AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Ta-Wei Chi (Autre)Olivier Bialais (Traducteur)Gwennaël Gaffric (Traducteur)Coraline Jortay (Traducteur)Pierrick Rivet (Traducteur)
EAN : 9782360572533
207 pages
L'Asiathèque - maison des langues du monde (26/08/2020)
4/5   22 notes
Résumé :
Recueil de six nouvelles qui interrogent les dérives de la société contemporaine entre technicité et normativité des identités : "La guerre est finie", "L'après-midi d'un faune", "Dans son oeil, dans ta paume, s'ouvre une rose", "L'éclipse", "La comédie de la sirène", "Perles"
Que lire après PerlesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
« Si tu scrutes longtemps l'abîme, l'abîme te scrute à ton tour ». Cette citation de Nietzsche, présente dans ce livre mais également dans son roman « Membrane », résume à merveille l'oeuvre foisonnante et bouillonnante de Ta-Wei Chi qui mêle science-fiction et quête d'identité de façon quasi expérimentale.

Un délice de perles nacrées, exotiques, parfois sombres, souvent étranges, à l'éclat magnétique, à la rondeur sensuelle, voire érotique, à la grosseur reflétant la richesse contenue dans chacune d'elles…Six nouvelles très disparates qui rebondissent avec sensualité, avec grâce, parfois avec folie, dans lesquelles nous retrouvons les thèmes et les obsessions de Ta-Wei Chi entraperçues dans son roman « Membrane ». Il est d'ailleurs intéressant de lire ces deux livres l'un à la suite de l'autre pour plonger totalement dans l'univers de cet auteur taïwanais. On y trouve, au-delà des problématiques liées à l'homosexualité, à l'incomplétude des êtres, à la quête d'identité et de genre, des références culturelles identiques mettant en valeur la constance des thématiques qui peuplent l'imaginaire de l'auteur malgré les années qui séparent parfois ces différentes nouvelles. En effet certaines sont récentes alors que d'autres ont été écrites alors qu'il était étudiant.

La nouvelle intitulée Perles ouvre le livre. de l'aveu même de Ta-Wei Chi, c'est sa première nouvelle écrite depuis vingt ans, en 2019, la première écrite de ce millénaire et c'est sans doute la nouvelle la plus déjantée, la plus créative, celle qui contient le plus grand nombre de thèmes chers à l'auteur. Un écrit de science-fiction queer assumé, mûri, un exutoire dans lequel l'auteur s'affranchit de toute contrainte et de toute limite dix ans après son retour à Taïwan. C'est un délire d'audace, j'ai pris un plaisir fou à découvrir ce premier texte.
Dans une ville post-Ravage (catastrophe planétaire durant laquelle trois astres, symbolisant les extra-terrestres, ont fait disparaitre l'ensemble des parents humains, ceux-ci étant la cause des traumatismes des enfants et de leurs pires cauchemars), deux hommes, Gros Ours et Petit Lapin, nouent une relation homosexuelle. L'orientation sexuelle n'est plus un problème dans cette société dans laquelle tous les repères sont changés : les relations ouvertes sont prônées et au cercle symbole de la famille est préférée désormais la société basée sur les carrés, le cercle rappelant trop les trois astres meurtriers. Ce qui importe désormais c'est la FPI (Fréquence des pulsions d'intimité) qui permet de déterminer la fréquence idéale de rapports sexuels pour un couple compensant ainsi l'absence de famille et permettant un certain équilibre dans la société. Cette intensité sexuelle peut même être indiquée dans la déclaration d'impôt pour bénéficier de la réduction légale (si si…). Les deux FPI de Gros Ours et de Petit Lapin n'étant pas exactement le même, Petit Lapin, qui a besoin d'assouvir plus souvent ses besoins, va rencontrer Ameng, un être hybride, constamment en tenue de plongée sous-marine, hybride tout comme lui qui n'a pas de jambes. Leurs deux parties de corps peuvent se démonter, se combiner, s'imbriquer comme des pièces de Lego. Fou n'est-ce pas ? Savoureux je dirais ce cyberpunk romantique ! Sous couvert d'un conte un brin absurde, c'est la notion d'identité et de genre, de l'acceptabilité de corps différents, de l'évolution des rapports sexuels et sociaux, du polymorphisme, qui sont appréhendées non sans un certain humour. Cette incomplétude des êtres était centrale et questionnée dans le roman Membrane. Elle est ici plus assumée et fait partie d'une certaine normalité.

