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Critique de Shaynning


Je place d'ores et déjà ce magnifique livre dans mes Incontournable de Librairie pour le mois de Mars 2021. Il est trop rare d'avoir ce genre de roman en littérature adolescente ou Jeune Adulte ( j'hésite encore sur son classement), mais une chose est sure, des comme lui, j'en voudrais tellement plus sur mes rayons de département Jeunesse!

Bon, j'ai BEAUCOUP de choses à dire, alors je vous donne le choix de la longueur.

Version raccourcie:

Il existe trop peu de ce genre de roman en ado/Jeune adulte pour passer à côté de ce magnifique roman historique. L'histoire d'une jeune femme à l'esprit scientifique qui aspire au monde des sciences et éventuellement de la médecine, va être au coeur d'une épidémie de typhoïde dans un New York insalubre de 1906. Une rare fenêtre sur une adolescente à l'esprit cartésien, sur fond d'Histoire soutenu par une solide recherche de la part de l'autrice.Un roman féministe, humain, différent, pertinent, intéressant et rigoureux.

Version exhaustive:

Vous aurez sans doute flairé à son élégante couverture aux allures vintage et sa quatrième ayant la forme d'une page de journal son appartenance à L Histoire, et vous auriez raison. Nous sommes en 1906, dans la métropole New Yorkaise, qui était déjà, à l'époque, un centre urbain très densément peuplé, un fait accentué par le flot constant d'immigrants, et plutôt insalubre. Nous verrons les évènements historiquement vrais du point de vue d'un personnage fictif en la personne de Prudence Galewski, 16 ans, jeune femme juive d'une famille immigrante de la seconde génération, qui tiens un journal.

Prudence se sent différente des autres filles. Pour elle, aucunes questions n'est stupide, tout est à découvrir, tout ce qui se trouve à la porté de ses yeux ou de l'esprit mérite d'être étudier. C'est une scientifique dans l'âme. Mais nous sommes en 1906 alors bien sur, comme la plupart des domaines intellectuels, le domaine des Sciences Naturelles appartient aux hommes. Alors qu'elle s'ennuie dans son école pour filles où elles apprennent à devenir "des femmes bien" ( Couture, maintiens et autres trucs superficiels), notre jeune femme souhaite étudier les sciences et pour intégrer ce monde masculin, cherche à être engagée comme dactylographe. C'est ainsi qu'elle rejoint le Département de la Santé et de l'hygiène, un département assez nouveau qui s'occupe notamment du dépistage des maladies infectieuses qui deviennent de vraies épidémies.Engagée comme assistante, Prudence est donc sur le terrain comme preneuse de notes. Elle met tout sur papier, élabore les tableaux de données et aura même la chance de voir sa toute première bactérie sous le microscope!

Bien sur, tout ne se fait pas sans heurts. Elle devra quitter l'école, faire face aux commentaires et gestes déplacés de certains individus, gérer des émotions parfois très fortes en opposition avec son esprit cartésien, concevoir des théories dont certaines ne sont pas seulement récentes, mais encore au stade théorique! Dans ce journal qu'elle tiens, Prudence nous relate une histoire qui a bel et bien eu lieu, avec quelques traficotages ici et là pour rendre le tout cohérent. L'épidémie de typhoïde à bel et bien eu lieu, les premiers "porteurs sains", des asymptomatiques, sont au coeur d'une polémique entre Droit de la personne et Droit de la Santé collective. Vous trouverai plus amples détails à la fin du roman, car l'autrice a fait de rigoureuses recherches pour ce roman ( très bon point pour elle!).

Le roman nous amène donc une dimension éthique. L'équipe de santé publique n'a pas encore de code déontologique et fait avec ce qu'elle a. Ces moyens ne sont pas toujours très élégants, ni même humains, mais avec une population ignorante ( surtout en matière de santé) et une ville qui peine à se sortir d'une insalubrité typique des grands centres urbains, combiné à une expertise médicale encore embryonnaire à certains niveaux, le combat pour la santé publique se fait sur plusieurs fronts. Et quand certains acteurs refusent de collaborer, ici le cas de Mary Mallon, asymptomatique positive à la typhoïde, c'est le tapage médiatique à savoir si on peut retirer un individu, susceptible de tuer des gens par le fait d'être "porteur sain", pour le bien-être collectif de la population. À cela s'ajoute la déontologie journalistique, gravement déficitaire à l'époque, aussi professionnels qu'une bande requins affamés.

