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Brigitte Pérol (Traducteur)
EAN : 9782070710553
400 pages
Gallimard (21/10/2004)
4.35/5   10 notes
Résumé :
Lancé sur les traces d'Ulysse, " l'homme à la pensée chatoyante ", Pietro Citati nous invite à redécouvrir le héros le plus célèbre de la poésie épique occidentale.
Semblable à Hermès, son archétype divin, Ulysse aime le voyage, l'aventure, la magie, la ruse, les frontières. Nul héros n'est plus mobile que lui, même ses cheveux changent de couleur, tantôt blonds, tantôt pareils à la fleur de jacinthe. Figure complexe, peut-être faut-il, pour comprendre Ulysse... >Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
J'ai lu La Pensée chatoyante lentement, avec délectation, revenant sur certains paragraphes, retournant en arrière, rien que pour le plaisir. J'ai fait durer la lecture et je referme le livre à regrets. J'y reviendrai!

Il fait suite à la lecture de Mendelsohn sur le même thème : Une Odyssée:  un père, un fils, une épopée, que j'ai également beaucoup aimé. Deux commentaires d'une même oeuvre, et sans un moment d'ennui ou de redondance. Une même impression de découverte (re-découverte?). Et pourtant ma dernière relecture de l'Odyssée en voyage à Ithaque  ne date que de quelques années.

Mendelsohn livre une interprétation personnelle très humaine, un père, le sien, un fils, lui même en parallèle avec la (re)connaissance d'Ulysse par Télémaque.

En revanche, Pietro Citati met en scène les dieux. le Prologue raconte la naissance d'Apollon et celle d'Hermès puis présente les Muses, " filles de Mnémosyne, la Mémoire". Apollon contradictoire,avec sa cithare-arc "entre terreur et harmonie, entre force et faiblesse, entre nuit et lumière, entre l'arc et la lyre....." . C'est à Hermès qu'il attribue la Lyre, et aussi "un esprit au mille couleurs, chatoyant". La Pensée Chatoyante, titre de l'oeuvre, est elle dédiée à Hermes ou à Ulysse, lui aussi sinueux, changeant, menteur, voyageur... en un mot hermétique. Ce dernier adjectif, est un mot-clé du livre. Très prosaïque, moi-même, je ne connaissais que le sens "se dit de tout objet étanche ", à la rigueur "difficile à comprendre" ; je n'avais jamais fait la liaison avec Hermès. 

Les Quatre parties de "l'Odyssée" font aussi la part belle aux dieux de l'Iliade et de l'Odyssée. Les premiers chapitres reviennent sur l'Iliade particulièrement sur le personnage d'Achille. Achille est à l'opposé d'Ulysse " Achille est droit ; si Ulysse trompe il dit vrai ; si Achille est coloré il est blanc." . Citati distingue alors un "premier Homère" qui a touché au sommet du sublime dans l'Iliade tandis qu'un "second Homère" aurait rédigé l'Odyssée.

Cette référence au  "Premier Homère" et au  "Second Homère" se poursuit jusqu'à la fin du livre. Tout au long de la lecture, je me suis interrogée sur ce "second Homère". J'ai trouvé sur Internet des articles savants sur une controverse entre hellénistes datant du temps des Romains portant sur l'existence-même d'Homère, sur la possibilité que l'Iliade et l'Odyssée ne soient pas du même auteur; le premier Homère aurait rédigé l'Iliade et le second, l'Odyssée.  Querelle de spécialistes, je n'y connais rien. Une hypothèse qui m'a poursuivie durant ma lecture était celle que, Ulysse lui-même, dans ses récits et ses mensonges, soit le "second Homère" . J'ai attendu jusqu'au dernier chapitre une explication définitive que je n'ai pas trouvée....

Comme dans l'Odyssée, et comme me l'a appris Mendelsohn, après le Prologue, la Télémachie conduit à la suite de Télémaque et d'Athéna à Sparte à la cour de Ménélas et d'Hélène. Nous retrouvons les héros de Troie et ce qui est advenu à leur retour. le récit mystérieux d'Hélène m'a surprise. J'avais aussi oublié Protée

La suite de la Pensée chatoyante nous promène avec Ulysse dans l'Île de Calypso qui s'appelle ici "Ogygie, l'ombilic du monde" et que le tourisme moderne identifie à Gozo. Justement nous en revenons! La grotte de Calypso avait été une déception, une fissure plutôt qu'une grotte perchée loin du rivage. Mais si on pense qu'Ogygie était la prison d'Ulysse, la fente sinistre dans la roche suspendue au dessus de la plage devient beaucoup plus crédible. Il me plait que Gozo qui possède un des plus vieux temples de l'humanité, bien plus vieux que la Guerre de Troie, soit "l'ombilic du monde"

J'ai lu l'Odyssée à Ithaque et à Corfou, j'ai donc été plus attentive au récit d'Ulysse aux Phéaciens, cependant Citati, démêle les mondes doubles, celui proche de l'âge d'or où les dieux se montraient aux hommes, du monde des hommes, des contemporains d'Ulysse où ils apparaissent déguisés, du monde actuel ....Avec Calypso et Circée, le récit baigne dans la magie.