La deuxième nouvelle, « L'après-midi d'un faune », est une nouvelle très différente, éloignée de la science-fiction. Un conte fantastique onirique dont le titre a été choisi pour rendre hommage à la culture française. La question du miroir, de l'identité multiple, de l'envoutement sont des questions au centre de cette nouvelle, thématiques que nous retrouvons dans plusieurs autres nouvelles.

Le titre de la troisième nouvelle « La guerre est finie » provient également d'une référence française, c'est en effet un hommage à Alain Resnais. Cette nouvelle résolument SF, de facture plus classique comparé à Perles, n'en est pas moins passionnante. Elle donne la voie à Meimei, une aDome, c'est-à-dire un humanoïde créé pour être la compagne d'un soldat de l'espace. Dans une galaxie étrangère en effet, le sentiment de solitude est inévitable et, pour éviter des relations intimes entre soldats, l'armée a ainsi créé pour ses troupes célibataires une compagnie apaisante, pour s'occuper de la maison et assurer un service sexuel. Chaque aDome est créée spécifiquement pour une personne via une réalité augmentée. Une relation pas si parfaite comme on s'en doute surtout lorsque l'homme rentre définitivement, la guerre étant finie…Un très beau texte métaphorique sur la condition homosexuelle d'une touchante beauté…

« Mon corps est aussi banal que celui de n'importe quel autre aDome, mais par l'intermédiaire de mon dispositif de réalité augmentée, lorsque mon mari s'approche de moi, il éprouve la douceur parfumée de ma peau (ce dispositif est calibré pour mon mari, si un autre violait mon intimité, il ne pourrait en extraire les délices qu'obtient mon mari à mon contact. de cette façon, mon mari ne pense pas à l'adultère, ni à la pornographie (ce dont se félicitent ses supérieurs » ; et aux yeux des autres je ne suis qu'une poupée banale et sans relief ».

La quatrième nouvelle « Eclipse » est très étrange et met en valeur une forme de marginalité provenant des personnes qui aiment manger des insectes alors que la société les rejette, détestant les insectes. En effet, cette pratique est réprouvée par la société car elle peut conduire à contracter une grave maladie, l'AITS (allusion transparente à l'AIDS, abréviation anglophone pour le SIDA). Il est intéressant de voir que la personne marginale assume totalement son inclination tandis que son frère, plus dans la norme de cette société, est en pleine quête d'identité. Mais le coeur de la nouvelle n'est pas là, elle se situe dans la famille homosexuelle et l'éducation homosexuelle que ces deux enfants ont eu. C'est un récit onirique, oppressant, à la beauté singulière qui, dans sa singularité et sa folie, se rapproche de la nouvelle Perles, première nouvelle du recueil.
« L'éclipse solaire totale qui a lieu en ce moment m'affecte : bien qu'il soit exceptionnel de pouvoir assister à un tel phénomène au milieu d'une existence ennuyeuse faite de données numériques – c'est même un plaisir rare, disons-le -, être témoin de la disparition temporaire du mouvement de l'univers rend inévitablement anxieux ».

