la plus éhontée du péché. Bien garnie dans ses dessous de scapulaires et de médailles saintes, ayant mêlé le miel de l'onction à son venin, elle se rendit un matin chez la possédée du Diable, l'infâme, la chienne, Judith Toumignon, sa voisine, à qiui, depuis six ans, elle n'avait pas desserré les dents. ... [...]
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C'est donc vous ma bonne? Mais dites-moi donc, ma pauvre Madame Nicolas, est-ce vrai tout ce qu'on m'a raconté? Il vous arrive une chose bien affreuse...
-Affreuse, vous pouvez le dire, Madame Fouache !
-Votre pauvre Monsieur Nicolas, on m'a dit... Il a pris un mauvais coup... dans un endroit bien délicat...
-Pensez Madame Fouache ! Je suis bien inquiète...
Penchée sur le comptoir, et la main devant la bouche, Mme Nicolas donna des renseignements complets :
-Il les a toutes bleues dit-elle à mi-voix. Toutes bleues de la violence du coup ! C'est vous dire si le misérable à frappé...
-Toutes bleues ! Juste ciel, qu'est-ce que vous m'apprenez-là, Madame Nicolas ! Il y a du mauvais monde, quand même ! Toutes bleues, mon Dieu...
-Et c'est l'enflure...
-L'enflure dites-vous ?
Les deux poings fermés de Madame Nicolas vinrent s'appliquer l'un contre l'autre, figurant des dimensions jumelles très affligeantes.
-Comme ça...
A son tour Madame Fouache pressa ses poings fermés pour évaluer cette difformité qui passait les bornes de l'imagination.
-Comme ça ! Gémit la respectable receveuse-buraliste, avec une infinie détresse. C'est horrible, ce que vous me dites, Madame Nicolas !... le docteur les a vues ? Qu'en pense-t-il ?... il ne restera estropié, au moins, votre cher Monsieur Nicolas ? Quelle perte se serait pour la paroisse si un bel homme comme lui ne pouvait retourner à l'église en uniforme ! C'est bien de sa prestance qu'est venue la jalousie, il faut vous dire : le dimanche, on ne se lassait pas de l'admirer... Une fois - je vous parle d'il y a longtemps - mon Adrien aussi avait eu de l'enflure à cet endroit, à la suite d'un effort, Mais c'était bien moins conséquent : comme des œufs de poule de la petite espèce... Tandis que vous... Comme ça, vous dites ? Ce n'est pas croyable, ma pauvre chère dame ! Et le voilà bien abattu de ce coup là, votre Monsieur Nicolas ? Tout impotent, on dit ?
-Il faut qu'il reste sans bouger. Pensez, les hommes. Tout se tient là chez eux. Ça leur correspond dans tout le corps comme dit le docteur.
-Bien sûr, n'est-ce pas ? C'est curieux, forts comme ils sont qu'ils puissent être si fragiles d'un endroit ! Et c'est exposé quand on y pense !... Comment le soignez-vous
-C'est le grand repos, tout du long, et des compresses, des sortes de drogues qu'on étend dessus - et les tenir dans le coton, sans secousses. Ça me met en souci et ça me remue toute.
-C'est bien compréhensible. Allez, je vous plains bien !
-J'avais déjà ma large part d'ennuis, avec mes varices et ma hernie, Et Nicolas avec son air de santé, est bien sujet aux dérangements du ventre et aux tour de reins.
-Chacun a bien ses misères, allez ! Mais vous n'allez pas rester debout ? Venez donc vous assoir, ma bonne. Vous prendrez bien une tasse de café avec moi, pour vous remonter un peu. J'en ai justement du tout frais fait. Vous êtes dans l'ennui avec cette enflure je comprends bien. Et toutes bleues, vous dites ? Il ne faut pas vous laisser aller ma pauvre chère dame ! Passez donc de ce côté Madame Nicolas. En laissant la porte ouverte, je verrai entrer le monde. Je suis toujours dérangée, mais ça n'empêchera de causer...