Magie ou astuce? d'Ulysse à qui la vanité joue des tours? Ulysse ne donne pas son nom, et ne se dévoile qu'au dernier moment, aussi bien  aux Phéaciens qu'à Ithaque. Citati donne de l'importance à cet anonymat qu'il cultive. Personne, se nomme-t-il auprès de Polyphème, le Cyclope, ce qui le sauve. Ulysse fils de Laërte crie-t-il au Cyclope ce qui déclenche le courroux de Poséidon. Personne, reste-t-il caché dans la prison de Calypso.

En lisant La pensée chatoyante, je redécouvre de nouveaux épisodes, sur lesquels l'auteur a braqué le projecteur et qui m'avaient échappé; il dévoile aussi les intentions des dieux, leurs déguisements, le brouillard qui leur sert à masquer la réalité, les métamorphoses...Il établit aussi des concordances étonnantes avec des oeuvres de la littérature. La comparaison la plus osée et une des plus réjouissante est celle d'Ulysse et du Docteur Freud dans l'Interprétation des rêves :

"Le "second Homère" pense qu'il est un bon interprète des songes. Il procède comme un psychanalyste moderne qui sépare les éléments les uns des autres et traduit les figures superficielles en figures profondes.

Je ne voudrais pas identifier la figure du mystificateur chatoyant, sur le point de reconquérir son trône avec celle de son austère élève de Vienne. Antre la psychanalyse du roi d'Ithaque et celle de Freud il y a deux différences. Les rêves freudiens sont issus de l'immense dépôt du passé, plein de sens et d'apparences indéchiffrables[....]Freud veut comprendre l'âme du patient et si possible le guérir. le songe qu'Ulysse étudie ne renferme pas seulement le passé : l'avenir surtout s'y cache : c'est une prédiction, une prophétie qu'il entend révéler à Pénélope ; c'est ainsi seulement qu'il peut la guérir....."

Je reviendrai à La Pensée chatoyante, pour y trouver encore d'autres relations avec la culture moderne, des raccourcis surprenants qui nous mènent à la madeleine de Proust ou à la chaise de van Gogh que Citati compare au lit mythique qu'Ulysse a construit avec un olivier ancré dans le sol. On y découvre aussi les fondements du récit, de toute la littérature.

Le mot de la fin :