La cinquième nouvelle au titre énigmatique « Au fond de son oeil, au creux de ta paume, une rose rouge va bientôt s'ouvrir », la plus psychédélique, certainement la plus radicale, porte sur la question de la vérité. La véritable vérité est-elle la réalité fabriquée ? La vérité sous drogue (la fameuse drogue du Miroir noir dans le texte) est-elle une réalité comme une autre à l'heure où le monde s'est écroulé ? Une drogue capable d'explorer les abîmes mentaux des consommateurs et de sonder leurs motivations et leurs désirs. Cette nouvelle montre, comme dans Membrane, le rôle et l'emprise des entreprises capitalistes colossales, incarnant désormais, à la place des nations, la puissance présidant au destin des hommes. Oeuvrant au dépeçage des planètes de la galaxie, elles se font une concurrence féroce et une d'elle, SM, vend des produits simulés de substitution. le miroir noir. « La compagnie propose par exemple de ressentir virtuellement la lumière du soleil ou de déguster de la viande de boeuf artificielle, en manipulant et en asphyxiant les systèmes nerveux des consommateurs ». L'immoralité, l'illégalité, les questions éthiques sont sous-jacentes. C'est là encore un texte à la beauté venimeuse. Et là encore la famille homosexuelle et l'éducation homosexuelle sont présents en filigrane du texte (allant même jusqu'à présenter des hommes pouvant se reproduire entre eux), nous le comprenons à la toute fin de cette nouvelle labyrinthique et apocalyptique.

Enfin la dernière nouvelle, « La comédie de la sirène » est un récit dans le récit. On y voit un étudiant (l'auteur l'a d'ailleurs écrite alors qu'il était lui-même étudiant) composant un conte, à la fois cruel et beau, érotique et poétique, non dénué d'un humour décapant, sur une sirène qui rêve de devenir femme afin de pouvoir s'unir à un homme dont elle est tombée amoureuse. Elle réalisera son voeu et s'apercevra vite que le fait d'être pénétrée violemment par le corail rouge de l'homme est très loin de ce qu'elle croyait, notamment si loin du fameux baiser qui lui permettra de retrouver sa voix de sirène.

Original, intelligent, pétillant, poétique, touchant, parfois délirant, ce recueil m'a conquise. Son exotisme, sa radicalité, son coté envoutant font de ces nouvelles des textes marquants. Voilà une lecture singulière très immersive qui sort totalement des sentiers battus !

Commenter  J’apprécie          7514
Parmi la nouvelle vague d'écrivains d'imaginaire venue d'Asie, Chi Ta-wei s'est déjà fait remarqué en 2015 avec la publication de son roman Membrane que d'aucuns considèrent comme le premier ouvrage de « science-fiction queer » Taïwanais.
Cinq ans plus tard, L'Asiathèque récidive avec la traduction d'un court recueil de nouvelles dont un texte écrit spécialement à cette occasion et qui donne logiquement son nom à l'ouvrage : Perles.
Écrivain atypique à la plume singulière et à l'univers stimulant, Chi Ta-wei propose une réflexion sur le genre, la sexualité et notre rapport à l'autre.

Perles
C'est avec la première nouvelle écrite par Chi Ta-wei depuis 20 ans (la première écrite ce millénaire de l'aveu même de l'auteur) que s'ouvre ce recueil. Un texte idéal puisqu'il exploite déjà un grand nombre de thématiques de prédilection du Taïwanais.
Dans un futur proche, l'humanité se remet difficile du Ravage, une catastrophe planétaire consécutive à l'intervention de mystérieux extra-terrestres en forme de globe (que l'on surnomme les trois étoiles/astres) et qui ont fait disparaître l'ensemble des parents humains de la surface terrestre.
La raison de cette hécatombe ? L'analyse des cauchemars humains qui a montré que les principales victimes desdits cauchemars étaient des enfants. Les coupables étaient donc tout trouvé… les parents !
Dans une Taïwan post-Ravage, Gros Ours et Petit Lapin, deux hommes mûrs décrits comme postpatriarcat et postmaternité (dans le plus sens le plus strict du terme, c'est-à-dire sans père et sans mère) nouent une relation homosexuelle dans une société où le sexe n'est plus un tabou et où l'orientation sexuelle n'est plus un problème. Ce qui importe désormais, c'est la FPI (Fréquence des Pulsions d'Intimité) attribuée à chaque partenaire et qui permet de déterminer la fréquence des rapports sexuels idéale pour le couple.
Collatérale de cette catastrophe, les survivants rechignent à construire de véritables relations intimes devant la peur d'une nouvelle décimation. Les relations dites « ouvertes » sont favorisées et c'est ainsi que Petit Lapin rencontre Ameng, un être hybride, tout comme lui, et dont les deux parties du corps peuvent s'emboîter comme des legos avec celles de son partenaire.
Avec ce bref résumé, le lecteur peut se rendre compte de l'extraordinaire originalité des univers créé par Chi Ta-wei. Question centrale dans Perles, le rapport des êtres humains entre eux, et surtout entre leurs corps différents, comme ce Petit Lapin qui n'a pas de jambes et cet Ameng qui porte en permanence une combinaison de plongée sous-marine.
À la fois utopie et récit post-apocalyptique, Perles s'interroge sur l'évolution de rapports amoureux et sociaux dans une société où les normes se sont déplacées et où l'on apprécie désormais davantage les carrés que les cercles, que l'on associe traditionnellement aux trois astres meurtriers.
Récit à la fois touchant et constamment inattendu, Perles triture les corps et les esprits pour ouvrir un horizon d'événements amoureux empreint d'une tolérance admirable. La perle devient ici un symbole de transgression des peurs sociales et un moyen singulier de s'unir malgré la terreur.

