L'affaire Chevreuse

De sa place, Margot voyait le Louvre. Elle se plaisait à imaginer ce qui pouvait se dérouler derrière ce palais qui s’étirait, majestueux, au bord de l’eau. Quels secrets dissimulait la grande galerie ? Et que se passait-il dans cette petite tour où l’on voyait de la fumée sortir ? Elle pensait à la chaleur de pièces richement décorées, à des festins et aux histoires d’amour dans les alcôves. Elle apercevait des silhouettes. Était-ce le roi ? Ou quelque ministre important ? Qui donc rejoignait le palais des Tuileries ? Cette jeune reine espagnole dont la rumeur affirmait qu’elle ne pouvait avoir d’enfants ?
Elle n’enviait pas ce qui se vivait derrière ces murs épais, les fêtes qui s’y déroulaient n’étaient pas pour elle. Elle se serait sentie perdue au milieu de tous ces gens de cour superbement vêtus qui parlaient trop vite un français qui n’était pas le sien. Mais elle aimait imaginer des scènes qui la sauvaient de son quotidien. Rêvant, les mains dans l’eau et la tête dans les étoiles, à ce monde où les amours se vivaient avec passion, où les odeurs étaient toujours suaves, où l’on mangeait lorsqu’on avait faim et où, après le travail, on pouvait se reposer dans un lit douillet. D’ailleurs, travaillait-on seulement derrière ces murs richement ornés ?

Où l’on apprend à connaître une lavandière

Et la reine mère, Marie de Médicis, qui avait toujours haï le palais du Louvre, vieux et puant, retrouvait dans ce palais flambant neuf son Italie natale, colorée et joyeuse. Le ciel bas de Paris disparaissait derrière les parterres de fleurs, les bassins, les fontaines et tous les arbres qu’on avait fait venir d’Orléans. Pour alimenter son jardin en eau, elle avait fait bâtir un aqueduc dont la source venait de Rungis, mais n’avait pas oublié d’en faire alimenter quatorze fontaines dans Paris.
Richelieu, bien qu’il fût déjà venu là à maintes reprises, ne put s’empêcher d’admirer le grand cabinet doré et le cabinet des muses, orné de vases de fleurs, de corbeilles de fruits, de paysages. Ses tapisseries de fils d’or et d’argent, avec la fameuse tenture d’Arthémise. Ni le bleu du lapislazuli se mêlant au doré.
Partout on respirait un parfum à base de genêt, que la reine faisait venir de la parfumerie Santa Maria Novella à Florence. Des oiselets empaillés qu’on mettait dans des cages en étaient imprégnés.


Où Richelieu voit la reine mère

Elle tenait dans sa main droite un éventail qu’elle ne lâchait jamais, même lorsque, l’hiver venu, les autres femmes le rangeaient au garde-meuble. Plus qu’un accessoire de beauté, c’était le délicat prolongement de sa main. Il soulignait tous ses gestes : parfois elle tapotait avec dans un geste d’impatience, ou le glissait dans sa main gauche, caressant sa joue pour minauder. Elle rythmait également ses paroles par un simple claquement des doigts qui ouvrait ou refermait l’éventail. Et lorsqu’elle en utilisait un en plume, c’était pour dissimuler les mots doux qu’elle faisait passer à ses complices ou à ses amants.

Où un complot s'ourdit

La nature humaine est ainsi faite qu’un secret n’est que rarement gardé. On vous confie quelque nouvelle d’importance et, en toute conscience, vous allez la répéter à votre femme ou à votre meilleur ami. Celui-ci se sent déjà moins lié par le secret, puisqu’il y a eu un intermédiaire. Il va donc pouvoir le répéter sans trop de culpabilité à une autre personne, soit pour se gonfler d’importance, soit pour nourrir une conversation. Puis cette personne le répétera à une autre, pour les mêmes bonnes raisons. Le secret va se dissoudre, se transformer, ne sera bientôt plus qu’une charpie indigeste. Voilà pourquoi, malgré tout l’amour et toute la confiance que je lui porte, tout ce que j’entends dans le cadre de mon travail n’est jamais confié à ma femme.


Où Chevassut & Philippe de May rencontrent Richelieu

-Mais la seule tête qui m’importe, c’est celle de Mme de Chevreuse. Elle est le cerveau qui manigance et intrigue, tire les ficelles et régente tout ce petit monde. C’est une femme débauchée, impudique. Je ne parle même pas de l’influence néfaste qu’elle a sur la reine. En Angleterre, lorsqu’elle a accompagné la sœur de Sa Majesté pour son mariage avec le roi d’Angleterre, elle a eu un comportement scandaleux qui a été une honte pour notre pays. Alors qu’elle était grosse, son amant Holland lui a proposé de venir faire ses couches chez lui, et elle en a profité pour passer ses après-midis avec Buckingham, tout ça au nez et à la barbe de son mari le duc de Chevreuse, qui ne voulait rien voir.

Où Richelieu reçoit une lettre du roi