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EAN : 9782897192457
180 pages
LEs Editions Ecosociété (02/04/2016)
4.5/5   5 notes
Résumé :
« Plomb durci » (2008-2009), « Pilier de défense » (2012), « Bordure protectrice » (2014) : les trois dernières offensives militaires d'envergure menées par Israël contre Gaza ont fait des milliers de morts du côté palestinien et donné lieu à de nouvelles expropriations de terres en Cisjordanie. Ces guerres de conquête israélienne ont ravivé, chez les militant.e.s de la justice sociale, le besoin d'exprimer leur solidarité avec le peuple palestinien et l'importance ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Frank Barat, activiste, producteur et écrivain a réuni en 2014 deux penseurs pro palestiniens, Noam Chomsky et Ilan Pappé pour échanger autour de la cause palestinienne et du conflit avec Israël.
Dans la tourmente de l'actualité sur la bande de Gaza et de ses répercussions sur notre sol, j'avais besoin d'y voir plus clair car les médias donnent souvent une vision parcellaire de la situation sans aller à l'origine historique du conflit.

Autant le dire tout net, ce texte est orienté : « l'histoire de la Palestine n'a rien de très original: des colons européens s'établissent en terre étrangère puis en expulsent la population autochtone ou lui infligent un génocide ». Le régime israélien est comparé souvent à l'apartheid de l'Afrique du Sud. Pour Noam Chomsky, «  le projet d'État juif est une aberration. Une fois l'État institué, tout citoyen qui y vit est un citoyen de l'État. Tout citoyen français, quel qu'il soit, est un Français. Par conséquent, quiconque vit en Israël devrait être un citoyen israélien, et non un juif. C'est pourquoi la notion d'État juif est une aberration totale. Elle n'a pas d'analogue dans le monde moderne. Les raisons pour lesquelles on devrait la rejeter sautent aux yeux ».

Lire ce texte dix ans après son écriture montre à quel point non seulement rien n'a changé mais que la situation a empiré. Processus de paix, accords d'Oslo, Intifadas, roquettes du Hamas sur Israël, riposte sanglante de Tsahal, un même scénario se reproduit comme d'inéluctables secousses sismiques.

Quelques idées que je retiens :

- le sionisme est un colonialisme
- toute critique d'Israël, même modérée, est perçue par l'État comme relevant de l'antisémitisme.
- les auteurs ne se font aucune illusion quant à l'adoption éventuelle d'une stratégie palestinienne cohérente et unifiée
- de même qu'ils ne croient pas à un revirement de la politique d'Israël car transformer la société juive israélienne de l'intérieur nécessiterait plusieurs générations.
- Il faut donc que la pacification de la zone vienne de la communauté internationale.
- Et plus particulièrement de la politique étrangère des États-Unis.
- S'il respectait le droit international, Israël ne verrait pas sa sécurité menacée; celle-ci serait même fort probablement renforcée.

Les passages sur les solutions à un état ou à deux états m'ont un peu perdu car trop techniques.

Il n'en reste pas moins que ce fut une lecture très édifiante qui tranche assez radicalement avec la manière dont les chaînes d'info présentent ce conflit. La vie d'un enfant est précieuse, qu'il soit israélien ou palestinien.
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Dans son avant-propos, Frank Barat, souligne, entre autres, le devenir militant par les livres, la transformation par des lectures… Il revient sur ce passé, volontairement mis en silence dans « le processus de paix », la Nakba, l'exode forcé – le nettoyage ethnique – des deux tiers de la population palestinienne. Il souligne aussi l'essor de la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS)…

Une discussion divisée en trois parties : « le passé, où nous concentrerions notre attention sur le sionisme en tant que phénomène historique, le présent, où nous nous questionnerions en particulier sur la pertinence d'appliquer le modèle de l'apartheid à Israël et sur l'efficacité de la campagne BDS en tant qu'importante stratégie de solidarité avec le peuple palestinien, et l'avenir, où nous mettrions en balance la solution à deux Etats et celle à un Etat »

