Je viens de relire "
Dix petits nègres" (oui, je sais bien que tel n'est plus le titre du roman, mais je n'arrive pas à m'y habituer... Et par ailleurs, même si je comprends ce que ce premier titre a de choquant, je crois que j'aurais préféré qu'on le lui conserve, en prenant le temps d'écrire une note liminaire afin de recontextualiser l'ouvrage, non pas dans le but d'excuser ce mot infâme de "nègre" mais d'expliquer pourquoi en 1939, il pouvait s'afficher en pleine couverture... Il me semble que ce serait plus enrichissant et intelligent de faire de la sorte plutôt que de "censurer"...m'enfin. Ce n'est que mon avis et il n'engage que moi.).
Je viens de relire "
Dix petits nègres" où "
Ils étaient dix" (remarquez, il claque pas mal ce titre aussi) et quel plaisir! Quel plaisir vraiment!
Ce livre-là fut mon tout premier
Agatha Christie et c'est mon papa -grand admirateur de cette bonne vieille Agatha et de
Simenon- qui me l'avait fait lire alors que j'étais collégienne. C'est même lui qui avait glissé mon exemplaire du livre (jaune et noir, l'un de mes premiers livres "adultes") dans le chariot des courses de la rentrée sous l'oeil amusé de ma maman.
Pour lui, "
Dix petits nègres" était le meilleure roman policier du monde, à égalité avec "
Mort sur le Nil".
Je me souviens comme il suivait l'avancée de ma lecture, comme il me demandait à chaque fois où j'en étais et je revois son sourire en coin, son air un peu goguenard quand je me lançais dans des suppositions où quand je désespérais de ne jamais comprendre ce qui se tramait sur cette île de malheur.
Et son regard pétillant quand arrivée à la dernière page, j'ai traversé la maison en courant "non mais papa, c'est sérieux? C'est génial". Après lui et tant d'autres, Agatha et l'île m'avait eue à mon tour et il était heureux de partager ça avec moi.
"
Dix petits nègres", ce sont ces dix personnages dont on sent, dont on sait qu'ils nous cachent leur part la plus sombre mais qui n'en demeurent pas moins terriblement humains. C'est cette tension qui monte, qui monte jusqu'à l'angoisse et jusqu'à la terreur. C'est cette sensation d'étouffement, de suffocation qui vous saisit à la gorge tandis qu'impitoyablement les statuettes se brisent une à une. Cette incompréhension, mêlée de panique et d'incrédulité quand on s'approche d'un dénouement qui se joue encore de nous. C'est ce sens magistral du suspense, cette manipulation trop bien orchestrée. Cette intrigue complètement folle et addictive. Ce jeu de piste qui s'apparente au jeu de massacre, d'une rare intelligence.
Ils étaient dix. Il n'en restera aucun et pourtant, il y a bien un coupable.
Le plaisir est presque intact à la relecture. Je n'avais pas oublié l'identité du fossoyeur des dix, mais j'ai pris plaisir à traquer les indices et surtout à me plonger dans les pensées des personnages, riches, complexes, ambigus.
Agatha Christie était une grande romancière, mais elle excellait aussi dans l'observation de ses semblables. Quelle finesse!
Encore une fois,
ils étaient dix et il n'en reste aucun.
Encore une fois, j'ai senti monté la tension jusqu'à l'insupportable même en sachant que...
Virtuose!
Mon papa serait content de savoir que je l'ai relu et qu'Agatha a toujours une bonne place dans ma bibliothèque. Sûrement qu'il m'emprunterait ceux qu'il n'avait pas et qu'on en parlerait jusqu'à tard dans la soirée.