"Le livre contient des récits mythologiques que certains, ou la plupart connaîtront ; mais mon livre avait envie de les raconter : et je crois qu'il faut obéir aux désirs des livres."
Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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En avril 2020, la chaîne Arte a diffusé les différents épisodes du reportage de Christophe Raylat et Sylvain Tesson, « Dans le sillage d'Ulysse » (je vous recommande ce documentaire, que vous pouvez visionner en replay). Cela m'a rappelé la présence dans ma PAL du livre de Pietro Citati, que j'avais trouvé il y a quelques mois dans une boîte à livres, et qui attendait bien sagement son tour…
C'est donc tout naturellement que j'ai entamé ce livre, et j'ai découvert un trésor. Pietro Citati a entrepris l'analyse de l'oeuvre d'Homère sous un jour entièrement nouveau pour moi. Il ne s'agit pas d'une étude historique, qui replacerait le voyage d'Ulysse dans son contexte antique et chercherait à identifier les lieux visités (ce que fait très bien le documentaire d'Arte). Mais l'auteur installe au départ deux figures, celles des dieux Apollon, et surtout Hermès, ce dernier apportant un angle de vue aussi inattendu que fécond. le mythe d'Hermès vient en permanence éclairer la figure d'Ulysse, faisant ressortir tantôt des analogies, tantôt des contrastes donnant un relief particulier à tel ou tel épisode.
En réalité, il faudrait avoir en main le livre de Pietro Citati en même temps qu'on lit l'Odyssée, et suivre épisode par épisode le commentaire qu'il en délivre. Ainsi apparaît un personnage plus complexe que je ne le ressentais, qui côtoie les hommes et les dieux, qui doute et cherche. Il est prudent, il met à l'épreuve ceux qu'il rencontre, y compris sa femme Pénélope, prêche le faux pour savoir le vrai.
Dans son excellent commentaire, que je vous invite à lire, notre collègue Babelionaute Miriam a très bien montré comment, grâce à cet ouvrage, la lecture de l'Odyssée est approfondie et enrichie.
Pour Pietro Citati, la trace des poèmes homériques est si profonde dans la culture humaine qu'elle est parvenue jusqu'aux romanciers du XIXème siècle : l'Odyssée a façonné l'art des écrivains et l'esprit des lecteurs jusqu'à nos jours.
Que vais-je faire maintenant ? J'ai déjà repris avec plaisir l'Odyssée en bande dessinée publiée dans la collection du Monde « Les grands classiques de la littérature en bande dessinée ». Vais-je, comme Ronsard, « lire en trois jours l'Iliade d'Homère » ? (ça paraît facile, mais d'après mon professeur de lettres au lycée, Ronsard lisait le texte original en grec…). Vais-je me replonger dans l'Odyssée, avec la merveilleuse traduction de Victor Bérard éditée par la Pléîade ? Ou vais-je affronter, tel le monstre Scylla, les quelques 1600 pages d'Ulysse de James Joyce, qui m'attendent depuis quelques mois, tapies dans ma liseuse ?
Amis Babelionautes, que feriez-vous à ma place ?
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
La cabane d’Eumée est le deuxième lieu de naissance du roman occidental : la deuxième Phéacie. Là-bas, c’étaient les chiens et les éphèbes d’or et d’argent d’Héphaïstos, les murs de bronze, et « un éclat pareil au soleil et à la lune » ; ici, le fumier des porcs, les tects des truies, de vrais chiens, et la chair du cochon qui grille sur le feu. C’était là le lieu du récit fantastique, dont se sont inspirées les histoires les plus célèbres des Mille et Une Nuits, ou encore Potocki, Hoffmann et Poe. C’est, ici, le siège du récit d’aventure dont descendent les romans hellénistiques et ceux de Dumas et Stevenson, pleins de voyages, de pirates et de trésors. Ces récits sont racontés, les uns comme les autres, en une nuit « incommensurable », qui excède les limites de ce qui est fixé par les dieux ; et ils suscitent le même écho. Comme les Phéaciens, Eumée est possédé et enchanté par cette voix incessante.
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Comment devons-nous qualifier cette relation entre la déesse et le héros ? Pouvons-nous parler d’amour ? Lorsqu’elle se révèle à Ulysse, Athéna sourit et le caresse amoureusement de la main. L’on retrouve souvent ce geste affectueux dans les poèmes homériques : Thétis caresse Achille, Hector Andromaque, Ménélas Télémaque, Calypso Ulysse. Le geste léger d’Athéna contient toutes ces caresses : la mère effleure le fils, le mari l’épouse, l‘homme mûr son jeune ami, l’amante son amant ; et la déesse est la mère, le mari, l’épouse, l’homme mûr, l’amante. Entre elle et Ulysse passe une affinité spirituelle on ne peut plus intime, une complicité intellectuelle limpide à l’extrême, une amitié virile sans ombre ni mystère, une légère attirance érotique ; et, une fois qu’Ulysse a surmonté le déchirement de l’abandon, la plus complète confiance. Tel est l’amour entre Athéna et Ulysse : il y manque ce que Stendhal appelait l’amour-passion ; presque tous les autres sentiments qui composent l’aura amoureuse sont présents ici, le long du rivage, sous l’olivier au léger feuillage. Le dieu ne devient pas homme, l’homme ne devient pas dieu : et pourtant peu de chrétiens, sinon les mystiques, ont été aussi proches du Christ incarné qu’Ulysse d’Athéna.
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Le monde sur lequel Ulysse règne en souverain tout-puissant est celui du récit – aussi compliqué, illimité que le tracé de ses voyages sur la carte de la mer. Dans l’Odyssée, où tous trompent, feignent et racontent, personne ne possède ses talents de narrateur. Personne ne connaît comme lui l’art de s’approprier les expériences les plus diverses ; personne n’a une mémoire aussi constante, et un esprit équivoque comme le destin, inextricable comme les nœuds de Circé, coloré comme Hermès, multiforme comme Protée, mensonger comme celui des bonimenteurs de foire. Agamemnon, puis les Sirènes, l’appellent « celui qui connaît bien les histoires ». Aussi Ulysse devient-il le symbole de l’art de conter. Tous les romanciers sont allés à son école, et s’efforcent d’acquérir ses dons.
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Ecrire des romans et des récits, n’est-ce pas cela ? Introduire l’inquiétude entre les lecteurs et les choses, ouvrir les yeux, éveiller la curiosité, susciter la fascination, répandre sur la terre, qui courbe si volontiers la tête sous la baguette de la quiétude, le don de l’insomnie ?
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La psychologie de l’Odyssée n’est guère moins profonde, riche et compliquée que celles d’Henry James ou de Proust ; simplement, les sentiments restaient implicites, cachés : une forêt de secrets derrière chaque mot
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