Je souligne particulièrement le premier texte d'Ilan Pappé « Débats d'hier et d'aujourd'hui », sa critique de l'Etat d'Israël qui n'en reste pas aux politiques menées mais aussi à « l'idéologie qui les sous-tend et la nature même du régime ». L'auteur parle de colonialisme et de dépossession, du renouveau historiographique, de 1948 et de « décolonisation, changement de régime et solution à un Etat ». Il critique l'« orthodoxie pacifiste » et soutien la campagne BDS s'inspirant du mouvement anti-apartheid…

Il insiste, entre autres, sur l'histoire de la colonisation de peuplement, le caractère ouvertement raciste de l'Etat d'Israël, la source idéologique de l'assujettissement des populations palestiniennes à savoir le sionisme et préconise « la décolonisation de l'ensemble du territoire israélo-palestinien et la substitution de l'actuel régime israélien par la démocratie pour tous ».

Si cette approche me semble en effet la plus enrichissante politiquement, je me garderai cependant de trancher entre les « solutions » à un ou deux Etats. Seules les mobilisations concrètes, les modifications des rapports de force, la désagrégation de ce qui forge l'unité (derrière les divisions sociales) de la population « juive » israélienne, les choix politiques autonomes des populations palestiniennes… détermineront les évolutions et les ruptures, les calendriers des possibles et la forme que pourront prendre les organisations institutionnelles… En tout état de cause, seules des solutions démocratiques pour toutes et tous – Etat de toutes et tous les citoyen-ne-s, respect des droits et égalité de traitement des minorités (ce qui pourrait nécessiter des politiques de positive action), séparation du politique et du religieux, parité homme-femme, etc. – inséparables de la construction de l'égalité sociale et de politiques de réparation permettront de faire du futur un possible commun.

Ilan Pappé parle de « l'orthodoxie pacifiste », la campagne BDS, le droit au retour des réfugié-e-s palestinien-ne-s. Il analyse le sionisme sous l'angle de la colonisation de peuplement. Il conviendrait de rappeler le refus de droits collectifs pour les populations juives en Europe notamment (et les propositions des austro-marxistes ou du BUND) sur lequel a pu se construire le sionisme. L'auteur parle au présent de régime d'apartheid, du régime foncier et des procédés juridiques à l'intérieur de l'Etat israélien, des politiques juridiques, économiques et culturelles qui tendent à « devenir les mêmes des deux cotés de la ligne verte », des discriminations fondées sur l'« ethnicité », du nettoyage ethnique et des réparations, de « désarabisation » des populations juives originaires des pays « arabo-musulmans », du confinement des palestinien-ne-s et de leurs villages étranglés, de l'émergence d'une nouvelle « élite politique en Palestine », de déshumanisation et de corruption morale, « La déshumanisation es le fruit amer de la corruption morale induite par la militarisation de la société israélienne ».

Je souligne la qualité des analyses sur les effets du « processus de paix », l'histoire de la partition et de destruction de la Palestine. (Je ne partage cependant pas l'utilisation de la notion de « politiques génocidaires »), Israël comme Etat voyou, la question du droit au retour, « La Nakba s'est déroulée à l'endroit où se trouve aujourd'hui Israël, et non en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza ». Sans oublier « l'absence de tout discours socialiste dans le débat sur la Palestine »