L'Après-midi d'un faune
Virage à 180° avec la seconde nouvelle : L'Après-midi d'un faune.
Point de science-fiction cette fois mais une sorte de réalisme magique (voire même du fantastique, osons le terme) en forme de récit expérimentale où A-so rencontre K, son double (qualifié de « reflet ») fan de Kafka.
Si l'un danse et que l'autre dessine, les deux s'attachent rapidement l'un à l'autre à tel point que K offre à son nouvel ami une magnifique montre à gousset qui serait son « deuxième coeur palpitant ». Suite à un événement tragique, A-so s'éloigne définitivement de K mais l'horreur le hante jusqu'au drame inévitable et au tic-tac de la mort qui l'accompagne.
Déroutante et totalement abstraite, L'Après-midi d'un faune a bien plus de mal à convaincre que les autres textes du recueil. Expérimentation sur le double et questionnement moral, le lecteur retrouve une nouvelle fois cette interrogation sur l'altérité et le rapport à un corps loin de la chair et dont les parties deviennent volontiers indépendantes. Un texte mineur mais curieux.

La guerre est finie
Retour en terre science-fictive avec ce troisième texte qui nous transporte en 2025 aux côtés de Meimei, une aDome, c'est-à-dire une humanoïde (ou être artificiel de compagnie) destiné à réconforter les combattants partis au front dans une lointaine guerre intergalactique. Au gré des absences de son mari pour laquelle on l'a créé sur mesure, Meimei se lamente sur ses insuffisances en tant qu'épouse et rencontre Lola, une autre aDome à la perception de l'existence radicalement différent. Alors qu'un amour secret se tissent entre elles, Meimei reçoit une terrible nouvelle : la guerre est finie…et son mari revient pour de bon !
Quelle sublime nouvelle que cette histoire tout en pudeur et en émotions ! Métaphore évidente de la condition lesbienne (voir gay en général) dans un monde où l'on ne conçoit que l'amour hétérosexuel tout en convoquant les fantômes des femmes de réconfort utilisées durant la Seconde Guerre Mondiale par les Japonais, La guerre est finie explore la lente prise de conscience de Meimei quand à ce qu'elle aime (d'abord par la cuisine puis par le sexe) au contact d'une femme à la conscience plus libre, Lola, pour qui l'existence n'est pas conditionnée à son obligation sociale de satisfaire son mari. Pour cette histoire, Chi Ta-wei se fait révolutionnaire des moeurs et transgresse les interdits, déniant l'autorité patriarcale traditionnelle pour trouver ce que chacun cherche : le bonheur et la conscience de sa propre humanité. Poétique, poignante, intelligente, La guerre est finie touche le lecteur en plein coeur…avec des êtres artificiels et différents !

