17 mai [2010]
C'est terrible sans doute, mais nous ne pouvons prétendre connaître une personne que le jour où elle nous confie sa détresse, sa blessure secrète. Toute relation qui s'approfondit accouche de cet aveu d'un malheur enfoui, d'un tourment incessant, d'une incapacité à vivre. (p. 195)
Notre petit château individuel de science et de culture où se mélangent et se fracassent entre eux tous les styles, avec une porte imposante, une tour maîtresse plutôt fière, presque droite, puis des renforts de tôle et de carton sur les ailes et des emprunts incongrus, des blocs venus de l’autre bout du monde, montés à l’envers, mal jointoyés, tenus par un mortier de salive, et dont la silhouette baroque, branlante, comique, se hérisse d’inutiles pignons, de gargouilles intarissables, de flèches rompues, d’antennes vibrantes et d’une unique girouette qui fait tourner toute la bâtisse sur son axe, ce château toujours en chantier, rattrapé par la ruine, assiégé en permanence par les châtelains du voisinage et dont un seul termite fragilise la charpente et fait pleuvoir les tuiles – se découpe sur le ciel blanc, le ciel béant de notre ignorance sans fond ni bords.
30 octobre [2009 ]
Les volumes de ma bibliothèque sont si étroitement serrés les uns contre les autres que la dernière phrase de chaque livre s'articule par force avec la première de celui qui le suit sur le rayonnage, et il en résulte de beaux effets de littérature que nul esprit n'aurait pu concevoir. (p. 42)
Tout le monde s’accorde à reconnaître que le baseball est un sport absurde et incompréhensible. Il est en effet bien aisé de deviner que ses règles aberrantes ont été fixées par des casseurs et criminels désireux de favoriser la libre circulation de cette arme terrible : la batte, dont le véritable usage nous est révélé trop souvent au travers de faits divers sanglants. Reconnaissons toutefois que l’invention prétexte de ce prétendu sport collectif dénote chez ces brutes un esprit de ruse et d’astuce qui fit par exemple complètement défaut à Mikhaïl Timofeïvitch Kalachnikov.
3 février [2010 ]
L'auteur n'a-t-il donc aucune pitié pour ses livres dispersés dans les librairies, maniés par des mains désinvoltes, soumis à tous les affronts, à la honte de la mévente dans la promiscuité des marchandises imprimées les plus viles et les plus demandées, sans cesse en butte au mépris et à l'indifférence, tandis que chez lui, entouré d'affection, bien au chaud, la pipe entre les dents et les pieds dans ses pantoufles, il élabore avec application une nouvelle oeuvre destinée à mourir sous les outrages ? (p. 110)
«Bêtes de littératures» avec Éric Chevillard
Hérissons, orangs-outans, tortues, flamants roses, insectes… Les bêtes peuplent les livres d’Éric Chevillard. S’interrogent à cette occasion les enjeux de la présence d’animaux, et par là d’altérités non humaines, dans la littérature. Comment rendre compte, avec l’écriture, d’intensités animales au-delà de l’allégorie ou de la fable ? Donner vraiment la parole aux animaux, est-ce pour autant se couper du symbolique ? Et l’humour dans tout cela ? L’entretien sera ponctué d’une lecture d’extraits de «Zoologiques» (Fata Morgana, 2020).
- Modération : Sandra de Vivies
La Fondation Jan Michalski, le 11 septembre 2021
+ Lire la suite