Nous sommes en 1958. Brassac, paysan sans grande fortune, descend de temps à autre à Lyon pour assouvir deux passions/besoins : l'alcool et « les filles ». Il joue alors le rôle un peu ridicule de hobereau excentrique et distribue aisément de nombreux billets de banque, ce qui lui assure un auditoire aussi ironique qu'intéressé. Lorsqu'il rejoint son domaine il ramène souvent un chien perdu, sa maison, outre sa femme, comprend donc de nombreux chiens qu'il dit préférer aux hommes.
.
Cette fois, ivre, ce n'est pas un chien mais une jeune prostituée, assommée de fatigue, qu'il fait revenir dans sa maison délabrée sur les hauteurs de Loire-sur-Rhône, entre son épouse, qu'il maltraite parfois lorsqu'il est ivre, et ses animaux. Progressivement le temps passe, la jeune femme reste puis s'installe, dans un rôle oscillant entre invitée et fille adoptive. Elle retrouve là des souvenirs d'enfance, deux être singuliers et attachants et sa vie se transfigure au fil des jours et des semaines. Sa présence amène aussi à comprendre progressivement le drame intime qui déchire le couple de Brassac et leur permet, à eux aussi, de gagner en force, en dignité et en bonheur.
.
Cette histoire se déroule dans un paysage de campagne fort et décrit avec un mélange de simplicité et de minutie.
*
Ce livre, écrit en 1958 par un Bernard Clavel de 35 ans, n'est en rien l'oeuvre d'un débutant même si ce n'est que son troisième roman. En effet cet homme, né de famille « modeste » et autodidacte, écrit déjà depuis longtemps et devint d'abord journaliste avant de « se lancer » et de devenir l'auteur de plus de 100 romans, souvent qualifiés de « terroir », carrière d'une certaine manière couronnée par le Goncourt en 1968.
.
Il se trouve déjà ici un concentré de ce qui rendra Clavel aussi populaire à savoir une écriture simple mais nette, précise, ce talent pour camper des personnages forts en quelques lignes en apparence insignifiantes. Il a aussi la faculté rare de pouvoir intégrer ces vies de personnes issues de milieux modestes au sein de lieux et d'en faire jaillir un ensemble cohérent, qui « sonne » particulièrement juste. Son écriture en fait un écrivain pouvant être lu par « tous », y compris par qui n'a pas « suivi d'études », par qui aurait peur d'ouvrir « un
Zola » ou de pousser la porte d'un musée. Pour autant, s'il offre des livres simples, il n'offre en aucun cas une littérature pauvre ou au rabais et ce n'est pas le moindre de ses talents.
.
Lire Clavel c'est (re)découvrir un auteur talentueux, d'accès facile mais au bon sens du terme. Accessible à tous il n'en est pas moins juste et profond. Sans approche intellectuelle il touche à une certaine universalité de l'humain, il donne aussi corps et âme, une voix à qui n'en a pas toujours. C'est le cas dans ce livre, entre autre.
*
Je déconseille cet ouvrage (et cet auteur) à qui recherche une approche intellectuelle des êtres ou un « aspect jet-set », à qui a le mépris facile. Vous ne trouverez ici pas grand-chose pour vous séduire. Vous ne trouverez pas plus de philosophie profonde ou de grands discours. En revanche si lire une histoire de personnes faussement dites « simples » et d'une grande justesse peut vous tenter ce livre pourrait bien vous plaire.
.
Clavel est l'antithèse de ce que j'abhorre aujourd'hui dans une certaine littérature commerciale, toute de facilités et flattant le lecteur dans ce qu'il a de plus médiocre. Cet auteur pousse chacun à avoir un regard plus riche, précis et humain sur ce(ux) qui l'entoure(nt) et il a l'incroyable talent d'y parvenir avec une telle aisance que ses romans ne sont pas réservés à une élite et peuvent "grandir" chacun.
.
Bravo et merci Monsieur Clavel, pour vos valeurs comme pour votre valeur. Quel dommage que vous soyez maintenant si injustement méconnu !