Éclipse
Pour cette quatrième histoire, Chi Ta-wei tisse à nouveau un univers dense et protéiforme dans la lignée de Perles.
Dans un futur indéterminé, le lecteur suit l'existence de deux frères, le Grand et le Petit, dans un immeuble dressé tel un corps caverneux dont il occupe le dernier étage. Avec son frère, le narrateur s'adonne à des jeux interdits en utilisant le château d'eau du toit de l'immeuble comme une chambre aux secrets. S'éloignant de cette relation troublante, le jeune homme esquisse les contours d'une ville envahie par les insectes, insectes qu'il collectionne et stocke en secret dans le fameux château d'eau. Devant cette abondance de corps chitineux, certains citoyens sont devenus des « mangeurs d'insectes », une pratique réprouvée par la société et qui peut conduire à contracter une grave maladie, l'AITS (allusion transparente à l'AIDS, abréviation anglophone pour le SIDA) qui conduit à une hyperphagie pathologique. Confronté à ce penchant chez son propre frère, et encore bouleversé par le départ de son père, notre narrateur tente de ressembler à sa mère (en fait, un homme mais qui tient à être maman jusqu'au bout) avant de découvrir l'impossibilité pour eux de cohabiter.
Tout comme La guerre est finie, Éclipse n'est pas qu'une simple évocation poétique à la T.S Eliot 2.0, c'est aussi une réflexion métaphorique sur la place des homosexuels dans notre société et le regard des autres à leur égard. En se plaçant dans un futur où la sexualité ne connaît plus d'à priori, l'auteur Taïwanais s'interroge sur le ressenti d'une personne différente confrontée aux normes d'une société qui ne le reconnaît pas. Son frère évoque d'ailleurs la possibilité d'un double, et si les deux frères n'étaient qu'un mais que les deux présentaient des personnalités incapables de s'accepter l'une l'autre ? Cette réflexion ample, originale et parfois même inquiétante par son univers à la limite de l'apocalypse, offre une ébullition intellectuel salutaire au lecteur.

Au fond de son oeil,
au creux de ta paume,
une rose rouge va bientôt s'ouvrir
Nouvelle expérimentation littéraire après L'Après-midi d'un faune, côté science-fiction/techno-thriller cette fois.
Chi Ta-wei s'essaye à une narration à la deuxième personne du singulier pour démêler l'histoire d'un mandaté de l'Institution, une agence de contrôle indépendante chargée d'enquêter sur une nouvelle drogue surpuissante, le miroir noir, produite par une multinationale tentaculaire, la SM, adversaire d'une autre multinationale gigantesque, l'Empire.
Notre enquêteur se perd rapidement entre ses expériences personnelles et les délires de la drogue tandis que le narrateur tire sur les fils du récit pour dérouler une toute autre version de cette drôle d'infiltration policière où le héros n'est plus celui que l'on croit et où l'on croise des scientifiques mégalomaniaques, des manipulations génétiques autour de la reproduction humaine et des luttes d'influences à l'échelle galactique.
Encore une fois, le Taïwanais se sert de références culturelles évidentes (Blade Runner, la mythologie grecque…) pour servir un propos sur le corps et sur le statut des personnes homosexuelles. Si l'on creuse cette utopie queer (où les hommes peuvent se reproduire entre eux), on trouve autant d'écueils que de promesses car, comme l'avoue Chi Ta-wei lui-même : « il ne cessera jamais d'interroger le processus d'établissement de tout système. »
Dès lors, la nouvelle alterne les fulgurances à mi-chemin entre un rêve d'affranchissement des contraintes reproductives et une déstructuration complète de l'être sous l'influence d'une drogue qui bouleverse jusqu'à la langue de ses personnages.
Passionnant et radical, une nouvelle qui retourne le cerveau, assurément.

