Bien que, comme on l'a vu, elles se révèlent plus douées que les hommes pour la vie en solitaire, les femmes célibataires subissent une stigmatisation particulière. Demeure l'idée selon laquelle une femme seule est incomplète, inachevée ; une anomalie.
Les messages publicitaires qui saturent notre univers quotidien veulent nous faire croire que nous évoluons dans un cocon d'abondance, de paix et de sécurité, où nous n'aurions plus à nous soucier que d'identifier et de satisfaire le moindre de nos désirs ; et, afin de nous y aider, ils flattent sans relâche nos appétits, nos aspirations, notre narcissisme.
La vie serait trop simple si tous les machos étaient des abrutis complets : bien souvent, ce sont des abrutis partiels, et c'est presque pire.
Le monde ne se donne jamais de manière brute, immédiate, évidente. Il exige que l'on mûrisse une vision qui permettra de l'accoucher.
Alimenter le système, si absurde soit-il, procure une image de soi valorisante (quoi de plus glorieux que de n’avoir « pas une minute à soi » ?) et dispense de toute réflexion sur ce qu’on souhaiterait faire de sa vie.
"Dormir, c'est pour les losers", résume Jonathan Crary. Là encore, on retrouve l'influence de l'éthique protestante.
Le sociologue allemand Max Weber a montré comment l'éthique protestante avait contribué à mettre en selle le capitalisme en façonnant un esprit qui lui était favorable. Sa thèse est que le protestantisme a "fait sortir l'ascèse des couvents" où le catholicisme l'avait confinée. La doctrine calviniste de la prédestination, selon laquelle chaque être humain est élu ou damné par Dieu de toute éternité, sans qu'aucun de ses actes soit susceptible d'y changer quoi que ce soit, aurait pu conduire à une forme de fatalisme. Elle a produit l'effet inverse : soumettant la totalité de leur vie à une discipline stricte, les fidèles ont investi toute leur énergie dans le travail, quêtant, à travers le succès économique, un signe de leur élection. Et la main-d'oeuvre, elle aussi, a dû apprendre à "effectuer le travail comme s'il était une fin en soi absolue - une "vocation" ". Par la suite, et jusqu'à nos jours, cet esprit a prospéré de façon autonome, hors de tout référent religieux. Il a fini par devenir aussi omniprésent et invisible que l'air que nous respirons. "L'idée du devoir professionnel, écrit Weber, erre dans notre vie comme un fantôme des croyances religieuses d'autrefois." On mesure à quel point cette conception a façonné notre monde lorsqu'on lit que le pasteur luthérien Philipp Jacob Spener, fondateur du piétisme, dénonçait comme moralement condamnable la tentation de "prendre sa retraite prématurément"...
Il faut le bouclier de la renommée pour pouvoir déclarer tranquillement, comme le faisait le poète palestinien Mahmoud Darwich : "J'avoue que j'ai perdu un temps précieux dans les voyages et les relations sociales. Je tiens à présent à m'investir totalement dans ce qui me semble plus utile, c'est-à-dire l'écriture et la lecture. Sans la solitude, je me sens perdu."
Un logement digne de ce nom ne devrait pas représenter un but, une finalité, mais un point de départ - vers des destinations inconnues et imprévisibles. Car il n'est pas seulement un abri : il est aussi un tremplin
De même, Charlotte Perriand loue la maison traditionnelle japonaise parce qu'elle « n'essaie pas de paraître, mais de mettre l'homme en harmonie avec lui-même ». Elle partage la conviction du philosophe Soetsu Yanagi, grand redécouvreur des arts populaires de son pays, selon laquelle « le beau ne doit pas être bavard ; il doit comprendre un élément de silence ». Ce refus de la pose va de pair avec une capacité à prendre en compte tous le sens, au lieu de privilégier la vue, comme le font beaucoup d'architectes et comme le fait, plus généralement, toute notre culture obsédée par l'image.