Les dialogues entre Noam Chomsky, Ilan Pappé, les questions interventions de Frank Barat permettent d'aborder, sous des angles différents et quelques fois divergents, les liens entre passé et avenir, « Oublier le passé implique d'oublier l'avenir », l'idéologie sioniste, les effets « mentaux » de la colonisation de peuplement, la construction de l'Etat comme « processus de violence extrême », l'absence de nationalité israélienne, le sionisme (antisémite) chrétien, les lois très restrictives sur l'immigration aux Etats-unis dans les années 20, « la préséance à l'expansion sur la sécurité », les différences avec l'apartheid en Afrique du sud, les questions des classes sociales, le soutien des Etats-Unis à l'Etat d'Israël et ses conséquences, la fragmentation de la société palestinienne, la campagne BDS, le boycott culturel, l'accaparement de l'eau, le Printemps arabe et le rôle des organisations syndicales, les 45 ans d'occupation gommant la distinction entre « ici » et « là », le principe d'égalité des droits de la personne et des droits civils, la société israélienne « très endoctrinée », le Hamas et l'OLP, l'absence d'économie productive en Palestine, etc.

Des textes individuels des deux auteurs regroupés dans une partie « Reflexion » complètent les thématiques traitées, en particulier, sur les opérations militaires à Gaza, la situation en Cisjordannie, les crimes de guerre…
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Le sionisme est une atrocité inachevée contre le peuple palestinien

La mise à disposition d'un ensemble de textes écrits par Ilan Pappé, Noam Chomsky et de divers dialogues permet de revenir sur la situation en Palestine. Il est fort possible que certain-e-s, qui ne connaissent l'historien israélien et l'intellectuel étasunien, soient frappé-e-s par la violence de leurs propos. Cependant, ceux-ci sont à la hauteur de la situation et des violations continuelles du droit international, des dénis, des crimes et des pratiques racistes institutionnalisées de l'État d'Israël.

Dans le premier texte, Ilan Papé décrypte « les dix mythes d'Israël », cette base de la mythologie d'Israël et du sionisme. Il commence par le mythe de la « terre sans peuple » pour un « peuple sans terre » pour finir sur celui d'une « solution proche ».

Le second texte est consacré aux « champs de mort à Gaza » de 2004 à 2009

Comme dans ces précédents livres, Ilan Pappé relie les politiques actuelles des dirigeants sionistes à celles du passé et, en particulier, à ce qu'il convient, en regard du vocabulaire actuel, de nommer l'épuration ethnique commencée en 1848. L'auteur montre aussi le caractère non-démocratique de l'État d'Israël, ses politiques de discriminations, cet « apartheid » construit pour isoler les populations palestiniennes (Voir le récent livre de Michel Bôle-Richard : Israël le nouvel apartheid, note de lecture).
Noam Chomsky revient lui aussi sur Gaza, le terrorisme massif contre les populations gazaouies civiles, sur les aides étasuniennes et les silences de soutien, en Europe, aux politiques illégales de l'État d'Israël, les rhétoriques racistes. L'auteur cite Uri Avnery « ce qui aura marqué la conscience du monde, c'est l'image d'un Israël couvert de sang, prêt à commettre à chaque instant des crimes de guerre et à ne se soumettre à aucune contrainte moral. Ceci aura de graves conséquences pour notre futur, pour notre place dans le monde, pour notre espoir en la paix et notre sérénité. Finalement, cette guerre est aussi un crime contre-nous mêmes, un crime contre l'État d'Israël ».

Noam Chomsky et Ilan Papé partagent leurs analyses sur la « Ghettoïsation de la Palestine » et présentent, entre autres, leurs positions sur les solutions à un ou deux États. Ils soutiennent les campagnes de Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS). (Voir le livre d'Omar Barghouti : Boycott Désinvestissement Sanctions. BDS contre l'apartheid et l'occupation de la Palestine).
Ils discutent aussi de la notion d'apartheid, des actes de piraterie de l'État d'Israël (Voir Thomas Sommer-Houdeville : La flottille. Solidarité internationale et piraterie d'état au large de Gaza).
Ilan Pappé présente l'histoire troublée du « projet pour un État unique », puis « L'État du déni : la Nakba dans l'histoire israélienne et aujourd'hui ». Sur ce sujet il montre que les politiques colonialistes des sionistes furent et sont similaires aux autres politiques coloniales (expulsion, massacre, destruction, viols, etc.). le sionisme est inséparable de la volonté de « judaiciser » l'ensemble des territoires, par ailleurs à un périmètre non défini. L'auteur montre aussi dans un autre texte pourquoi Israël n'est pas une démocratie. le titre de la note est extrait de cette partie. Il insiste particulièrement sur la ré-instauration des termes « colonialisme », « anticolonialisme », « nettoyage ethniques », etc.