La comédie de la Sirène
Pour finir, La comédie de la Sirène revisite la version de Disney sous la plume d'un écrivaillon à la fois misogyne et féministe (!!).
Échoué sur une plage, un Prince se réveille et aperçoit à l'orée de son regard une magnifique créature aux seins envoûtants qu'il n'aura de cesse de chercher par la suite : la Sirène !
Celle-ci, impressionnée par cet étrange spécimen à deux jambes et sous le charme brut de l'humain endormi, sacrifie sa voix pour devenir une femme ordinaire capable de marcher sur la terre ferme. Malheureusement, seul un baiser pourra lui rendre la parole…et le Prince n'a rien d'un idéal !
Et si l'homme n'était pas la condition sine qua non de cette fable intemporelle ?
Chi Ta-Wei s'amuse avec l'archétype de la petite Sirène en même temps qu'avec la perception des choses que peut avoir son lecteur en faisant directement intervenir l'auteur supposé de ce classique revisitée !
Ainsi, La comédie de la Sirène est à la fois une vision crûment misogyne du mythe ET un joli pied de nez féministe à l'histoire originelle. Sans délaisser sa fascination débordante pour le corps et la chair (et ses infinies possibilités) de côté, l'auteur dérange et interroge avec malice, encore et encore.

Perles fascine et interpelle le lecteur. Auteur du corps, de la transformation, de la libération des moeurs et de la tolérance, Chi Ta-wei a l'art de construire des futurs radicalement originaux et inattendus où ses personnages se perdent et se retrouvent avec terreur et volupté. D'une humanité indéniable, voici un ouvrage différent et exotique au possible, un voyage brutalement dépaysant et envoûtant.
Lien : https://justaword.fr/perles-..
Commenter  J’apprécie          150
L'auteur Chi Ta-wei est un auteur de romans Fantastique et de Science-fiction, connu mondialement. Il s'est toujours engagé pour défendre la cause homosexuelle sur l'île de Taiwan. Il a été découvert en France lors de la sortie en 2015 de son roman, "membranes", que je n'ai pas lu.

"Perles" est un recueil de nouvelles "queer". Il a fallu que je cherche la signification exacte de ce terme sur internet car je l'avoue, je n'en avais qu'une vague définition. Je vous renvoie sur le net si vous voulez en savoir davantage.
Mais qu'importe les mots, ces nouvelles nous emmènent dans le monde particulier de l'auteur, un monde qui laisse une large place à l'imaginaire, un monde peuplé de personnages tous aussi originaux les uns que les autres : des faunes, des sirènes, des androïdes et autres créatures... Ces mondes nouveaux ressemblent étrangement au nôtre, mais diffèrent par la réflexion que ses habitants humains ou pas, effectuent au quotidien pour essayer de se sortir de trop de technicité, de trop de normes, de trop de superficialité dans les rapports humains.
L'auteur nous invite à inventer d'autres relations entre personnes et à réfléchir sur le genre, le sexe et sur notre rapport à l'autre. C'est un recueil dont certaines nouvelles ont été écrites il y a 20 ans, à l'aube de l'an 2000, et qui s'avère déjà d'une grande modernité en ce qui concerne le regard porté sur notre société, ses tabous et ses aprioris.
A la fin de chacune de ces nouvelles, l'auteur propose en guise de postface, une courte analyse de ses écrits, et il nous décrit précisément les circonstances de leurs créations. Il donne aussi des clés pour mieux comprendre le message qu'il a voulu adresser aux lecteurs.

Ce court texte m'a bien aidé à réaliser toute la teneur de son engagement. Mais néanmoins, je le reconnais, je n'ai pas tout compris des références littéraires ou cinématographiques dont il s'est inspiré dans certaines de ses nouvelles. A relire un jour donc pour aller plus loin !

Un recueil que j'ai trouvé inégal mais que j'ai eu du plaisir à découvrir. Si vous êtes fans de SF ou de littérature asiatique, n'hésitez pas à lire des auteurs taiwanais, ils aiment la culture française et de nombreuses références de notre culture étayent toujours leurs écrits.

Les nouvelles ont été traduites du chinois par Olivier Bialais, Gwennaël Gaffric, Coraline Jortay et Pierrick Rivais, une tâche pas facile pour eux que je salue ici.

Merci à l'éditeur pour sa confiance et pou son envoi !

