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J'étais très curieuse de connaître la vie de Victor Ségalen, poète aux multiples facettes dont je dois avouer que je savais bien peu de chose.
J'ai découvert sous la plume de Jean-Luc Coatalem un personnage hors norme et totalement fascinant.
Bien qu' un peu déroutée dans la première partie par une foultitude de citations, dates et autres informations qui m'ont obligé à un regain d'attention et à prendre quelques notes au passage, je me suis petit à petit laissée transporter.
J'ai aimé l'écriture élégante de l'auteur, j'ai lu de belles descriptions sur Brest en particulier. La longueur des phrases ne m'a pas gênée.
J'ai également apprécié le mode de narration choisie par l'auteur. En employant le « vous » pour présenter son personnage, il créait à mon sens une certaine proximité entre lui et son sujet, mais également avec le lecteur, qui en devient ainsi le témoin direct.
J'ai regretté par contre le manque de linéarité dans la relation des évènements.
Je me suis quelque peu perdus, mes pas ont parfois eu du mal à se mettre dans ceux de Ségalen, tantôt en Chine, tantôt en Polynésie, pour un retour dans la forêt de Huelgoat en passant par Brest.
Mis à part ce léger bémol, j'ai lu un livre passionnant, parfaitement documenté et qui m'a donné une grande envie de faire plus ample connaissance avec Ségalen.
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L'HOMME QUI CHERCHAIT LES LICORNES...

Avant d'entamer quoi que ce soit ici, je tiens à remercier très chaleureusement Soazcongar sans laquelle je n'aurais sans doute jamais pris le temps de lire ce très joli texte de Jean-Luc Coatalem et qui a eu la gentillesse parfaitement inattendue de m'offrir son exemplaire. Grâce lui en soit rendue !

«Je ne prétends point être là, ni survenir à l'improviste, ni paraître en habit et chair, ni gouverner par le poids visible de ma personne ,
Ni répondre aux censeurs, de ma voix ; aux rebelles, d'un oeil implacable ; aux ministres fautifs, d'un geste qui suspendrait les têtes à mes ongles.
Je règne par l'étonnant pouvoir de l'absence. Mes deux cent soixante-dix palais tramés entre eux de galeries opaques s'emplissent seulement de mes traces alternées.
Et des musiques jouent en l'honneur de mon ombre ; des officiers saluent mon siège vide ; mes femmes apprécient mieux l'honneur des nuits où je ne daigne pas.
Égal aux Génies qu'on ne peut récuser puisqu'invisibles, - nulle arme ni poison ne saura venir où m'atteindre.»

Ainsi s'exprimait Victor Segalen dans l'une de ses plus belles "Stèles", l'une des plus complexes aussi sans nul doute, nommée par lui d'un épigraphe signifiant "Éloge de l'invisible". Ce Royaume de l'invisible, du merveilleux, ces lieux où règnent Empereurs mythiques et animaux fabuleux - Dragons anciens, bien sûr, mais aussi ces si étranges et mystiques licornes - le brestois l'aura probablement cherché toute sa vie durant. L'aurait-il découvert par une grise journée de mai 1919 - le 21 ? le 23 ? Nous ne le saurons jamais avec exactitude -, lui dont le corps sans vie, «étendu, son manteau plié sous sa tête, les yeux lavés de pluie, grands ouverts» dans cette antique forêt du Huelgoat, - possible trace éparse de la légendaire Brocéliande -, fut retrouvé sur ce belvédère où sa femme Yvonne et lui se retrouvèrent parfois pour lire et faire l'amour, cette petite avancée sur-plongeant le "gouffre", cet invraisemblable chaos de pierres énormes qui fait aujourd'hui la joie des touristes et du promeneur.

