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EAN : 978B003B15MJE
CLOCHEMERLE. 90ème édition. (01/01/1940)
3.5/5   2 notes
Résumé :
223 pages. Un portrait noir et blanc, en planche.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Ouvrage peu connu de Gabriel Chevallier, d'un ton sensiblement différent de ses ouvrages précédents, "Ma Petite Amie Pomme" est au départ une expérience littéraire dont le contexte est mal connu, mais qui semble s'appuyer sur un point autobiographique. Ecrit par épisodes entre 1931 et 1940, ce récit, qui hésite entre le témoignage et l'exercice de style, narre l'amitié profonde, charnelle, sauvage parfois, aux frontières de l'ambiguïté la plus dérangeante, entre Gabriel Chevallier et la petite fille d'une de ses voisines. Personnalité solaire et rayonnante, l'enfant est dès son plus jeune âge une boule d'énergie dont Gabriel Chevallier rend compte avec une application quasi-administrative de chacun des traits de caractères, des évolutions intellectuelles et des "mots d'enfants" les plus éminents. Consigner toutes ces anecdotes au fil des années permet à l'auteur une très grande richesse de témoignages et de descriptions, malgré la brièveté de son ouvrage. Il est vrai qu'il n'y a pas d'histoire à raconter. On ne saura même pas comment exactement l'auteur a rencontré la mère de la petite Pomme (de son vrai nom Aline, mais que tout le monde surnomme ainsi), ni pour quelle raison exactement il semble omniprésent dans ce cercle de famille, toujours attablé, assis, invité à dîner... Il se décrit rarement en train d'arriver chez cette voisine ou d'en repartir. il semble toujours être là, à se demander s'il ne dort pas sur place. Pourtant, la mère de Pomme n'est pas divorcée ou veuve : il y a bien un mari qui vit avec elle, mais qui semble perpétuellement absent, faisant de brèves apparitions, pour fuir la pièce rendue bruyante par la petite fille, laquelle ne semble guère se soucier de ce père absent.
Pour autant, Gabriel Chevallier s'installe dans un double rôle de témoin privilégié et d'amoureux bizarre. Tout l'intérêt de son récit repose sur le fait qu'il n'est pas le père de Pomme, et qu'il n'a pas de statut défini auprès d'elle, bien qu'elle le voit installé dans sa maison depuis quasiment sa naissance. N'ayant pas d'enfants, il ne ressent pas d'entrée de jeu quelque chose de très filial pour la petite fille, qu'il décrit comme une masse mouvante de chair gélatineuse qui l'intrigue et le dégoûte. C'est l'éveil progressif de l'intelligence de cette petite fille qui aiguillonne sa curiosité, bien que la plupart du temps, le ton de Gabriel Chevallier relève d'une exaltation froide et méthodique, comme le ferait un savant parlant d'une expérience en cours ou d'un dresseur de chiens de l'un des membres exemplaires de sa meute.
Ce qui fascine Gabriel Chevallier, c'est la manifestation très précoce d'une rouerie calculatrice chez la petite Pomme. Enfant extravertie et volontiers aguicheuse, Pomme n'apprend les règles morales imposées par les grandes personnes que dans la perspective immédiate de les transgresser et de passer outre. Gabriel Chevallier s'émerveille de cette enfant volontiers sournoise, mais d'une redoutable franchise dans sa volonté affirmée d'échapper aux punitions, d'aller là où c'est interdit, voire de faire accuser des petites camarades de classe des bêtises qu'elle a faites elle-même.
Fidèle à sa philosophie plutôt libertaire qui le pousse à condamner toute forme de morale pédagogique, Gabriel Chevallier devient vite aux yeux de Pomme une sorte de complice, qui se tient à la fois dans le monde des "grandes personnes", mais aussi dans le sien propre, car loin de la morigéner sur le plan moral, il prend volontiers le parti de l'enfant quand elle se rebelle contre l'autorité ou la morale religieuse.
Si l'on comprend volontiers l'intérêt littéraire de cette étrange relation fusionnelle entre un adulte et une enfant, il faut bien reconnaître que Gabriel Chevallier pousse les choses tellement loin qu'il serait difficile de rééditer aujourd'hui un tel livre, et plus encore de le publier comme un ouvrage neuf. Car Gabriel Chevallier ne cache pas que ce qui le passionne le plus, plus que l'évolution de cette enfant, c'est la naissance progressive de la femme en elle, de la mentalité féminine type, dont la rouerie, la duplicité, le goût du mensonge et de la manipulation se révèlent à ses yeux comme les prémisses d'un éternel féminin volontiers misogyne.
Cependant, autant à certains moments, la perversité naissante de cette petite fille le pousse à une froideur brusque et à une prise de distance soudaine, autant à d'autres moments, il n'hésite pas à se rouler par terre en jouant avec elle, ou à aller la câliner dans son lit en allant toucher son "ventre potelé". Certains passages de cette confession tout à fait décomplexée sont de ce fait atrocement gênants, quoique rien d'ouvertement sexuel ne soit abordé, et que notre vision moderne d'une situation comme celle-ci soit clairement orientée par cinquante ans de faits divers traumatisants. Gabriel Chevallier n'hésite d'ailleurs pas à condamner à deux reprises la pédophilie, présentée soit comme un "vice répugnant" soit comme une "manie honteuse de vieillard". Pour lui, ce qui est tactile ou charnel n'a rien à voir avec le sexe, surtout avec une petite qui, comme tous les enfants, a tendance à chercher naturellement la tendresse auprès d'adultes en qui elle a confiance. Parce que l'enfant est pure, lui-même se sent pur en la rejoignant dans des moments de tendresse ou de contact physique. Pour autant le redevient-il vraiment, ou n'est-ce qu'un prétexte commode pour justifier une pulsion malsaine ?