Vous trouverez sur mon blog, un bref résumé de chacune des nouvelles...et donc une critique plus complète.
Lien : http://www.bulledemanou.com/..
Commenter  J’apprécie          90
Bien que très daté temporellement, Membrane, le roman de Chi Ta-wei m'avait laissé une impression forte. Ce nouveau livre à son nom, Perles, n'est pas un roman, mais une collection de six longues nouvelles allant du fantastique à la science-fiction principalement écrites entre 1995 et 1996, sauf celle ouvrant le recueil publiée pour la première fois en 2020. Chacune aborde une facette de l'écriture de l'auteur et de ses obsessions : littéraires, liées à la sexualité et au genre, à la parentalité, à son île, etc.
Celle qui ouvre ce recueil donc, Perles, est à la fois le texte le plus récent et le plus déroutant du livre. le monde de Gros Ours et de Petit Lapin est tellement différent du nôtre qu'il y a une somme d'informations à ingérer sur une trentaine de pages pour ce qui n'est finalement que le récit d'un adultère plus ou moins accepté par l'autre conjoint. Cette nouvelle donne néanmoins le ton. D'une page à l'autre, ce recueil bousculera sans cesse les préconceptions de l'auteur. Ainsi La Comédie de la sirène est-elle une réécriture d'Andersen, un pastiche de Disney ou une critique des prétentions littéraires de l'auteur en début de carrière ? Et Éclipse dont Chi Ta-wei cite Antonioni ou John Waters comme références avec un double hommage à Kafka et T.S.Eliot joue également avec les apparences et les mots, évoquant fortement pour le coup les dystopies de J.G.Ballard. Au fond de son oeil, au creux de ta paume, une rose rouge va bientôt s'ouvrir est, elle, un récit de science-fiction très expérimental également, mais très fort en émotion et dont les nombreux clins d'oeil mythologiques fournissent les clés. Finalement, même si elles sont très différentes l'une de l'autre, L'après-midi d'un faune et La Guerre est finie semblent presque des textes classiques par rapport aux quatre autres récits. Cela ne veut pas dire qu'ils sont moins intéressants, en jouant pour l'un sur l'obsession et la culpabilité et pour l'autre sur l'humanité et la prise d'indépendance, mais ils sont d'un abord plus facile que les autres textes.
Dans son ensemble, Perles de Chi Ta-wei demande une certaine collaboration intellectuelle du lecteur et pourra parfois le laisser de marbre comme pour ma part avec Éclipse, mais ce recueil est très riche et je fais le pari que sur les six nouvelles, la majorité saura vous toucher, car parlant finalement de façon très personnelle et par le prisme queer propre au vécu de l'auteur de préoccupations universelles.
Lien : https://www.outrelivres.fr/p..
Commenter  J’apprécie          40
Cauchemars éveillés, oniriques, étrangement calmes, ambiances de fin du monde, parfois burlesque voire cartoon. Les univers de cette anthologie enflent et se complexifient à mesure qu'on pénétre la vie des personnages.
Chaque nouvelle m'a emportée dans son univers particulier et immersif. L'auteur taïwanais est cosmopolite dans ses références et ses inspirations, donnant au lecteur que je suis un sentiment de familiarité : Faunes et labyrinthes, Alice de l'autre côté du miroir, la petite sirène de Walt Disney, ... revisités, démembrés, reconstruits version cyberpunk romantique. Il broie tous les clichés dans son creuset d'alchimiste pour imaginer des univers où la norme est LGBT+. 

J'ai adoré chacune de ses histoires qui titillent nos tabous bien plus loin que les auteurs que je lis habituellement.
Il expérimente à chaque fois de nouvelles formes littéraires. En funambule expert, Chi Ta-wei réussit à émerveiller et surprendre, surplombant les problématiques liées à la sexualité, la famille, la société, l'amitié, l'amour,...

Chaque nouvelle est suivie d'une postface de l'auteur qui précise ses intentions et le contexte d'écriture. 

