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Citations sur La colombe poignardée (19)

Le divin résidait dans sa vie passée et pas ailleurs. Aussi, pouvait-il dire , avec une sorte d'ironie, que le nom d'un pâtissier de son enfance contenait pour lui plus de substance divine qu'une relique qui renfermerait le sang du Christ ; et que les artistes, les philosophes auraient été bien incapables de reproduire celle-ci.
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Voyage à Fontainebleau - besoin impératif de joindre sa mère au téléphone, denrée rare à cette époque.

Quoique Proust raconte ce qui lui était arrivé quelques minutes plus tôt, il n'a pas composé une page de journal, comme l'eût fait chacun de nous. Avec l'invraisemblable ambiguïté des grands écrivains, il détacha de lui ces expériences : il procéda à une élaboration artistique de la réalité, devint Jean Santeuil, changea Fontainebleau en Trouville, les demoiselles du téléphone en garçons, renversa l'ordre des évènements, afin d'atteindre à un effet de tension déchirante. Je crois que peu de circonstances nous mènent plus près du mystère de la création artistique.

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La nuit, il dormit bien, sans prendre de somnifères et sans sa rituelle crise d'asthme : car la littérature, si elle nous livre sans défense aux assauts de la névrose, nous protège parfois, ironiquement, de ses tortures.


page 69
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Reynaldo Hahn et Marcel Proust

Il y eut toujours dans cet amour, dès le début, quelque chose de "violent, mélancolique et doux", comme dans la voix calme de Reynaldo Hahn. Mais jamais Proust ne connut de période plus heureuse : joie de l'âme, du corps, des pensées, des mouvements, qui se reflète dans les pages de "Jean Santeuil" écrites du temps de leur amour. Avec quelle bonne humeur ils bavardaient, s'écrivaient, échangeaient des potins, traversaient rapidement Paris en calèche! Pour la première fois de sa vie, Proust se sentit libre. Si, au cours des années précédentes, il s'était senti dominé par le destin, la nécessité du temps et du caractère, voilà que le 1er janvier 1895, il commençait l'année, constatait-il "avec un sentiment plus vif de la grâce divine et de la liberté humaine, avec la confiance dans une Providence au moins intérieure". Il devait assurément cette liberté à Reynaldo Hahn.
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Peu d'être humains ont désiré le bonheur avec la véhémence, la douceur, l'ivresse fiévreuse de Marcel Proust adolescent. Seul peut-être le jeune Tolstoï, auquel le liaient de singulières affinités et ressemblances, rechercha le bonheur avec la même ferveur douloureuse et irrépressible : il voulait que la vie demeurât elle-même, rien de plus qu'un fragment de temps - et cependant franchît d'un bond une limite, devenant un mystérieux au-delà, une épiphanie de l'invisible et de l'outre-temps.
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- Madame Jeanne Proust née Weil

Comme son père, elle aurait voulu lui imposer un mode de vie draconien, capable de vaincre sa neurasthénie. Un jour, une dispute éclata devant les domestiques. Le fils, furieux, claqua la porte vitrée de la salle à manger qui vola en éclats ; et, de retour dans sa chambre, volontairement ou par hasard, il brisa un vase de verre vénitien que sa mère lui avait offert. Jamais ils n'étaient allés aussi loin. Proust écrivit à sa mère une lettre d'excuses. Elle lui répondit par un billet : "Ne repensons plus et ne reparlons plus de cela. Le verre cassé ne sera plus que ce qu'il est au temple - le symbole de l'indissoluble union." Jeanne Weil faisait allusion à la cérémonie du mariage israélite où les nouveaux époux, après avoir bu du vin dans le même verre, brisent celui-ci ; et c'est la seule fois, à notre connaissance, où la mère rappelle un rite de sa foi abandonnée, oubliée et enfermée à jamais dans un recoin de sa mémoire. Ce souvenir est un sceau, le sceau de l'union indissoluble, de "l'unio mystica," qui liait la mère et le fils.

page 63
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A la fin il n'avait plus besoin d'aucun secours extérieur. Le temps se cachait au fond de lui : toutes les lumières, les musiques, tous les frémissements de la nature occupaient son organisme ; son corps était l'univers. Il lui suffisait d'interroger sa "cité intérieure de nerfs et de vaisseaux"*, d'écouter le "petit peuple de [ses] nerfs", actifs et éveillés, pour savoir tout ce qui se passait au-dehors, dans l'immensité du monde extérieur. Son corps de reclus vivait constamment en relation avec la totalité vibrante du cosmos, avec la solidarité des forces élémentaires. Voilà pourquoi nul autre poète de la météorologie ne nous convainc, ne nous charme et ne nous émeut comme Marcel Proust. [...]
"Et peut-être aussi la grande sobriété de ma vie sans voyages, sans promenades, sans société, sans lumière, écrivait-il à Marthe Bibesco, est-elle une circonstance contingente qui entretient chez moi la pérennité du désir"**. (1ère partie, ch. VI, p. 92)

* La recherche, III, 1095-1096.
** Correspondances, XI, 109.
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Nous sommes parvenus ici, vers la fin du temps retrouvé; nous avons lu des milliers de pages, sans comprendre les signes, les indices, les avertissements, les révélations inachevées, les clartés dans l’ombre; des épisodes entiers reçoivent maintenant leur signification : nous n’avions même pas compris les premières pages ; il nous faut maintenant revenir en arrière, déchiffrer Longtemps je me suis couché de bonne heure , puis relire tout le livre, tandis que Marcel commence à écrire le sien.
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(p. 228-229)

Et puis – aimée, haïe, désirée, redoutée – la mort vint. (…) Il refusa tous les traitements des médecins, et pratiquement toute alimentation. Il ne cherchait pas à se suicider, comme l’en ont soupçonné certains. Il voulait vaincre la mort tout seul, avec les forces immenses de son livre et celle que, de loin, sa mère lui prêtait: sans prier, sans pleurer, sans gémir, sans parler, sans appeler à l’aide. Ce fut une folie. Il aurait suffi d’un traitement médical pour lui permettre de vivre et de terminer la Recherche, encore si pleine de vides, de discordances, d’arcs ouverts sur les abîmes, de clochers à demi dressés. Ce fut une folie: la dernière, simplement, d’un homme qui, toute sa vie, fut dévoré du désir de l’impossible, de l’immense et de l’extrême.
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(p. 48)

A Paris, Reynaldo Hahn et Proust allèrent un jour au Jardin d’Acclimatation, où il y avait un groupe de colombes poignardées – ces colombes qui portent à la poitrine une tache rouge pareille à une blessure ensanglantée. (…) Reynaldo fit remarquer qu’« avec leur blessure rouge et comme encore chaude », les colombes poignardées ressemblent à des nymphes qui se sont suicidées par amour et qu’un dieu a changées en oiseau ». Ce jour-là, Proust les contempla longuement, et il les aima de plus en plus profondément.
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La Recherche est une oeuvre unique. Si nous lisons Wilhelm Meister, Crime et Châtiments, Anna Karénine, les Démons ou L’homme sans qualités, nous découvrons que l’oeuvre grandit d’abord comme un arbre ou un taillis, sans posséder encore une architecture, ou une théorie sur elle-même.
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