Cher journal,
J'ai retrouvé mes bonnes amies Bérénice et Jeanne, mes âmes soeurs nées sous l'étoile privilégiée du bon goût dès la maternelle, mes camarades de rang brillant au firmament du panier scolaire du collège. Comme d'ordinaire, l'une se distinguera en maths, l'autre en anglais, pour ma part, je me réserve les réponses en français, le doigt prêt à briser le silence de l'ignorance, fièrement levé.
Cher Journal,
moi, Louise, je me remet durement encore de la vente du cocon de communion qui vit naître ce papillon tant chéri par mon père et ma mère. Ma robe fut vendue pour une bouchée de « pain bio », un crève coeur sentimental.
Cher journal,
Le destin a un curieux sens de l'humour. Devant les yeux médusés de ma classe, la nouvelle, cette Maud occupait toutes les bouches. Ridicule !
Une princesse en robe blanche, ai-je entendu ! Je ne savais où me mettre lorsqu'elle s'est hasardée à m'adresser deux mots devant Bérénice et Jeanne. Ma honte aurait été bien mal dissimulé si je portais de nouveau cette robe de cérémonie qui la remplissait de gratitude à mon égard. Rouge sur blanc. Non, n'exagérons rien tout de même. Les pommettes légèrement empourprées.
Cher journal,
Mes parents semblent se ronger les sangs au travers du récepteur du Babyphone que j'ai allumé. Ils craignent une déprime ou une colère. Je n'ai pas eu le rôle de
Carmen pour le projet choral de l'école. L'éventualité de payer cette intrigante de Maud pour ne pas perturber mon développement intérieur a été raisonnablement écarté.
Elle chante bien, Madame bon coeur. Elle me tape sur le système.
J'ai récolté le rôle de Micaëla qui meurt poignardée dès les débuts de l'oeuvre. Grotesque !
Qu'est ce qui c'est passé ? Qu'est ce que cette Maud qui joue au foot avec les garçons a de plus que moi ?
Beurk ! Transpiration, rougeur, cheveux filasses, la liste est longue.
Ca ne va pas du tout. Elle est aussi brillante en français, connait l'oeuvre opéra de Bizet et a lu la nouvelle de
Prosper Mérimé. Elle m'a damné le pion, Monsieur Saumure, le professeur principal semble apprécier sa vivacité.
Boycotter la nouvelle me mettrait à mal avec le reste de la classe et je ne tiens pas à éveiller les rictus moqueurs de mes meilleures amies.
Cher Journal,
La nouvelle me suit partout. Elle souhaite sincèrement être mon amie.
Tu m'a volé
Carmen, tu m'a volé ma vie,
la nouvelle, prend garde à toi !
: «
Prends garde à toi » de
Fanny Chiarello est une petite aventure initiatique drôle et piquante sur les rails de la jalousie entre adolescents. Aïe aïe aïe!
Sacré duel de passions qui se prépare et se dévore. le ton est incisif. Louise ne fait pas de cadeau. Mais qu'est ce que l'on s'amuse!
Une fiction a prendre au second degré. Quoi que.
Qui n'a pas connu de grande prêtresse de la mode au collège faisant la pluie et le beau temps, vous condamnant aux limbes de l'invisibilité d'un coup de pouce tourné vers le bas.
Mais tel est pris qui croyait prendre, vous le verrez.
Nous suivons donc l'évolution des états d'âme de cette délicieuse blonde peste pourrie gâtée, pétrie fermement des certitudes d'être exceptionnelle, assumant pleinement son statut de fille unique dans tous les sens du terme et découvrant finalement la terrible « simplicité » et fraîcheur des rapports amicaux hors caste, « l'horrible » sincérité des amitiés d'un milieu modeste jusqu'alors décrié férocement, la complicité en dehors des médisances.
Vous l'aurez compris, Louise est un personnage joliment prétentieux, exquisement égocentrique, adorablement sournois, jouant ses projets de popularité comme sur un jeu d'échec dont elle est évidement la Reine.
Ces certitudes seront progressivement grignotés par le sourire bienveillant de Maud, petit oiseau au plumage joliment modeste et innocent des mauvais sentiments qu'elle lui porte.
Une amitié par calcul, par dépit puis dans la découverte de l'autre.
Finalement, Louise trouvera un vrai soutien auprès de Maud devant la mauvaise réputation, des points communs et une ouverture d'esprit grâce à la préparation du projet musical. Mais comme rien ni noir ni blanc, la nouvelle amitié de Louise et Maud fera ricochet chez Bérénice et cie et en fera réfléchir plus d'un. Une jolie réflexion sur l'amitié à l'âge adolescent.
Que les plus jeunes lecteurs se rassurent, ils pourront faire fi sans difficultés des multiples références culturelles citées encore peu connues si ils le souhaitent et continuer de profiter de cette guerre froide de cour de récré jusqu'au bout.
Les adorables diablesses dans le roman jeunesse se font très rares, nous comptions le vil Mathieu Hidalf pour les garçons, il faudra généreusement noter l'exigeante Louise chez les filles. Sinon, prenez garde à vous !