Comme son nom l'indique, Chevillard a relu et corrigé le conte des frères Grimm.
Je résume pour le lectorat plus jeune, bercé par Tom-Tom et Nana plutôt que par les classiques : ce pauvre petit tailleur abat son torchon et tue sept mouches d'un coup. Tout fiérot, il se coud une ceinture brodée "Sept d'un coup" et part à la conquête du monde, précédé par sa réputation de tueur.
Chevillard aime les contes, s'adresse familièrement aux frères Grimm, et partant de là il brode, lui aussi. Il enjolive, il imagine des fins alternatives, il laisse courir sa plume avec inspiration et poésie.
Il invente des défis nouveaux au petit tailleur, tel celui-ci : "Produire devant un collège d'entomologistes éminents le petit pyjama pelucheux qui leur prouvera que les papillons de nuit sont les mêmes que ceux du jour."
Le résultat est un conte revisité, truffé de réflexions sur la littérature... et de punchlines pleines d'humour.
C'est très bien écrit et très drôle, mais je l'ai trouvé un peu superficiel et un petit peu longuet par endroits.
Challenge Solidaire 2024
Challenge Départements (Vendée)
Club de lecture février 2024 : "La PAL fraîche"
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TOUT ÇA POUR ÇA ?
D'une manière générale, je n'aime guère descendre un livre. D'abord parce qu'il en faut pour tous les goûts, ensuite parce que selon l'humeur du moment, on peut aussi bien passer à côté d'un ouvrage génial qu'en trouver un autre bien mieux qu'il n'est en réalité, parce qu'on a eu l'idée de l'ouvrir pile dans la seule bonne fenêtre de tir de sa propre petite existence. Bref, trop d'irrationnel et de subjectivation pour se donner le droit de dire à son prochain tout le mal qu'on pense du bouquin que l'on referme à peine.
Pourtant... Combien je regrette parfois de n'être pas de ces lecteurs qui savent mettre un bouquin qui ne leur plait pas au rencard ; combien je désespère, parfois, de m'astreindre à aller jusqu'au bout du bout d'un pensum entamé la veille ou l'avant veille ; combien je me hais, parfois, d'avoir ce genre de TOC du lecteur viscéral et compulsif incapable de s'avouer vaincu par un texte qui se rebiffe, qui se dérobe, qui agace !
Car de l'agacement, j'en ai éprouvé presque dès la première page, dans cet avant-dire prétentieux qui sert de préambule au livre que j'achève à l'instant, en sueur et décati, le vaillant petit tailleur de M. Eric Chevillard.
Pour ma défense, je dois avouer que c'était un livre offert à ma Douce -et que je n'aurais très probablement jamais acheté et lu sans cela -, que je ne suis pas très fan des ouvrages publiés aux éditions de Minuit d'une manière générale (A l'exception notable des ouvrages de Claude Simon), et que je n'avais a priori rien contre Eric Chevillard, mais rien pour non plus. En bref : le bouquin qui traîne depuis si longtemps sur sa table de chevet qu'un beau matin on s'en empare en se disant qu'après tout, pourquoi pas ?
Hélas, cette exaspération des premières pages s'est très vite transformée en horripilation, en crispation. N'était le fait que je déteste me fâcher, la colère n'était pas bien éloignée.
Car de quoi s'agit-il au fond ? D'un exercice de style -brillamment exécuté mais insupportable -, d'une broderie -au sens propre et avec jeu de mot- autour du conte, il est vrai pas des plus passionnants, du vaillant petit tailleur que l'on peut découvrir parmi Les contes de Grimm, des fameux frères du même nom. J'avoue aussi -puisque nous en sommes aux aveux de toute sorte- leur préférer, et de loin, ceux de Perrault ou ceux d'Anderson, pour ne citer que ces deux-là. Mais bon, pas de quoi en faire un fromage. Ni une tapisserie, fût-elle de Bayeux ou d'Aubusson. Or, notre auteur (il s'en vante assez, de l'être, sous forme d'auto-dérision tellement répétée qu'elle en devient parfaitement factice et suspecte) a décidé, sans que nul ne lui le demande probablement jamais, de couvrir de ses points -de croix ou d'Alençon, qu'importe- de ses virgules, et de toutes autres matières vocabulistiques de remplissage quelques deux cent pages d'un humour qui ne cesse de se répéter, d'une écriture certes vive et enjouée mais qui sent à mille lieues (sans les bottes) son faiseur, son fabriquant de bons mots à la chaîne. Qui, comble du comble, semble m'avoir à ce point contaminé que je ne puis, sans prétendre au talent de M. Chevillard vous voudrez bien m'en excuser, m'empêcher de me rendre coupable des mêmes vices, des mêmes ficelles, des mêmes facilités.