D'autres textes et dialogues complètent ce livre nécessaire pour contrer les propagandes et les dénis de l'État d'Israël et d'organisations comme le CRIF en France, souvent dans le silence des organisations se réclamant de l'émancipation.
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Citations et extraits (59) Voir plus Ajouter une citation
Enfin, l’idéologie du nettoyage ethnique explique aussi la
déshumanisation des Palestiniens, laquelle rend possible des atrocités du
genre de celles qui ont été commises à Gaza en janvier 2009. La
déshumanisation est le fruit amer de la corruption morale induite par la
militarisation de la société juive israélienne. Les Palestiniens sont perçus
comme une cible militaire, un risque pour la sécurité et une bombe
démographique. La déshumanisation est une des principales raisons pour
lesquelles, dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale, la communauté
internationale a qualifié le nettoyage ethnique de crime abominable et de
prélude au génocide. Pour concrétiser un projet de purification ethnique, on
doit d’abord déshumaniser sa victime. Pour expulser ou massacrer des gens,
dont des enfants, on doit d’abord les traiter comme des objets destinés à
devenir des cibles militaires, et non comme des êtres humains.
Quiconque a séjourné assez longtemps en Israël, ce qui est mon cas,
sait que la pire corruption morale des jeunes Israéliens est attribuable à leur
endoctrinement, qui déshumanise complètement les Palestiniens. Quand un
soldat israélien aperçoit un bébé palestinien, ce n’est pas un poupon qu’il
voit, mais l’ennemi. C’est pourquoi tous les documents militaires israéliens,
dont l’ordre d’occupation des villages en 1948, la doctrine Dahiya imposée
à l’armée de l’air en 2009 (stratégie initialement destinée à vaincre le
Hezbollah pendant l’assaut lancé contre le Liban en 2006, lors duquel le
quartier Dahiya, bastion chiite situé dans la banlieue sud de Beyrouth, a été
anéanti sous un tapis de bombes) et les instructions de bombardement de
Gaza, dépeignent les zones civiles comme des bases militaires. Depuis
1948, le nettoyage ethnique n’est pas simplement une politique en Israël;
c’est un mode de vie. Sa persistance rend non seulement criminelles les
politiques de l’État, mais l’État lui-même.
Plus important encore, le nouveau dictionnaire permet de réaliser
qu’un nettoyage ethnique ne cesse pas spontanément, en s’essoufflant peu à
peu. Il prend fin seulement si la tâche est accomplie ou si une force plus
puissante s’interpose pour y mettre un terme.
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Il en ressort clairement qu’Israël mène une politique génocidaire. Cette
politique graduelle d’assassinat de masse découle moins d’intentions
cruelles qu’elle n’est le résultat inévitable de la stratégie globale d’Israël à
l’égard de la Palestine en général et des territoires occupés depuis 1967 en
particulier.
Il importe d’en souligner le contexte, dont la propagande israélienne
fait inlassablement abstraction en resservant le prétexte ayant justifié les
vagues précédentes de destruction pour légitimer une nouvelle frénésie
meurtrière aveugle en Palestine.
La stratégie sioniste qui consiste à vendre ses politiques inhumaines en
les présentant comme une réponse ad hoc à telle ou telle action des
Palestiniens remonte aussi loin que la présence même des sionistes en
Palestine. On l’a invoquée à maintes reprises pour justifier le projet de bâtir
une Palestine qui compterait très peu d’autochtones palestiniens, voire
aucun.
Les méthodes appliquées pour atteindre ce but ont évolué au fil des
ans, mais la formule de base est restée la même: quelle que soit la forme
qu’on souhaite lui donner, l’État juif envisagé par les sionistes ne pourra se
concrétiser que s’il abrite un nombre insignifiant de Palestiniens.