Même en étant le plus objectif possible, il est hélas difficile d'émettre un jugement, ce qui est malheureusement une façon de le faire. Certes, la société française, durant la première moitié du XXème siècle, était bien moins sexuée que celle de ce siècle-ci. le sexe était alors quelque chose de réservé à l'intime, et que l'on n'imaginait pas déborder dans un contexte familial, surtout s'il était empreint de morale religieuse (on a pu mesurer depuis à quel point elle était peu fiable sur ces choses-là). On peut donc se dire que le soupçon et l'écoeurement que l'on ressent parfois sont anachroniques. Néanmoins, ils sont constamment alimentés par le fait que, outre que cette grande familiarité avec un couple de voisins n'est jamais justifiée ni explicitée, et que cette lacune à quelque chose de suspect, Gabriel Chevallier, en se barricadant dans sa vision scientifique, naturaliste, tout en laissant une ouverture à une régression infantile moralement "pure" à ses yeux, s'arrange surtout pour éviter toute remise en question, expliquant au final que Pomme est "à l'abri de l'impudicité parce qu'elle ignore la pudeur", caractéristique qu'il étend au final à toute la relation fusionnelle qu'il partage avec elle. Or si on peut comprendre son point de vue, on peut aussi juger que ce point de vue est un prétexte bien commode...
Autre élément suspect : la toute fin du récit se termine par une lettre, une lettre écrite directement à celle que désormais il ne veut plus appeler autrement que par son vrai prénom, Aline. Alors que durant tout le récit, il n'a parlé d'elle froidement qu'à la troisième personne, comme une créature étrange ou comme un animal familier, il prend congé d'elle alors qu'elle vient d'avoir quinze ans, en la mettant en garde, avec un certain pessimisme, contre les épreuves et les dangers de la vie d'adulte qui l'attendent. Si l'on sent percer dans cette lettre sincère, émue, quelque chose qui s'apparente à l'inquiétude que suscite un véritable amour filial, il y a aussi quelque chose d'étrangement funeste, pour ne pas dire funèbre, qui fait avant tout de cette lettre finale, il est vrai rédigée dans le contexte douloureux de l'Occupation, quelque chose qui s'apparente à une lettre d'adieu ou à une lettre de rupture. Car s'il a infiniment de tendresse pour la jeune Aline, il semble regretter d'une certaine manière la "mort" de sa petite amie Pomme, remplacée par une belle jeune fille avec laquelle il n'est plus possible d'échanger la moindre tendresse. Cette rupture consommée par la force du temps qui passe, bien qu'à quinze ans on ne soit pas encore un adulte très affirmé, me semble un témoignage plus grave d'une authentique pédophilie, peut-être plus amoureuse que réellement charnelle, mais qu'il n'est quand même pas possible de cautionner.
Pour tout cela, et parce que c'est aussi un livre merveilleusement écrit par un observateur aguerri de l'âme humaine, "Ma Petite Amie Pomme" est un livre dont la lecture est tour à tour plaisante et malaisée, paradoxalement bien plus que dans un roman de Roger Peyrefitte ou de Gabriel Matzneff, tous deux finalement assez soucieux de teinter de romance et d'émotion leurs relations avec des mineurs. Chez Gabriel Chevallier, il n'y a ni amour, ni sexe, mais quelque chose d'instable et d'arbitraire, tantôt cérébral, tantôt primitif, qui balance entre la considération naturaliste froide et un goût marqué pour la sauvagerie de l'enfance et son naturel amoral empreint d'un anarchisme qui s'ignore. Tour à tour méthodique et exalté, Gabriel Chevallier apparaît finalement dans une relation de nature psychopathe, soigneusement maîtrisée par un esprit fort mais que l'on sent imperméable aux conséquences de ses actes. Cela fait donc un peu froid dans le dos, même s'il ne faut pas exclure que le caractère volontiers expiatoire d'un tel récit, doublé du souci angoissé et rigoureux pour l'écrivain de fixer pour la postérité une période instable et éphémère de sa vie affective, contribuent à donner peut-être à ce roman une sorte d'urgence maniaque qui dramatise à outrance une série d'émotions qui n'ont peut-être pas été ressenties aussi maladivement qu'il le paraît.
Publié d'abord fin 1940 à compte d'auteur, "Ma Petite Amie Pomme" fut véritablement livré au grand public l'année suivante, par les Presses Universitaires de France, à l'époque où les critiques littéraires avaient bien d'autres soucis que de fustiger les soudaines moeurs bizarroïdes de l'auteur de "Clochemerle", déjà célèbre pour sa crudité dans la gauloiserie. Personne ne sembla voir quelque chose d'inquiétant dans ce petit livre. Aujourd'hui, évidemment, il en serait tout autrement, mais les amateurs de curiosités littéraires et de livres insolites ou sulfureux trouveront dans ce récit ambigü, mais dense et superbement écrit, de quoi assouvir leurs curiosités diverses, voire inavouables...
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