Nous serons les derniers (BD)

Comme prévu, il me flanque une claque magistrale, et j’en vois trente-six chandelles. Mais je sais que je dois réagir à vif, sous le coup de l’adrénaline, ne pas laisser à la douleur ni aux émotions le temps de me submerger. Je panserai mes plaies plus tard.Je me colle à lui, les deux mains sur ses épaules. Il ne s’attend pas à ça. J’en profite, et lui balance un coup de genou digne de la plus belle des castrations.Le souffle coupé, il s’écroule au sol. Il se recroqueville comme la pauvre petite merde qu’il est.

Qu’il trouvera quelqu’un d’autre, plus réceptif que moi à ses sentiments amoureux, et tout le bla-bla.Mais la vérité, c’est qu’on ne sait pas de quoi sera fait demain. On n’a jamais su. Et personne ne peut supporter l’idée de crever sans être aimé. C’est intolérable, inacceptable.D’ailleurs, s’il n’y avait pas eu toutes ces histoires d’effacement, est-ce que Marcel m’aurait avoué ses sentiments ? Il sait que, même si je ne suis pas un tombeur comme Évan, je suis attiré par les filles.

Elle est plutôt grande, et ronde. Peut-être même grosse. Mais belle, je crois.Elle porte une longue robe de couleur claire, serrée par un lien, juste sous la poitrine. Elle a les cheveux très courts, d’un étonnant blond platine. De petites mèches viennent virevolter autour de son visage au teint doré, éclairé par d’immenses yeux verts, fulminants de colère, et encadré par d’énormes créoles en or.Son allure générale détonne avec la façon dont elle est en train d’humilier ce type. Quelque chose me dit qu’il ne l’a pas volé.

Il n’y aurait pas d’effacement, en vrai, mais les gens seraient emmenés dans des prisons souterraines, par une coalition de tous les gouvernements de la planète, pour y être éliminés, et réduire ainsi la population mondiale de façon drastique.Repartir sur des bases saines, quoi. Dans ce cas, plus qu’à espérer faire partie du bon camp. Je me demande, si nos élites se fondent sur des données génétiques, et donc objectives, quelles sont mes chances de m’en tirer ? Plutôt minces, à mon avis.

Qu’est-ce qu’elle est jolie ! Grande, mince, tout ce que je ne suis pas. Et elle a un de ces styles ! Aujourd’hui, elle arbore de larges lunettes noires qui lui bouffent la moitié du visage et un gigantesque chapeau de paille. J’adore !Non pas que je sois en reste, niveau style. Mais on va dire que je donne plus dans la provoc. Normal, aussi, quand on est une nana bien enrobée comme moi. En fait, j’avais le choix. Soit je m’effaçais sous de grands tee-shirts informes, et tout le monde se serait cru permis de me prendre en pitié. Soit j’assumais mes courbes « girondes » et je claquais la tronche du premier qui s’avisait de se foutre de ma gueule.

J’ai une pensée émue pour Annie, mon assistante sociale, aussi. Elle avait l’air de quelqu’un de bien. Elle n’aurait jamais pu faire quoi que ce soit pour m’aider, mais, en tout cas, elle ne m’a jamais emmerdée.Je me souviens de ses grands yeux tout doux, on aurait dit ceux d’une biche aux abois. Pour un peu, c’est moi qui aurais eu de la peine pour elle, moi qui aurais eu envie de la protéger.

Nous ne sommes pas les premiers à qui cela arrive. D’autres nations ont disparu avant la nôtre, parfois plusieurs d’un coup. Aux dernières nouvelles, en Europe, il ne restait que nous et nos plus proches voisins. Quelques pays épars en Afrique et en Asie, aucun en Amérique du Sud ou du Nord, peut-être quelques îles, pour ce que j’en sais.

Je ne comprendrais jamais ce qui a réduit ma mère à l’état de loque, ce qui faisait qu’elle était si malheureuse, au point de ne plus supporter de vivre sans le filtre cotonneux des médocs et de l’alcool.

Décidément, dans mon esprit, dans mon cœur, dans mon ventre même, ce sont les montagnes russes. Toutes les émotions se mélangent, créant un maelström douloureux. J’ai un mal de crâne à me fracasser la tête contre un mur et une envie de gerber digne du seul lendemain de cuite que j’ai jamais connu, à l’anniversaire de Yanis au printemps précédent.

Si on veut survivre, ce sera ensemble.Et, quand on sera tous les deux, je pourrais peut-être me laisser aller à pleurer.