Aujourd’hui, le projet prend la forme d’un Israël qui s’étendrait sur presque
toute la Palestine historique, où vivent toujours des millions de Palestiniens.
Comme toutes celles qui l’ont précédée, la vague génocidaire actuelle
a aussi une cause plus immédiate. Elle s’inscrit dans une tentative de
contrecarrer la décision palestinienne de former un gouvernement d’unité
nationale, décision que même les États-Unis ne pourraient contester.
L’échec de l’initiative de «paix» lancée en désespoir de cause par le
secrétaire d’État des États-Unis John Kerry a conféré une légitimité à
l’appel qu’ont lancé les Palestiniens aux organisations internationales pour
faire cesser l’occupation. Au même moment, les Palestiniens ont bénéficié
d’une large approbation internationale pour leur tentative prudente, incarnée
par le gouvernement d’unité, d’élaborer une stratégie coordonnée entre les
divers groupes palestiniens, dont les priorités ne sont pas les mêmes.
Depuis juin 1967, Israël cherche à conserver les territoires qu’il occupe
sans accorder à leurs habitants palestiniens la citoyenneté et les droits qui
en découlent, et participe à un «processus de paix» qui se résume à une
mascarade destinée à dissimuler sa politique unilatérale de colonisation et à
gagner du temps.
Au cours des dernières décennies, Israël a établi une distinction entre
les zones qu’il souhaite gérer directement et celles qu’il entend contrôler
indirectement. Son objectif à long terme consiste à réduire la population
palestinienne au plus strict minimum en ayant recours, entre autres moyens,
au nettoyage ethnique, à l’étranglement économique et au confinement
géographique. C’est ainsi que la Cisjordanie a été subdivisée en zones
«juives» et «palestiniennes», une réalité avec laquelle la plupart des
Israéliens sont à l’aise dans la mesure où les habitants palestiniens des
bantoustans acceptent leur incarcération dans ces prisons géantes. La
situation géopolitique de la Cisjordanie donne l’impression, du moins en
Israël, qu’il est possible d’atteindre cet objectif sans craindre un troisième
soulèvement ou de trop vives condamnations de la communauté
internationale.
La bande de Gaza, elle, ne pouvait se prêter aussi facilement à une
telle stratégie en raison de sa situation géopolitique particulière. Depuis
1994, et surtout depuis le mandat d’Ariel Sharon comme premier ministre
au début des années 2000, Israël a entrepris de ghettoïser Gaza, dans
l’espoir de voir ses 1,8 million d’habitants sombrer dans l’oubli, pour de
bon.
Mais le ghetto s’est montré rebelle et a exprimé son refus de vivre dans
des conditions marquées par l’étranglement économique, l’isolement, la
misère et la famine. Jamais l’annexion à l’Égypte n’a été possible, en 1948
comme en 2014. En 1948, Israël a entassé dans la région de Gaza (avant
qu’elle ne soit réduite à une «bande») des centaines de milliers de réfugiés
chassés du nord du Néguev et de la côte sud dans l’espoir de les voir
s’éloigner le plus possible de la Palestine.
Après 1967, Israël a tenté pour un temps de maintenir la Cisjordanie
dans un statut de township, ce qui lui donnait accès à un bassin de main-
d’œuvre non qualifiée, privée de ses droits fondamentaux. Après que le
peuple eut résisté à l’oppression en menant deux intifadas, la Cisjordanie a
été fragmentée en minuscules bantoustans cernés par des colonies juives,
mais pas la bande de Gaza, trop petite et trop densément peuplée. Les
Israéliens ont été pour ainsi dire incapables de «cisjordaniser» la bande. Ils
l’ont donc bouclée à la manière d’un ghetto. Lorsque ses habitants se sont
mis à résister, l’armée a été autorisée à les écraser à l’aide de son arsenal le
plus meurtrier. Le résultat inéluctable d’une telle réaction cumulative peut
être qualifié de génocidaire.
[Ce livre a été publié en 2016, soit 7-8 ans avant l'intensification actuelle (2023-2024) du génocide. La logique génocidaire en Palestine n'est pas nouvelle.]