On retrouvera dans ce roman beaucoup de réflexion de la part de Prudence sur le conflit entre les émotions et l'esprit neutre requis pour les sciences. Aujourd'hui, il est généralement admis que les bons docteurs ont la capacité d'empathie et de compassion, de même que les émotions ne sont pas incompatibles à l'esprit scientifique. Mais les sciences humaines sont beaucoup plus jeunes que les sciences naturelles et donc, à cette époque, la mentalité était plus froide: couper ses émotions, passer par dessus l'humain au profil de la froide logique attendu du scientifique empirique et raisonnable. On patauge ainsi dans le "No man"s land" entre les deux grandes Sciences, qui sont au final complémentaires. le titre lui-même est porteur de ce double sens: "stupeur", un étonnement profond ( émotif) et "stupeur", suspension physique et mentale ( biologique).

J'insiste sur le fait que cette dualité ( comme la plupart des sujets évoqués dans ce livre) sont trop rarement traités dans les romans destinés aux ados et jeunes adultes, alors que de plus en plus de jeunes femmes font carrière dans le milieu et ont justement le profil mental de Prudence! Elles sont très sous-représentés en littérature jeunesse et c'est très dommage. Il y a trop peu d'ados et jeunes femmes d'érudites, de scientifiques et de filles dont le principal but ou le seul absolu n'est pas de finir en couple, dans les romans de cette tranche d'âge.

Toutefois, le roman n'est pas que faits historiques et sciences en développement, oh que non! On couvre beaucoup de sujet, mais cela n,exclut pas un côté très humains et très touchant. Si les évènements de l'épidémie de typhoïde est l'axe central, à travers les écrits de Prudence, nous avons aussi des soucis de l'ordre plus social. Son amitié avec Anoucka, par exemple, qui est passée de citadine à campagnarde, prise avec un amour à sens unique dans un trio d'amis. La disparition de son père, également, parti faire la guerre et dont le mystère de sa disparition reste entier, est un autre bon sujet, car à travers cette perte, la relation qu'a Prudence avec les hommes semble s'en trouvé influencée.

En outre, on retrouve le thème du féminisme, évidement, puisque les années 1900 sont aux balbutiements des écoles pour femmes. Ainsi, il est désormais possible pour certaines excellentes candidates d'étudier dans le domaine, mais en faire parti ensuite est une autre paire de manches. En soi, le fait que Prudence ait eu son emplois auprès de l'ingénieur Soper est en soi un gros pas en avant et place le personnage dans la peau d'un homme moderne et féministe.

Et d'ailleurs, j'apprécie beaucoup les élans solidaires et constructifs des personnages féminins entre elles. Trop souvent je vois la compétition s'installer dans les histoires, surtout celles où les filles convoitent le même gars ou un statut social X, alors c'est rafraichissant de voir des rapports de cette nature entre les filles, pour une fois. Un aspect de sororité/Girl Club, en somme.

Il aura fallut attendre 10 ans pour en avoir une traduction, mais ce roman états-unien en vaut la peine. Bien loin de tout ce ramdam sentimental débilisant et sexiste qui pullule actuellement, justement en provenance des USA, il est donc très satisfaisant de voir ce genre de pépite émerger du lot et proposer autre chose. Nous avons enfin une héroïne qui pense à autre chose que de ce trouver un copain! Quoique cela ne l'empêche pas de vivre les tourments des premiers sentiments, elle a juste le bon sens de ne pas se laisser abrutir par ça. Elle est d'une nature curieuse, méthodique, empathique, consciencieuse, modeste et entreprenante. C'est, en un mot, une pionnière. Elle sera d'ailleurs amenée à en rencontrer d'autres, notamment la doctoresse Baker, qui a réellement existé.

Dernier point: l'une de mes collègue libraires l,a mentionné et je lui donne raison: il aurait été intéressant d'approfondir sur l'aspect "intégration du féminin" en science. C,est rester plutôt de surface.

Compte tenu de certains thèmes plus complexes et de la plume plus soutenue , je pense que ce roman est définitivement fait pour les ados, peut-être plus la tranche des 15-18 ans. Mais si les 13-14 se sentent d'attaque et qu'ils sont bons lecteurs, pourquoi pas? Il n'y a pas de violence outrancière, pas d'agressions sexuelles, pas de termes extrêmement complexes. Il y a même quelques dessins au graphisme d'époque , de ceux que l'on retrouve dans les encyclopédies, qui ponctue de temps en temps le récit. La plume est juste, touchante, précise, avec un rare engouement pour le passé simple. Une très belle traduction, une belle mise en page aérée et des chapitres très courts puisque sous forme de journal.

Un roman incontournable qui va rejoindre ma bibliothèque personnelle, assurément!
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