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Citations sur Chez soi (114)

J'ai les moyens d'acheter des livres, mais moins de temps pour les lire. En contemplant les piles qui encombrent l'appartement, j'essaie d'évaluer de combien leur volume dépasse déjà la somme de temps que j'aurai jamais à leur consacrer. Je découvre avec soulagement qu'en japonais il existe un mot pour cela : tsundoku ("acheter des livres et ne pas les lire; les laisser s'empiler sur le sol, les étagères ou la table de nuit"). Auparavant, aucun essai ne me semblait trop ardu si le sujet m'intéressait: je m'installais à la table du salon et je laissais les heures s'écrouler sereinement, soulignant avec soin les passages marquants au crayon et à la règle. En protégeant ma concentration, la pièce autour de moi semblait me seconder dans mes efforts et partager l'émerveillement des révélations qu'ils me valaient. Désormais, la journée ayant épuisé mon énergie intellectuelle, je suis trop fatiguée le soir pour faire autre chose que regarder des séries télévisées. J'aime beaucoup les séries, mais je reste à la porte des révélations. Et un peu à la porte de chez moi aussi.
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"Aimer rester chez soi, c'est se singulariser, faire défection. C'est s'affranchir du regard et du contrôle social. Cette dérobade continue de susciter, y compris chez des gens plutôt ouverts d'esprit, une inquiétude obscure, une contrariété instinctive. Prendre plaisir à se calfeutrer pour plonger son nez dans un livre expose à une réprobation particulière. "Tout lecteur, passé et présent, a entendu un jour l'injonction : "Arrête de lire ! Sors, vis !"",constate Alberto Manguel. En français et en allemand, le mépris des "fous de livres", cette créature chétive et navrante, a donné naissance à l'image peu flatteuse du "rat de bibliothèque", qui, en espagnol, est une souris, et en anglais carrément un ver (bookworm), inspiré du véritable ver du livre, l'Anobium pertinax. C'est un fond irréductible d'anti-intellectualisme qui s'exprime là. Ce peu de confiance et de crédit accordé à l'activité intellectuelle se retrouve dans le milieu journalistique. Il explique cette tendance à minimiser l'importance du bagage personnel que chacun se constitue et enrichit continuellement - ou pas - et à faire plutôt du terrain une sorte de deux ex machina.
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Les écrivains, ou les artistes en général, sont aussi les seuls casaniers socialement acceptables. Leur claustration volontaire produit un résultat tangible et leur confère un statut prestigieux, respecté (à ne pas confondre toutefois avec une profession, puisque la plupart gagnent leur vie par d'autres moyens). Il faut le bouclier de la renommée pour pouvoir déclarer tranquillement comme le faisait le poète palestinien Mahmoud Darwich : "J'avoue que j'ai perdu un temps précieux dans les voyages et les relations sociales, je tiens à présent à m'investir totalement dans ce qui me semble plus utile, c'est-à-dire l'écriture et la lecture. Sans la solitude, je me sens perdu. C'est pourquoi j'y tiens - sans me couper pour autant de la vie, du réel, des gens... Je m'organise de façon à ne pas m'engloutir dans des relations sociales parfois inintéressantes"."
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Avant d'être salariée, j'avais pris l'habitude, lorsque mon compagnon s'absentait pour quelques jours, de m'enfermer avec assez de provisions pour tenir un siège et de passer mes nuits à lire ou à écrire, n'allant me coucher que quand je tombais de fatigue. Je n'ai jamais oublié ma béatitude, un jour, en entendant résonner derrière le rideau, au petit matin, alors que je n'avais pas vu les heures filer, le chant flûté des oiseaux dans la cour - ce son magique, radieux, tellement lié au retour de la lumière qu'il est presque lui-même une lumière. Ce moment est resté pour moi le symbole d'une région de l'expérience où j'ai très peu de chances de retourner : pour pouvoir se l'autoriser, il faut disposer d'une amplitude temporelle difficile à déployer dans une vie de salariée, par définition très encadrée.
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Que l’on considère le temps comme une chose inerte, ayant vocation à être « occupée », « remplie » ou « utilisée », contribue à expliquer l’incompréhension à laquelle se heurtent les casaniers. Leur entourage présume qu’ils ne peuvent que s’ennuyer mortellement, alors que, en s’extrayant de la course folle du monde, ils font l’expérience de la nature et de la texture vivantes du temps. Ils sont parmi les derniers (avec les enfants, probablement) à s’y lover en toute confiance. Ils voient en lui un tapis volant accueillant, doté du pouvoir de les transporter vers des destinations imprévisibles à travers une variété infinie de paysages. Ils savent qu’il n’est pas uniforme, mais qu’il se compose d’une succession d’instants singuliers. Ces instants, il faut se faire suffisamment attentif pour les amener à livrer leurs secrets, à chuchoter ce qu’ils ont à nous dire, ce qui nécessite le courage d’une certaine passivité. Il faut se rendre disponible, au lieu de bafouer leur logique propre et de chercher à conjurer la peur du vide et de l’inconnu en les remplissant compulsivement avec n’importe quoi. Il faut les laisser se révéler l’un après l’autre, et agir en fonction des indications qu’ils nous soufflent, au lieu de vouloir à tout prix leur donner forme de l’extérieur – entreprise absurde, qui ne peut aboutir qu’à saccager ce que la vie nous tend.
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Le temps est le trésor vital des casaniers.
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J'aimerais bien que l'on accepte, dans le métier, d'abaisser un strapontin - ou même d'installer dans un coin une méridienne - pour les rêveurs fourvoyés tels que moi. J'aimerais bien que l'on reconnaisse leur compétence sur certains sujets, et leur contribution, même modeste, au déchiffrement de l'époque, au lieu de vouloir à tout prix les changer, comme autrefois les gauchers dans les écoles. Mais c'est une revendication peu audible, tant la mystique du terrain est puissante. Elle accrédite ce préjugé binaire: sortir c'est bien, rester assis sur sa chaise c'est mal. Le terrain garantirait la pertinence et l'ouverture d'esprit, alors que la sédentarité dénoterait un repli coupable menant inévitablement à l'erreur et à l'abrutissement. Ce qui reflète une valorisation sociale plus générale du mouvement perpétuel et de l'arrachement à soi.
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Ils sont si bien programmés pour ne savoir se mouvoir qu'en répondant à des injonctions extérieures que l'idée de se retrouver chez eux, sans occupation assignée, sans un endroit où se rendre tous les jours, suscite en eux la panique.
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J’appartiens donc à cette espèce discrète, un rien honteuse : les casaniers, habitués à susciter autour d’eux la perplexité, voire la pitié ou l’agressivité, et qui, avec le temps, apprennent à s’accommoder stoïquement des sarcasmes de leurs proches.
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À l'écart d'un univers social saturé d'impuissance, de simulacre et d'animosité, parfois de violence, dans un monde à l'horizon bouché, la maison desserre l'étau. Elle permet de respirer, de se laisser exister, d'explorer ses désirs.
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« Le petit toit que forment les livres lorsqu’on les entrouvre, tranche tournée vers le ciel, est le plus sûr des abris », écrit Chantal Thomas – une auteure vers qui ce travail m’a plus d’une fois ramenée. Je vis dans un appartement exigu, encombré et peu confortable. Je ne suis ni une grande bricoleuse ni une grande cuisinière (il va falloir inventer un mot plus fort qu’« euphémisme » pour qualifier ce que je viens de dire là). Mes capacités à exercer une hospitalité concrète sont des plus limitées. Mais je serais comblée si certains lecteurs pouvaient trouver dans les pages qui viennent un abri de cette sorte.
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