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Les chances de sortir de l’impasse resteront nulles tant qu’on ne
démasquera pas la supercherie que constituent le faux processus de paix et
la solution à deux États. Il est temps de chercher la clé là où on l’a perdue.
Pour ce faire, on doit commencer par cerner le problème, à savoir révéler la
nature colonialiste du sionisme et admettre qu’Israël est un régime
d’apartheid. Il n’existe ni d’autre sionisme ni d’autre Israël. Le seul fait de
mettre au jour cette réalité pourrait avoir un impact considérable, vu
l’importance que revêt le soutien international dans le maintien de la
suprématie d’Israël sur les autres forces de la région, mais aussi en raison
des conflits internes au sein de la société israélienne.
Toute recherche de solution devrait s’appuyer sur une telle
interprétation du problème. Elle devrait s’amorcer par un débat, auquel
participeraient tous les habitants du pays, sur les façons de vivre ensemble
dans un État de droit où régneraient l’égalité et la coopération. Les réfugiés
palestiniens devraient aussi prendre part au débat: de leur droit au retour
découle celui de contribuer à la détermination de l’avenir de leur pays. Il est
essentiel d’avoir pour objectif d’instituer un État pour tous les habitants et
tous les réfugiés du pays, car cela détermine qui peut prendre part au débat
sur son avenir.
Le sionisme a toujours fait de son mieux pour diviser le peuple
palestinien et le mener dans un cul-de-sac. Il a commencé par éloigner les
réfugiés de la Palestine et par isoler la population palestinienne dans les
territoires délimités en 1948. Aujourd’hui, on assiste à la séparation
politique de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. L’adoption d’un ordre du
jour commun par l’ensemble des composantes du peuple palestinien
représenterait un premier pas vers une solution. Les technologies
contemporaines peuvent servir de base à des débats ouverts, par-delà les
frontières et les postes de contrôle, qui permettraient d’élaborer un
programme, de tisser des liens plus solides et de déterminer la voie à
emprunter collectivement.
Rien de tout cela ne sera facile. Des antagonismes opposent les divers
secteurs de la société, les milieux religieux et séculiers, les autochtones
palestiniens et la troisième génération de colons juifs. Une nouvelle
répartition des ressources sera nécessaire pour compenser les pertes dues à
des décennies de dépossession et de discrimination. On ne sait trop quels
seront la nature de la nouvelle société et le cadre politique que nous
créerons ensemble, mais nous devons impérativement commencer à en
discuter sérieusement. Qui plus est, nous devrons mener une dure bataille
contre un régime oppressif qui considère toute autre perspective que celle
d’un État juif raciste comme une «idée suicidaire» ou une «menace pour
notre existence».
Voilà la tâche qui nous attend, les problèmes que nous devons
résoudre. Tant que nous ne regarderons pas la réalité en face, nous
continuerons à perdre notre temps. Une juste compréhension du problème et
un projet de solution adéquat pourraient créer une dynamique positive qui
bouleverserait l’équilibre des pouvoirs.
[Livre publié en 2016]
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Noam Chomsky: Au cours des 10 dernières années, Israël a connu un
important virage à droite vers le nationalisme et l’extrémisme, tant sur le
plan politique que sur celui de l’humeur générale. Il règne en Israël une
sorte de mentalité d’assiégés, comme en Afrique du Sud vers la fin de
l’apartheid. «Tout le monde nous déteste, car tout le monde est antisémite,
alors nous ferons bien ce qui nous chante.» Les Israéliens considèrent que
rien n’est de leur faute, que tout est la faute des autres, et ils l’expriment
