Les reporters était pour lui une espèce nuisible, charognarde, qui s'improvisait justicière et policière à la fois, effrayait le public en publiant chaque jour de nouveaux faits divers donnant l'impression que le pays sombrait dans le crime, aboyant comme des chiens devant un morceau de viande.
- Me croiriez-vous si je vous disais que j’ai résolu toutes mes enquêtes à partir de livres ?
Fredouille prit un air incrédule.
- Et comment procédez-vous lorsque la victime ne possède pas de publications ?
- Dans ce cas, il s’agit d’un meurtre sans intérêt et sans finesse. Ces affaires ne méritent même pas d’être mentionnées. Elles reposent toujours sur le même canevas primitif. On les résout en un claquement de doigts.
N'oubliez jamais cela, Fredouille: tout est dans les livres. Notre vie n'est qu'un feuillet détaché de l'ouvrage gigantesque du monde.
Pouvait-on vivre uniquement dans les livres, à travers les livres ? Oui, pour assourdir la rumeur ignoble du monde, ce cri vulgaire et souffrant qui lui vrillait le crâne à la manière des portes de prison qui grincent. Et puis oublier son tumulte intérieur aussi, cette noire marmite bouillonnant au rythme des souvenirs.
- (…) Vous avez réussi à détourner les contes de leur propos premier : ils sont là pour aider l'humanité à vivre, pas pour lui nuire !
(…)
- Vous êtes d'une grande naïveté, commissaire. Vous êtes-vous réellement penché sur l'abîme que sont les contes ? Il y a là toute la boue humaine : craintes, envies, pulsions destructrices. (…) Jamais la littérature n'améliore quoi que ce soit. Elle se contente de constater la permanence du mal, voire de l'entretenir.
Ils étaient tous deux des survivants d'une bataille inégale. Ils finiraient dans la tranchée de la fosse commune. Anonymes.
Incapable de vivre par lui-même, il lisait la vie des autres.
Il avait peine à croire que, dans moins d'un an, le vingtième siècle débuterait. Tous ces millénaires d'inventions, d'histoire et d'art pour se vautrer dans un tel raffinement de barbarie.
Dans ces muscles dépouillés, ces nerfs, ces os, avait existé une intelligence, un esprit. Ragon n'allait pas jusqu'à l'âme. Devant ce genre de boucherie, l'hypothèse d'un principe vital transcendant confinait au ridicule. Seul demeurait le mystère insondable des corps.
« Assassiner un assassin ne fait pas de vous un justicier, (…) ».
Une bibliothèque, c’est une âme de cuir et de papier. Il n’y a pas meilleur moyen pour fouiller dans les tréfonds d’une psyché que de jeter un œil aux ouvrages qui la composent. La sélection, le rangement, le contenu, même la qualité de la reliure : tous les détails sont importants.