Dix petits nègres "débaptisés".
En définitive, cette décision ne t'aurait peut-être pas choqué, chère Agatha. Toi, qui, aussi bien dans ta vie personnelle que d'écrivain, n'as cessé de tricher. D'abord avec les codes du roman d'enquête : "
le meurtre de Roger Ackroyd", le coupable ne peut jamais être le narrateur ; «
le crime de l'Orient express " : on ne doit jamais, dans un whodunit, mettre en scène plusieurs coupables (ici, en l'occurrence, ils le sont tous) ; les domestiques ne sont jamais des assassins, mais souvent tu as usé et abusé du procédé.
Bref, chère Agatha, il paraît que ton petit-fils aurait autorisé, sans pression aucune... , la modification du titre de ton roman, "
Dix petits nègres ". Eh oui, on récolte toujours ce que l'on sème, même au fin fond de l'éternité.
Ton hypocrisie, toujours fort bien mise en scène, et dont tu n'as jamais rien caché après avoir, un jour, mystérieusement et lâchement disparu, te rend visite par-delà les morts.
Mais tu étais une femme libre, Agatha.
Ajoutée à ta trahison du whodunit, par la violation de ses codes les plus élémentaires, que reste-t-il de toi ? : ton livre, peut-être le plus populaire, travesti par des ayatollahs de la pensée – « couvrez ce sein que je ne saurais voir » -, au profil de ceux, lobotomisés, qui, déjà depuis longtemps, ne savent plus penser et réfléchir !
Au fond, je dois les remercier, chère Agatha. Je réfléchissais à un titre pour mon roman à paraître dans quelque temps. le voici : «
Dix petits nègres » Ce titre n'est-il pas libre, désormais ? Et de mon vivant, nul ne le débaptisera.
C'est une chronique quelque peu funèbre, Agatha. Mais avec la dépouille des soldats de l'an II, ceux de la résistance, de Colbert, de
Jean Jaurès, de Picasso ou de
Stefan Zweig et de tant d'autres - hommes et femmes politiques, résistants, poètes ou écrivains, mais tous épris de liberté -, repose en paix Agatha.
Michel.
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