Une très belle édition 😍 ! 
Commenter  J’apprécie          20

Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
La question n’était plus vraiment celle du rôle tenu par les partenaires, ce qui comptait c’était la « fréquence des pulsions d’intimité » (FPI). Au début de leur relation, dix ans plus tôt, Gros Ours avait une FPI de 3, et Petit Lapin une FPI de 2. En d’autres termes, Gros Ours ressentait des pulsions une fois tous les trois jours, sa FPI était donc de 3 ; Petit Lapin éprouvait quant à lui des pulsions tous les deux jours, sa FPI était donc de 2. Par « pulsion d’intimité », on entendait un élan amoureux, une attirance érotique. Sans une pulsion d’intimité de part et d’autre, pas de sexe. Mais FPI sonnait trop « médical ». Dans le langage courant, on parlait plus volontiers de « rythme sexuel ». La fréquence avec laquelle avaient lieu les rapports sexuels se calculait en multipliant les rythmes sexuels des deux partenaires ; dans le cas de Gros Ours et de Petit Lapin : 3 × 2 = 6, soit une « nuit de gala sexuel » tous les six jours. Ces nuits de gala correspondaient à des nuits de sexe où les pulsions d’intimité des deux amants coïncidaient. Si Petit Lapin voulait forcer Gros Ours à entrer en intimité, cela revenait à « coller un visage chaud sur un cul froid » : il essuyait un refus. Mais avec le temps, les relations entre les deux époux étaient devenues plus fades, comme un plat trop souvent servi ayant perdu toute saveur. Le rythme sexuel de Gros Ours était désormais de 7, et celui de Petit Lapin de 3. Soit 3 × 7 = 21. Leur nuit de gala ne se déroulait donc que tous les vingt et un jours.
Commenter  J’apprécie          3110
Je n’ai été créée que pour mon mari : de son point de vue, mon visage est souple et laiteux, alors que les autres savent que je suis comme toutes les aDomes, que ma figure est faite de plastique moulé sous pression. Mes deux yeux ne sont pas aussi beaux et brillants qu’il le croit, ce ne sont que des caméras miniaturisées. Les baisers torrides que je lui donne ne sont, au fond, que le produit de lèvres faites de plastique ultra-doux et de salive artificielle parfumée aux fleurs de pavot.
Commenter  J’apprécie          3212
Dans ce monde dominé par les carrés où primaient l’efficacité et la vitesse, peut-être les hommes avaient-ils, à force de se heurter aux angles, la nostalgie de la lenteur et du raffinement des cercles.
Commenter  J’apprécie          3316
C’est très aisément que j’aperçus mon mari.
Je ne l’ai ni vu, ni entendu, je l’ai senti… parce que je n’existe que pour lui : nous sommes un couple conçu expressément sur mesure.
Commenter  J’apprécie          213
Je n’ai été créé que pour mon mari : de son point de vue, mon visage est souple et laiteux, alors que les autres savent que je suis comme toutes les aDomes, que ma figure est faites de plastique moulé sous pression. Les deux yeux ne sont pas aussi beaux et brillants qu’il le croit, ce ne sont que des caméras miniaturisées. Les baisers torrides que je lui donne ne sont, au fond, que le produit de lèvres faites de plastique ultra-doux et de salive artificielle parfumée à la fleur de pavot. Mon mari et moi connaissons parfaitement mon vrai visage, mais nous continuons à faire semblant : lui n’a pas de meilleur choix, les soldats ont besoin de la douceur de l’arrière, qui veut aller loin ménage sa monture, je n’ai pas le choix du tout, mon mari est la seule raison de mon existence.
Commenter  J’apprécie          30

autres livres classés : littérature taïwanaiseVoir plus
Les plus populaires : Imaginaire Voir plus

Autres livres de Ta-Wei Chi (1) Voir plus

Lecteurs (47) Voir plus



Quiz Voir plus

Les plus grands classiques de la science-fiction

Qui a écrit 1984

George Orwell
Aldous Huxley
H.G. Wells
Pierre Boulle

10 questions
4870 lecteurs ont répondu
Thèmes : science-fictionCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..