avec une violence parfois inimaginable. Je pense par exemple à ces scènes
constatées pendant l’opération Plomb durci contre Gaza, où des Israéliens
installés dans des transats au sommet des collines applaudissaient chaque
fois qu’une bombe tombait. Un tel comportement dépasse les limites de
l’obscénité. Malheureusement, il est représentatif de l’état d’esprit d’une
bonne partie de la population. Des courants contraires existent, mais, pour
ce que j’en connais, ils sont plutôt marginaux. Les manifestants du
boulevard Rothschild, qui avaient bâti un campement à la Occupy, avaient
des revendications assez minces: «Je veux améliorer mon sort. Je veux un
meilleur logement.» En fait, les organisateurs avaient décidé de passer sous
silence la question palestinienne. «Que puis-je obtenir pour rendre ma vie
meilleure?» Il faut tout de même admettre que la société israélienne est
passée d’un genre de social-démocratie de type plus ou moins scandinave à
une forme extrême de néolibéralisme, une caricature digne des États-Unis,
avec de fortes inégalités de richesse et de privilèges. Par ailleurs,
l’ambiance séculière qui règne à Tel-Aviv montre qu’on déploie beaucoup
d’énergie pour rendre Israël attrayant aux yeux de la jeunesse occidentale.
À Tel-Aviv, il y a des bars gais et d’autres trucs du genre; la ville est sans
doute la capitale gaie de la Méditerranée.
Cette société devient de plus en plus laide; elle s’est engagée sur une
pente qu’on pourrait qualifier de suicidaire. Les Israéliens s’inquiètent
beaucoup de ce qu’ils appellent la délégitimation – et il est vrai qu’ils sont
en train de se délégitimer. J’ai l’impression que cette tendance est devenue à
peu près inéluctable à partir de 1971, quand le pays a choisi de tourner le
dos à la sécurité en faveur de l’expansion; ce virage a eu nombre de
conséquences plus ou moins inévitables, mais somme toute assez
prévisibles. On constate néanmoins des changements mineurs, dont j’ignore
quelle sera la portée, dans la répression de la population palestinienne.
Prenons l’exemple des lois les plus racistes de l’État d’Israël, celles qui
régissent le territoire. Environ 92% des terres étaient entre les mains du
Fonds national juif (Keren Kayemeth LeIsrael, KKL), une organisation qui,
en vertu des contrats la liant à l’État, était tenue d’agir uniquement pour le
bien «des gens de race, de religion ou d’origine juive» (c’était formulé
ainsi). Grâce à un enchevêtrement de structures administratives et
bureaucratiques, le KKL contrôlait donc dans les faits plus de 90% du
territoire, d’où les Arabes étaient essentiellement exclus. Autour de l’an
2000, une faille est apparue dans cette structure: la Cour suprême l’a
invalidée en principe dans une cause relative à une colonie en particulier.
En vertu du jugement, il n’était désormais plus possible d’interdire les lieux
aux Arabes, si bien que, au bout de cinq ou six ans, le couple palestinien qui
tentait de s’y établir a finalement été autorisé à le faire. Cependant, et vous
êtes sans doute mieux au fait du dossier que moi, Ilan, je ne crois pas que
cette décision ait eu d’impact notable ailleurs, et les parlementaires tentent
actuellement d’en amoindrir la portée. Il s’agit là d’un exemple parmi
d’autres de la rigidité politique israélienne. Certaines situations sont
vraiment choquantes. Dernièrement, Ruchama Marton, cette femme
extraordinaire qui dirige une association de médecins israéliens pour les
droits de la personne, m’a appris une chose que vous savez probablement,
soit que, dans les hôpitaux d’Israël, les Palestiniennes en couches n’ont pas
accès aux maternités réservées aux juives et se voient contraintes d’aller
ailleurs. […] Il en va ainsi partout.
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La troisième décision [en juin 1967] a été de ne pas accorder la pleine citoyenneté à