Alors oui, c'est parfaitement exsangue, épuisé, malmené mais sans joie - certains autres livres peuvent tout à la fois vous pousser au bout de vous même, et vous trouver grandit et heureux tout en même temps. Ici, non -, énervé d'avoir passé temps de temps à parcourir ces pages tellement suffisantes, aux ressorts repris, réutilisés autant de fois que possible, aux loufoqueries attendues et sans drôlerie à force de pousser à la roue, d'un auteur qui ne cesse de nous expliquer combien il déteste/adore les contes, les Grimm, les mondes merveilleux de l'enfance, sa vie, le petit tailleur, l'armée, son fusil à plomb, etc. A force, on finit par ne plus bien savoir et le comble, c'est qu'on prend le parti de s'en ficher. Ainsi en est-il, en tout cas me concernant, pour les auteurs qui, sans doute trop doués du verbe, finissent par se regarder écrire comme d'autres s'écoutent parler. Je crains -mais sur un seul ouvrage, c'est tout de même une lourde accusation- qu'Eric Chevillard ne soit de ces écrivains-là. Dommage.
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Tel est l'art de la narration, qui ménage les pauses et les diversions pour exciter artificieusement l'intérêt. J'ai appris la leçon chez les plus grands (...)
- J'attends un enfant, lui dit sa compagne.
- Bonne nuit à toi aussi, répond le lecteur sans lever les yeux de mon livre.
- Le médecin pense qu'il a deux têtes, reprend-elle.
- Comme tu voudras, ma chérie.
Si bien que notre fanfaron se trouve simultanément projeté dans les airs et à une altitude telle que nous voici tous autant que nous sommes privés de héros pour un bon bout de temps, que faire, que faire, je profiterai si vous voulez bien de son absence pour débattre d'un point qui me paraît capital : j'ai suivi pour raconter cette scène la leçon des frères Grimm, elle-même fondée, dois-je le rappeler, sur le récit chevrotant de Kassel.
Ce nuage de poussière à l'horizon, c'est la cavalerie du vaillant petit tailleur. Cette forme sombre et imposante qui se découpe au loin sur le ciel, c'est le château. Il se rapprochent. Ils se rencontreront avant la nuit, ayant parcouru chacun la moitié du chemin.
Le vaillant petit tailleur ne serait-il donc pour l'auteur de ces lignes qu'une figure de rhétorique, un élément juste un peu plus voyant et sautillant de sa syntaxe, l'agent grammatical chargé des tours nouveaux et des effets de poésie? Voilà comment il faudrait comprendre et chérir le marmouset? Et ne point s'émouvoir jamais que de sa culbute et de son rétablissement? Applaudir ses sauts périlleux, sa marche sur les braises, sa course en rond avec la queue du tigre entre les dents, la musique de la scie sur ses os et le prodige de sa résurrection, sa danse au-dessus de l'abîme sur le fil de son lacet dénoué, mais refuser d'y croire quand simplement il se mouche, quand il pleure, quand il demande l'heure, quand il est visité par un songe?
Pour vous débarrasser d'un géant, donnez-lui un livre. Car il en va ainsi de tous les géants, et c'est pourquoi il est si rare d'en rencontrer un, ils lisent recroquevillés sur des livres aux formats trop petits pour eux et néanmoins capables de les absorber complètement, littéralement, ils disparaissent.
Je rappelle en passant que le souci de vraisemblance est une préoccupation de menteur.
Lorsque les géants émergent de leur lecture, on parle de tremblements de terre, d'éruptions volcaniques, d'avalanches, d'éclipses, leur grosse tête occultant le disque solaire, ce dont ils sont les premiers contrits puisque cette obscurité les empêche de lire.
«Bêtes de littératures» avec Éric Chevillard
Hérissons, orangs-outans, tortues, flamants roses, insectes… Les bêtes peuplent les livres d’Éric Chevillard. S’interrogent à cette occasion les enjeux de la présence d’animaux, et par là d’altérités non humaines, dans la littérature. Comment rendre compte, avec l’écriture, d’intensités animales au-delà de l’allégorie ou de la fable ? Donner vraiment la parole aux animaux, est-ce pour autant se couper du symbolique ? Et l’humour dans tout cela ? L’entretien sera ponctué d’une lecture d’extraits de «Zoologiques» (Fata Morgana, 2020).
- Modération : Sandra de Vivies
La Fondation Jan Michalski, le 11 septembre 2021
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