Allo ? Mr Ciriez ?
Amateurs de séries B, de la Super 5 saga année 1989, du Ciao Piaggio, de bières, et de comédiens de second rôle, ce bouquin est pour vous.
A première vue, c'est un recueil de différents récits. Mais pas tout à fait. Au départ j'ai pensé a un livre de nouvelles, les unes s'enchaînaient les unes après les autres, dans un désordre apparent ; les appels téléphoniques impromptus entre les récits sont déstabilisants ! (Allo ? quoi ? c'est quoi ce binze ?) Mais en refermant ce livre j'ai été cueillie, comme on se fait surprendre par la face B d'un bon vieux vinyle.
L'auteur vous embarque en Bretagne, à Alger, Dunkerque et Paris dans une sorte de road trip rigolo, légèrement désabusé, et sensible. Nous sommes dans les années 80 ou 2000. Dans
Récits B, il est question d'usine d'ordures, de gare, de rails, de forêts, de bretelles d'autoroute, du stade de France, de rues de Paris, de la porte Saint-Denis, de petits bras, de gros bras, de la bêtise crasse, de sexe, du rock'n'roll et de blousons.
La tenue de l'ensemble, la composition et la voix unique puissante drôle et tendre de l'auteur, le rythme. J'ai beaucoup ri et souri, car
Récits B est drôle. Les récits ? Non c'est un récit entier tenu, circulaire, léger. L'auteur mêle tant de voix et de styles, que cela me semble un tour de passe passe d'être parvenu à créer un objet d'un seul tenant, composé de tant de personnages.
Un photographe canadien, et son assistant (l'auteur lui-même avec ses doigts gras sur les pellicules photo), un supporter de foot anglais, un vendeur de kebbab, Damien l'auteur malheureux, l'ami secrétaire de rédaction à la Santé Mentale, une pute chinoise.
Récits B est une somme de personnages arnaqueurs, ou arnaqués, qui pratiquent de petits arrangements avec l'argent, la vieillesse, le succès, la gloire, les anciens amis d'enfance, ou avec le décor lui-même. Pour l'auteur, les arnaqueurs sont des « rats », et les cougards des « vieillardes », les auteurs malheureux des « écrivains sans oeuvre » et les adolescentes des « souillons ».
La nouvelle « Rond-point à l'anglaise » d'abord. Celui de l'auteur me rappelle celui de Dupontel dans « Adieu les Cons ». Laid, et beau, puissant, chargé, attractif. le rond-point moteur. « Je hais cette prudence de couvre-feu universel instituée par l'avénement du rond-point comme forme idéale de distribution routière à « létalité atténuée ». Tourner tourner tourner, pendant plusieurs minutes dans un rond-point. Tout le monde a fait cela au moins une fois non ? Enfin, si vous faites l'expérience, vous ressentirez comme l'auteur l'écrit très bien: « le souple mouvement circulaire qu'ils imposent le volant… le moment de secrète confusion du choix, quand on ne sait si on a vraiment envie de prendre une sortie ou ne jamais quitter le réseau »
Un 21 janvier dans le 75, dans le métro, le narrateur menacé, s'attend à revivre une bagarre. Lui il était du genre petite gueule maladroite : « J'avais frappé le premier, paf ! en plein dans l'oeil d'un abruti qui écoutait du ska et à qui j'avais dit « Ska va bien ? ». C'est sa veste qui le sauve, il a l'allure d'un « fusilier marin » plutôt qu'un « guichetier HSBC ». L'association est saisissante!
Le récit des Femmes fumigènes est pour moi, le plus réussi. Une pépite. Atteindre la cathédrale du foot de Saint-Denis, pour un supporter bourré pas facile. La scène des femmes sudistes (encore!) dans les toilettes avec leurs fumigènes comme des tampons hygiéniques ! Suppots, supporters…. le foot c'est physiquement dramatique. Wouarf !
La scène de drague dans le bar Le Phalanstère est hilarante, la femme insiste, « Je serai ta première vieillarde ! »
La fin va vous surprendre, et vous vous verrez en train de relire les pages en sens inverse ! Ah ah ah ! Une scène érotique, sublime irréelle referme la boucle, l'auteur la réécrit plusieurs fois pour le plaisir. Celui du style, offrir au lecteur la possibilité d'observer de plus près le pouvoir de la phrase sur les images et les émotions.
Je crois que la réussite de ce livre tient beaucoup à la façon dont l'auteur apparait et disparait derrière les histoires et les personnages. Une sorte de face A qui surgit parfois en transparence. C'est cette subtilité, et les ombres dans lesquelles l'auteur mêle sa propre voix aux autres qui fait lien, et corps.
J'ai été touchée par cette tendresse de l'auteur pour les détails qui tachent, pour leur puissance à nous dire nos façons d'être devenus un peu tous des humains B pour qui « la mort .. (est)…incontournable comme une compilation NRJ des hits de l'été 2012. »
Pour moi, le talent de
Frédéric Ciriez réside autant dans la composition, l'humour, le style. Sur la scène des seconds rôles, l'auteur prend beaucoup de plaisir (et nous le fait partager) à mettre les hommes des camions poubelles sous la même lumière que les professionnels de l'art avec cette autodérision du narrateur : « Nous oeuvrons quotidiennement au tri sélectif des déchets, eux dans l'ordure ménagère, moi dans la critique d'art.» Je suis cueillie.