Depuis le peu de temps que j'ai entrepris d'explorer le monde jusqu'ici inconnu pour moi de la BD « contemporaine », cet album marque une étape magique pour la lectrice plus tout à fait débutante que je suis. Non seulement, j'ai été littéralement happée par le récit et les dessins, mais, maintenant que j'ai un peu de matière pour établir une comparaison avec les divers albums que j'ai lus récemment, je commence à comprendre le travail fourni par les dessinateurs et les scénaristes. Cela va peut-être sembler naïf, la question de la technique ne se posait pas pour moi auparavant, ou si peu. Une BD me plaisait ou pas. Tout juste sentais-je que j'étais sensible aux couleurs et à l'intérêt de l'histoire. Mais je ne m'étais pas trop interrogée sur le style. Avec cet album j'ai commencé à appréhender certaines subtilités qui m'avaient jusque-là échappées.
L'album nous retrace magistralement la vie de l'explorateur Percy Fawcett (1867-1925), explorateur anglais ayant réellement existé, qui partit à la recherche d'une cité « z », cité perdue en Amazonie.
Dès le début de l'album, la beauté du dessin m'a ensorcelée. Les couleurs rendent à la forêt amazonienne sa densité, sa dangerosité, sa moiteur, couplées à un cadrage quasiment cinématographique qui nous saisit littéralement. Les visages des hommes, en gros plan, semblent vivants, et nous renseignent avec justesse sur leur psychologie. Il m'a semblé entendre leurs voix, tellement chaque phrase prononcée tombe juste. Les regards se croisent, lourds de signification. La sensation est réellement physique pour le lecteur. Puis, nous voici de retour au sein de la famille de Fawcett en Angleterre. Voici sa femme, et ses enfants : en l'espace de deux pages, tout est dit : l'écrasante figure du père, l'ascendant sur son fils Jack, dans une économie de mots, sobrement, à travers quelques scènes de jeu.
Ensuite les auteurs nous racontent les difficultés de l'explorateur à faire reconnaître ses projets, le soutien de
Sir Arthur Conan Doyle. Ici, davantage de texte, sans que cela ne pèse. La mise en page est toujours soignée, beaucoup de gros plans, toujours l'importance des regards. L'intérêt du lecteur ne faiblit pas. Peu à peu, le portrait de l'explorateur se précise. On le découvre intransigeant, prêt à tout pour arriver à ses fins, antipathique, dévoré par sa vocation. On apprend qu'il s'intéresse à l'occultisme, on approfondit sa philosophie de vie.
Survient la première guerre mondiale, au cours de laquelle le colonel Fawcett va se distinguer, mais aussi affirmer davantage son dégout pour l'humanité « civilisée ». L'album prend une autre tonalité, grise ou sanglante, et nous décrit avec réalisme la boucherie de la guerre. On est saisi par l'effet conjugué d'une économie de moyens et de scènes sans concession. Par ailleurs, cet épisode nous permet de comprendre encore mieux la psychologie de l'explorateur, et sa radicalité croissante.
Ne voulant pas raconter tout l'album, je dirai que la suite du récit est parfois judicieusement elliptique, sans que nous perdions le fil de l'intrigue, et le scenario nous entraîne habilement dans un crescendo avec l'expédition finale. Les dernières pages atteignent la perfection : conflits humains, dangers de la jungle, suspens, je défie quiconque d'abandonner sa lecture avant la dernière case.
Et, ô rage, ô désespoir, c'est ici que j'ai découvert les deux mots scélérats « à suivre… » et ai poussé un « noooooooooon ! » de déception. Je me suis précipitée sur la date d'édition de l'album, espérant que le tome 2 soit déjà sorti… et je n'ai plus qu'à prendre mon mal en patience puisque ce premier tome date de septembre 2012.
A la fin de la BD, les auteurs ont ajouté un petit dossier également passionnant sur Percy Fawcett, contenant notamment des photos des protagonistes et des cartes dessinées par Fawcett. Nous y trouvons les sources de leur travail, et c'est captivant. Quoi qu'il en soit, la BD aurait été tout aussi ensorcelante si elle n'avait été que de la pure fiction, mais la dimension documentaire est un bonus appréciable.
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