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Critique de Nastasia-B


Nous avons tous des vécus littéraires, des attentes, des ressentis particuliers vis-à-vis de nos lectures. Chaque lecture est une expérience ; chaque critique une tentative, plus ou moins réussie, plus ou moins maladroite, pour relater auprès des autres ce que fut pour nous cette expérience. En cela, la critique s'approche de notre vérité particulière, jamais, jamais, jamais de la vérité générale.

Bien que chaque jour de plus en plus ridée, je n'avais encore jamais pris le temps de lire un quelconque roman d'Agatha Christie, dont on connaît par ailleurs la réputation. Toutefois, j'avais lu avec grand intérêt il y a quelques mois l'analyse de Pierre Bayard intitulée « Qui a tué Roger Ackroyd ? » à propos de la mécanique d'écriture de cette auteure.

Je n'étais donc pas tout à fait une lectrice naïve, mais je ne possédais aucune information concrète concernant cette oeuvre en particulier, Dix petits nègres, considérée par la communauté comme l'une de ses plus abouties. Si j'ai pris tant de précautions pour relater mon expérience de lecture, c'est justement parce que, à l'âge que j'ai, avec l'expérience de lecture que j'ai, avec l'éclairage décisif que constitue le livre de Pierre Bayard, j'ai deviné tout de suite qui était le coupable.

Or, dans ce genre de livre, connaître le fin mot dès le départ a quelque chose de rédhibitoire. Pourtant, j'affirme n'être ni une surdouée, ni une extralucide, ni une experte en intrigue policière, bien au contraire. En revanche, je suis particulièrement sensible et attentive aux mécaniques d'écriture, aux procédés de présentation des personnages.

Bon an, mal an, le contrat tacite sur lequel repose un roman policier de ce type consiste à faire du coupable l'un des premiers personnages présentés (on peut difficilement sortir d'un chapeau un inconnu à la toute fin d'ouvrage) et, si possible, faire de ce coupable le dernier qu'on pourrait soupçonner. En ce sens, ce n'est presque plus du roman, dans l'acception que je donne à ce mot, mais un jeu.

L'auteure ne va pas nous livrer une quelconque vision du monde, un quelconque arsenal stylistique autre que celui générant du mystère et de l'intrigue dans le but d'envoyer le lecteur sur de fausses pistes. On sait que les personnages ne vont pas évoluer et si épaisseur ils auront, elle viendra seulement d'un dévoilement progressif de leur passé, savamment caché au préalable pour créer ce fameux mystère.

Bref, cela s'apparente pour moi aux règles d'un jeu de plateau, plus tellement à ce que je considère comme — et ce que j'attends — de la littérature. Ce n'est pas le côté policier qui est en cause, car j'adore, par exemple des romans noirs comme Moisson Rouge de Dashiell Hammett ou encore et surtout un L. A. Confidential à la sauce James Ellroy.

Là, j'assiste à une sorte de bras de fer entre l'auteure et moi, qui consiste à essayer de me tromper en glissant de manière anodine des informations pertinentes, ou à me téléguider sur les rails de l'erreur en permanence. L'ennui, c'est que sachant cela, le lecteur ou la lectrice peut prendre les devants et surtout, surtout, sortie de l'intrigue, il ne reste, à mes yeux, plus beaucoup d'intérêt.

Je peux vous dire par exemple ce qui se passe à la fin des Raisins de la Colère, à la fin des Liaisons Dangereuses, à la fin d'Anna Karénine, ces romans auront toujours autant d'intérêt à être lus, par contre, si je vous dis maintenant qui est le coupable des Dix petits nègres, la lecture ne présente d'après moi plus aucun intérêt. Et en soi, si je lis, ce n'est pas pour jouer à la plus fine avec une auteure mais pour partager sa vision du monde, son expérience de la vie. Si j'ai envie de faire un jeu, eh bien, je prends un jeu et j'invite des amis, je ne prends pas un roman…

Car ici, sur le terrain purement romanesque, je reste sur ma faim. J'ai trouvé les personnages hautement caricaturaux et peu crédibles. Je me limiterai à un seul exemple, sous peine de dévoiler ce qui ne le doit absolument pas concernant cette oeuvre. Prenons le cas du domestique : le brave gars vient de se faire butter sa femme et il reste parfaitement stoïque et continue à effectuer son service comme si de rien n'était.

J'avais plus l'impression d'avoir affaire à Nestor, le domestique de Moulinsart dans Tintin qu'à un authentique employé. (Sans parler, bien entendu de l'odeur des macchabées en décomposition dans les piaules qui ne semble déranger personne… Et vas-y que je te reprends un petit déjeuner avec tout le monde : « Beurre ou confiture sur vos toasts ? »)

En somme, globalement, ce livre est une déception pour moi. J'ai eu l'impression de lire un livre jeunesse alors que j'espérais autre chose. Ma déception provient peut-être plus des attentes que j'avais échafaudées que du livre lui-même, je ne sais pas. J'en lirai sans doute un autre pour me forger une opinion moins monolithique, mais si le désappointement se confirme, à l'âge auquel j'arrive, j'en resterai là avec Agatha Christie. Bien entendu, cet avis n'est que le reflet de mon expérience personnelle à un instant t, et, sorti de là, il ne signifie pas grand-chose.
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