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Critique de Polomarco


Quel roman ! Quel souffle ! Quelle émotion ! Quand on referme ce livre -avec ses deux dernières pages écrites au présent pour mieux nous "prendre aux tripes"- on se dit qu'on vient de lire un chef d'oeuvre et que ce n'est pas si fréquent !
Nous sommes en 1639, à Salins, en Franche-Comté, alors province espagnole que la France de Richelieu tente de conquérir par la force. Comme si la guerre et ses exactions ne suffisaient pas, une épidémie de peste décime la population. Mathieu Guyon est désigné -contre son gré- pour aller enterrer les morts dans les loges de la Beline, une maladrerie située à l'écart, sur le plateau surplombant la ville. Un prêtre volontaire l'accompagne : le Père Boissy, au regard clair et intense, plein de bienveillance et d'autorité à la fois.
Premier ouvrage d'une saga qui en comporte cinq, mais qui peut être lu seul, la saison des loups est un roman fondé sur des faits réels, qu'il met en scène dans les lieux où ils se sont déroulés. Une grande peste a bien sévi en Franche-Comté entre 1636 et 1640 ; Salins s'appelle aujourd'hui Salins-les-bains et un quartier de la ville porte toujours le nom de Saint-Roch, patron des pestiférés ; la Beline, située en haut de la falaise, de sorte qu'un attelage devait faire un long détour pour y accéder et finalement se retrouver "à peu près au-dessus de la ville" (chapitre 3, page 49), a cédé sa place à l'actuel Fort Belin, construit un peu plus tard par Vauban.
Mais, plus qu'un roman historique, au vocabulaire d'époque (échevin, mousquet, quinquet, etc.), la saison des loups relate une histoire universelle : l'histoire simple, belle et dure d'un homme confronté aux grands choix que la vie lui présente. La vie, ou la mort ? le bien, ou le mal ? La foi en Dieu, à l'image du Père Boissy, ou la superstition, voire la sorcellerie d'Antoinette, l'ensevelisseuse amatrice de gui ? Plusieurs fois, en effet, un choix va s'offrir à lui. Sur le trajet de la Beline, le prêtre lui laisse ainsi le choix entre obéir à l'ordre de rejoindre la Beline pour y enterrer les morts, au risque de mourir à son tour, et s'enfuir et rester libre : la contrainte, ou la liberté ? L'altruisme, ou l'égoïsme ? Plus tard dans le roman, un choix similaire va également le tarauder : taire son passé de fossoyeur, au risque de transmettre la peste à ses compagnons d'infortune avec qui il tente de fuir en Suisse, ou être honnête avec lui-même et avec eux, et renoncer à son projet ? La vérité, ou le mensonge ?
Il est beaucoup question du regard dans cet ouvrage. Un regard qui en dit souvent davantage qu'une simple parole : le regard du Père Boissy, dont Mathieu se souvient et qui l'aide à faire son choix et à prendre la bonne décision ; le regard d'Antoinette, qu'il fuit : "Elle le fixa un moment en silence. Son regard était une vrille qui s'enfonçait loin et faisait mal" (chapitre 12, page 145) ; le regard des autres, aussi, dont il devra se méfier : "Ce n'est pas ce que je penserai de vous qui est important, c'est ce que vous penserez vous-même" (chapitre 3, page 43) ; enfin, son propre regard sur lui-même : "Je veux que vous preniez votre décision en toute liberté, et après avoir bien regardé au fond de vous" (chapitre 2, page 34). Même si le mot n'est jamais prononcé, tous ces regards évoquent une certaine conscience qui va guider Mathieu.
Et si, finalement, entre la soif de liberté et l'appel du devoir, la leçon de Bernard Clavel n'était pas de nous dire, de façon très paradoxale, que la vraie liberté consiste à faire ce qu'on doit ?
Merci, Bernard Clavel, et chapeau bas !
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