Terre errante a capturé mon esprit.
Errant, au fil de tableaux colorés, grandioses et gigantesques, odes à l'écrasante beauté du cosmos, et envahi de la mélancolie prégnante et enracinée de notre Terre, privée de son amant éternel, le Soleil, bien en peine de lui survivre.
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Liu Cixin vient de faire de moi sa totale adepte, après des débuts prometteurs entre les trois corps et moi (trilogie "
le problème à trois corps").
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de tout ce que j'au pu lire ou voir, je me me souviens pas de plus beau voyage aux confins du système solaire, ni de vaisseau plus singulier.
C'est la Terre, notre vaisseau, à tous. Des siècles, plus de trois siècles pour être exacte, de labeur ont permis à l'Homme de faire face, avec un courage et une ingéniosité qui dépassent l'entendement je le conçois, à un évènement atroce: le soleil va exploser, nous atteignons ce moment bien réel où il sera une géante rouge, et ce beaucoup plus tôt qu'on le croyait. Alors l'Homme munit la Terre de propulseurs, l'empêche de tourner pour pouvoir l'extraire de son orbite, et lui fait entamer une errance de 2500 ans avant d'atteindre des cieux plus cléments, et intégrer une nouvelle orbite du côté de la constellation du Centaure.
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"Les enfants, seul un écosystème de la taille de la Terre, et son cycle écologique d'une extraordinaire vigueur, sera capable de perpétrer la vie! si l'humanité part dans l'espace en abandonnant sa Terre, elle sera comme un nouveau-né privé de sa mère au milieu d'un désert!" nous explique la maîtresse, p23.
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J'ai totalement réussi à intégrer cette dinguerie, la Terre-fusée parce que l'auteur a un talent immense. Il ne nous a pas assommé de science, bien au contraire, il a joué sur la corde sensible de la poésie des images, d'un hommage aux mécanismes pérennes qui permettent la vie mais, au demeurant, toute chose a une fin. Il évoque l'humanité au travers d'un personnage. C'est subtil d'opposer le gigantisme à un homme, simple fragment, pièce du vaste monde, c'est une vision certes réduite mais qui permet de ne pas se perdre dans l'énormité d'une intrigue très massive, de s'identifier totalement au narrateur, hagard, apeuré parfois mais néanmoins né dans ce monde là...Ses premiers mots, premières lignes du livre, me laissent déjà songeuse:
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"Je n'avais jamais vu la nuit. Je n'avais jamais vu les étoiles. Je n'avais jamais vu le printemps ni l'automne, ni l'hiver.
Je suis né à la fin de l'Ere du freinage. La Terre venait tout juste d'arrêter de tourner." p7.
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En même temps que lui, nous découvrons à quoi ressemble cette Terre, défigurée et immobilisée par les propulseurs la faisant baigner dans une lueur qui n'a plus rien de naturel:
"Imaginez-vous d'abord un palais colossal, aussi grand que le Parthénon, soutenu par d'innombrables colonnes crachant une lumière bleue et blanche, tels d'énormes tubes fluorescents. Imaginez-vous à présent n'être qu'un simple microbe sur le sol de ce palais. Voilà le monde qui était le mien." p8.
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Dans ce monde où le Soleil est désormais menaçant, la crainte qu'il inspire est devenue viscérale jusqu'à se graver dans l'inconscient collectif "A notre époque la mort n'était plus noire. Elle se parait de la couleur de la foudre, car lorsque le dernier éclair frapperait, le monde serait vaporisé." p17.
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Dans ce monde où le seul projet envisageable se résume à une survie collective, l'auteur évoque de manière succincte mais sidérante l'évolution "de la psychologie et de la spiritualité humaines" (p32) notamment "Mes contemporains s'éberluaient des films et des romans produits quatre siècles en arrière. Ils n'arrivaient pas à comprendre comment les humains de l'Ere primosolaire pouvaient accorder autant d'importance à des émotions qui ne concernaient pas la survie." p32. Propos illustré page d'avant pioché dans la vie de notre narrateur et qui me laisse pantoise: Son père annonçant de façon tout à fait anecdotique à sa mère, à peine attentive, qu'il part emménager quelque temps avec la maitresse d'école de son fils, mais qu'il reviendra "certainement". Cixin a une façon bien à lui d'énoncer des énormités sur un ton qui se veut neutre, que ce soit au niveau planétaire ou d'un "simple microbe". Ce détachement me séduit tout à fait.
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Ainsi vient l'Ere de la fuite, en deuxième partie, mais je trouve que j'en dis trop d'une nouvelle courte et qui doit se laisser découvrir! (même si, moi; je ne lis les critiques qu'après avoir rédigé la mienne :p )... Je vais donc arrêter de commenter...C'est juste une partie qui m'a subjuguée, le voyage impensable promis au départ et que Cixin assume avec une maestria qui me laisse admirative d'une SF que je lis trop peu souvent d'une telle densité. En tout cas ce sont les ingrédients que je recherche on va dire. On est attaqué par des astéroïdes qui vont nous laisser une surface méconnaissable...On frôle Jupiter, sa Grande Tache rouge occupe notre ciel et je frissonne...
"...j'ai posé ne dernière fois mon regard sur Jupiter, qui occupait encore la moitié du ciel. J'y ai vu une balafre fendre l'océan de nuages. Sur Jupiter, l'attraction de notre planète avait, elle aussi, soulevé une vague de la taille d'une montagne dans l'océan d'hydrogène et d'hélium."p61.
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Cerise sur le gateau ou pompon sur la Garonne comme ça se dit chez nous, la fin m'a émue. La pression maintenue en filigrane d'une immense mélancolie, adressée au père-Soleil qu'il faut quitter, à mère-Terre totalement meurtrie, et à la destinée de notre attachant narrateur, témoin et passeur d'une vie qui reste bien fragile.
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J'ai déjà lu pas mal de romans dits posts apocalyptiques et celui là est singulier déjà de part la patte de l'auteur mais aussi parce qu'il n'est pas question de la culpabilité humaine dans l'état de la planète, ici. Cixin réussit l'exploit de nous donner envie d'aimer notre Terre, sans nous marteler de l'idée que c'est nous qui la détruisons et qu'on doit faire attention...Ce peut être parfois lourd et étouffant de lire du post-apo-écologique, très en vogue, et parfois aussi très réussi, je ne dis pas le contraire. Mais je me sens parfois comme une enfant à qui on dirait "jette pas ton déchet au sol" ou "le pétrole ça pollue mets de l'électricité dans ta trottinette", alors que si je lis ce type de roman c'est précisément que j'y suis déjà sensibilisée. Papa Cixin lui il me dit tout simplement de regarder un plus loin que le bout de mon nez "regarde comme c'est beau, comme ça fonctionne merveilleusement...Ce n'est qu'un moment à saisir, un fragment humain dans un rouage bien plus grand que toi." Après tout, nous n'avons pas demandé à venir au monde et peut-être ne serons nous pas plus responsables de son déclin .
Ceci dit, j'aime lire, aussi, que l'humanité soit capable de se battre pour sa survie, et déplacer des montagnes, il y a de quoi être fier de cette humanité là, elle existe sans doute, elle aussi...