la population occupée, afin de ne pas mettre en danger la majorité
démographique juive. Hier comme aujourd’hui, il existe en Israël un désir
largement partagé de conserver la Cisjordanie pour de bon, mais celui-ci
cohabite avec une conscience de l’inopportunité d’annexer officiellement
les territoires occupés et de l’impossibilité d’en expulser la population en
masse. Les intentions relatives à la bande de Gaza, elles, étaient et sont
toujours plus ambivalentes, la motivation première consistant à voir celle-ci
disparaître. Une telle perspective était envisagée en 1967, et, ces dernières
années, elle a pris la forme d’un inquiétant plan d’action. Et pourtant,
conserver les territoires occupés avec leur population semblait tout aussi
indispensable que le maintien d’une majorité juive au sein d’un État juif,
quelle que soit sa forme.
Les procès-verbaux de ces réunions ministérielles sont maintenant
accessibles aux historiens. Ils mettent au jour l’incompatibilité des deux
sentiments que sont la soif de nouveaux territoires et la réticence à en
chasser ou à en intégrer les populations. Mais ils révèlent également à quel
point les ministres étaient fiers d’avoir rapidement trouvé un moyen de
sortir de cette impasse logique et théorique. Ils étaient convaincus, comme
le seront tous leurs successeurs, d’avoir découvert la formule qui
permettrait à Israël de conserver les territoires qu’il convoitait, sans intégrer
le peuple dont il niait l’existence et en préservant son immunité et sa
réputation internationales40.
Traduits en politiques concrètes, de tels objectifs ne peuvent donner
lieu qu’à une réalité inhumaine et impitoyable sur le terrain. Il ne peut
exister de variante bénigne ou éclairée d’une politique destinée à priver des
gens de leur citoyenneté pour une longue période. Une seule institution a
pour principe de dépouiller des citoyens de leurs droits fondamentaux: la
prison moderne.
En tentant de sortir de l’impasse où le menait ses ambitions
nationalistes et colonialistes, le gouvernement israélien a incarcéré en 1967
quelque 1,5 million de personnes dans sa mégaprison. Cette prison
n’accueille pas quelques détenus incarcérés à tort ou à raison, mais une
société tout entière. La mise en place de ce système cruel servait certes
d’ignobles desseins, mais pas uniquement. Sans doute conscients du fait
qu’elle constituait un châtiment collectif pour un crime jamais commis,
certains de ses architectes souhaitaient sincèrement que la prison soit la plus
humaine possible; d’autres, en revanche, n’ont pas pris la peine d’en
imaginer une variante plus douce. Mais ces deux courants existaient bel et
bien. C’est pourquoi le gouvernement a décidé d’offrir deux modèles de la
mégaprison aux populations de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. L’un
était une prison à ciel ouvert, et l’autre, un établissement à sécurité
maximum. Si elles n’acceptaient pas la première, elles obtiendraient la
seconde.
La prison à ciel ouvert accordait à ses détenus une certaine autonomie
sous le contrôle direct et indirect d’Israël, tandis que l’établissement à
sécurité maximum privait les Palestiniens de toute autonomie et leur
infligeait d’impitoyables mesures punitives ou des restrictions; au pire, on
les exécutait. Dans les faits, la prison à ciel ouvert s’est avérée assez
odieuse et inhumaine pour provoquer la résistance des populations
enclavées, qui se sont vu imposer l’établissement à sécurité maximum en
représailles. En gros, la variante plus douce a été en vigueur au cours de
deux périodes, à savoir de 1967 à 1987 et de 1993 à 2000, et les représailles
ont été exercées de 1987 à 1993 et de 2000 à 2009.
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Noam Chomsky, Fabian Scheidler : La fin de la mégamachine. Une civilisation en voie d’effondrement.
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