C'est un livre hybride, à la fois documentaire érudit et biographie familiale.
Le fil rouge de ce récit est un bâtiment algérois, appelé la Maison ou la Villa du centenaire.
Elle changera de nom au fil du temps et deviendra la "Maison du millénaire" pour célèbrer les mille ans de la fondation d'al Djazaïr, Alger.
Elle est l'oeuvre de l'architecte Léon
Claro,grand-père de l'auteur, héritier du mouvement initié au début du XIXe siècle par Henri Klein, fondateur du Comité du Vieil Alger visant à défendre et à faire connaître le patrimoine de la vieille ville.
Le Gouverneur général l'a commandée pour commémorer en 1930 le centenaire de la présence française en Algérie.
Il s'agit de la réplique d'un maison traditionnelle de la Casbah en 1830. On retrouve les mêmes espaces : le vestibule 'sqifa' étroit, frais, qui s'évase progressivement pour arriver au puits de lumière "west eddar", autour duquel s'organise la maison.
Léon
Claro réutilisera des matériaux originaux, marbre, faïences, bois, colonnes, provenant de démolitions de maisons de la Casbah.
"Ne manque que l'indigène, bien sûr. Mais la mise à l'honneur de sa demeure sonne peut-être aussi la fin de sa native invisibilité : à force d'être exclu d'entre ses propres murs, il finira bien par songer à les abattre."
Cette maison se situe dans un entre-deux: d'apparence ancienne mais neuve en réalité, pas dans la Casbah mais en bordure, ni française ni indigène.
Chacun peut y trouver ce qu'il y cherche.
Comme par exemple le jeune
Albert Camus qui aura une révélation lorsqu'il l'a visitera : il écrira. Elle lui inspirera alors "La maison mauresque", qui ne paraîtra que bien longtemps après son décès.
Claro va faire revivre les figures du monde intellectuel et artistique de l'Algérie des années 1930, tous d'origine européenne.
Camus bien évidemment,
Jean Sénac,
Jean de Maisonseul, Edmond Charlot, d'autres de passage comme
Le Corbusier, beaucoup plus intéressé par les bordels que par l'architecture.
Plus tardivement Visconti viendra y tourner une adaptation de "
l'Etranger" avec Mastroianni dans le rôle de Meursault.
L'auteur écrit "j'étais sourd aux racines".
Ce récit est l'occasion pour
Claro de retrouver les traces de son père, qui avait le même âge que
la Maison Indigène. Ce père, poète contrarié, qui quittera très tôt l'Algérie pour s'installer dans la grisaille parisienne et se perdra dans l'alcool.
Mais il reste toujours à distance pudique.
Ce livre est fait de courts chapitres, passant d'une période à une autre, changeant de perspective. Cela m'a fait penser à une toile cubiste ou bien à une mosaïque que l'auteur aurait élaboré au gré de ses digressions.
J'ai vraiment apprécié ce récit dense et original, impeccablement documenté.
J'ai également aimé le propos de
Claro chaque fois qu'il est question de colonisation ou de guerre. Il est irréprochable, totalement impartial et respectueux.