Gabriel Chevallier - Clochemerle (1934)
Chapitre XIII, page 175 - Edition Gérard Delforge 1944
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Arriva la fameuse peste de 1431, dont les progrès foudroyants terrifiaient villes et campagnes. De partout alentour accouraient des malheureux qui venaient chercher refuge au bourg de Clochemerle, alors peuplé de treize cents habitants, On les accueillait, mais tout le monde était en grande crainte que l’un de ces réfugiés apportât le germe de l’affreuse maladie. C’est alors que le prieur rassembla toute la population. Les Clochemerlins firent vœu de se consacrer à saint Roch, le saint qui protège des épidémies, si le bourg de Clochemerle était épargné (...). En quelques mois, il y eut neuf cent quatre-vingt-six victimes (plus de mille, d’après certains chroniqueurs), au nombre desquelles se trouvait le prieur, ce qui ramena la population à six cent trente habitants, réfugiés compris. Puis le fléau disparut. Alors le nouveau prieur rassembla les six cent trente rescapés, pour débattre s’il y avait bien eu miracle de la part de saint Roch (...).
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Donc, une partie de la nuit, on but et l'on dansa. On but comme on sait boire à Clochemerle, c'est-à-dire beaucoup. On dansa comme on danse dans toutes les campagnes françaises, c'est-à-dire gaillardement, en étreignant fortement, sans excessif souci de la mesure et sans grâces inutiles, de bonnes matrones et des filles robustes, qui n'ont pas des corsages de la ville avec rien dedans, ni cette bizarre maigreur contre nature, qui doit rendre bien affligeantes les nuits des citadins qui ont des femmes à la mode.
D'ailleurs les meilleurs plaisirs de cette nuit dansante se prenaient hors de la zone lumineuse des lampions. On pouvait voir beaucoup d'ombres qui s'en allaient par deux, bien en deçà du bourg, et se glissaient dans les vignes. La noire profondeur des haies en était également peuplée. On ne saurait dire si tant d'ombres accouplées, infiniment discrètes, étaient maris et femmes, mais tout le monde avait l'obligeance de le croire, bien qu'une chose pût en faire douter : on ne surprenait entre ces ombres ni discussions, ni aucun échange de ces mots aigres-doux que des êtres vivant ensemble depuis longtemps ne cessent généralement de s'envoyer à la figure. On peut supposer que cette exceptionnelle retenue était l'effet de la température clémente et du bon vin. Car il serait immoral d'attribuer ce bon accord à de scandaleuses libertés prises avec les moeurs. Tout au plus pouvait-il se commettre quelques confusions parce que certains Clochemerlins, assez empressés auprès de la femme du voisin, ne pensaient plus à s'occuper de la leur, qui ne pouvait pas demeurer au milieu de la fête les bras ballants, comme une qui-ne-vaut-plus-la-peine. Heureusement, les Clochemerlins séparés de leur femme s'occupaient de celle des autres, ce qui fait que tout allait par deux, d'une manière peut-être un peu fantaisiste, mais qui ne laissait rien à désirer quant à la symétrie. [...]

Au demeurant, ces petits écarts avaient des motifs qui les faisaient excusables. À vivre très près l'un de l'autre, les époux finissent par trop se connaître, et plus ils se connaissent, moins il reste à découvrir, moins le besoin d'idéal trouve à se satisfaire. Ce besoin d'idéal, il faut le placer ailleurs. Les hommes le reportent sur la femme du voisin, ils lui trouvent un quelque chose qui manque à la leur. L'imagination travaillant là-dessus, ils en ont la tête pleine, de la femme du voisin, et ça les met dans des états impossibles, à s'en rendre malades, des fois, la cervelle toute tournée. Naturellement, on la leur donnerait, la femme du voisin, en remplacement de la leur, bientôt ça deviendrait tout pareil qu'avec l'ancienne, et ils recommenceraient de lorgner dans les environs. Et les femmes, de même, se montent la tête sur l'homme de la voisine, parce que cet homme les regarde mieux, par envie et curiosité, que leur hommes à elles, qui ne les regarde plus du tout, forcément. Elles ne peuvent pas comprendre que leur homme a cessé de les regarder parce qu'il les connaît dans tous les coins et recoins, et que l'autre qui les trouble avec ses jolies manières, dès qu'il aura fourré son nez partout, il se désintéressera aussi bien de la question. Ces inconséquences sont dans la nature humaine, malheureusement, et ça complique les affaires, et les gens ne sont jamais contents.
Ainsi la fête, chaque année, offrait l'occasion de donner corps aux illusions qui avaient occupé les têtes pendant des mois.
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