C'est à partir de cette mort mystérieuse, possiblement codée, accidentelle selon les autorités de l'époque, suicidaire à en croire ses fidèles, ses proches que le grand voyageur Jean-Luc Coatalem déroule les pas d'une bien étrange recherche biographique au cours de laquelle le lecteur croisera tout aussi bien André Breton et quelques uns de ses amis, le "Pape" du surréalisme ayant toujours éprouvé grande estime pour l'oeuvre complexe, difficile, riche et belle de cet écrivain, poète, essayiste, arpenteur, médecin, militaire, sinologue, archéologue, musicien, esthète, intellectuel et, enfin, ou peut-être surtout, rêveur de génie ; mais aussi le grand poète - complètement et si injustement oublié - Saint-Pol Roux, que ses pas amèneront du côté de l'aride presqu'île de Crozon et que l'on croise ici ; c'est encore Gauguin qu'il aurait presque pu rencontrer du temps où il se trouvait en Polynésie tandis que le peintre se mourrait sur son îlot, n'étaient les hasards contraires de l'existence, Gauguin dont la découverte de l'oeuvre lui causa un choc esthétique inouï ; c'est encore Paul Claudel, un ami sincère mais pesant avec son catholicisme triomphant dont vil n'avait que faire, lui, converti à une sorte de paganisme personnel ; impossible de ne pas signaler d'autres noms aujourd'hui oubliés bien que du premier cercle des fidèles : Augusto Gilbert de Voisin, écrivain à succès aujourd'hui presque totalement oublié, dont les subsides quasiment inépuisables permettront à Segalen de monter de rocambolesques quoi que fort sérieuses expéditions et de s'adonner à son goût pour l'archéologie dans cette Chine éternelle presque entièrement méconnue, y compris des chinois eux-mêmes ; c'est aussi Jean Lartigue pour lequel vous éprouvez une amitié si forte, si complice qu'elle laissera planer à jamais un doux soupçon d'ambiguïté amoureuse ; c'est, bien entendu, Maurice Roy, ce fascinant jeune homme tant intégré dans la société chinoise de Pékin qu'il passerait presque pour un autochtone, qui permettra d'enrichir tant le chinois que l'imaginaire de Segalen, fait de magie, de chimères, d'Empereurs empoisonnés et de concubines innombrables, au point qu'il lui suggérera l'un de ses meilleurs textes, sinon le meilleur, l'inclassable Simon Leys ; Il y aura aussi son épouse Yvonne, fidèle par-dessus tout, malgré les infidélités, de toutes sortes ; il y aura cette longue et douloureusement fantasmagorique pratique de la "Fumée d'opium", que vous aviez en commun avec nombre de vos relations dont celle de Claude Farrère ; il y eut aussi les ombres tutélaires et bienveillantes de Nietzsche - votre «philosophe de chevet" explique Coatalem -, de Rémy de Gourmont - latiniste, écrivain et essayiste aujourd'hui trop oublié mais qui marqua de son empreinte toute une génération d'écrivains et de poètes - , de Rimbaud, un modèle inépuisable sur les pas duquel vous irez à l'occasion d'une longue escale dans la Corne de l'Afrique, de Shakespeare dont il ne se séparait plus, de son Hamlet surtout, en ces dernières lugubres journées... et de tant d'autres qu'il serait vain de citer in extenso mais qui importèrent au cours de sa "vita brevis"...

Mais Jean-Luc Coatalem ne s'arrête pas seulement à cette succession de noms, de faits, avérés, déjà longuement mentionnés, expliqués, compilés à l'occasion d'autres biographies souvent fort savantes de l'auteur des Immémoriaux, voire de thèses pointues, fastidieuses, inestimables, incontournables sans doute. Il ne peut s'empêcher, lui aussi breton de Brest, de "Brest même" pour être parfaitement précis, voyageur impénitent, amoureux des ailleurs et, plus particulièrement, de cette Polynésie où Segalen fit, pour ainsi dire, ses premières armes en tant qu'écrivain mais où il découvrit et réfléchit, avec une tension, un à propos très annonciateurs des réflexions contemporaines sur l'exotisme, sur l'autre dans ses différences culturelles, religieuses, artistiques, sociales, ce qui fait que nous sommes tous humains d'une même planète, aussi.

Ainsi, plus qu'à une véritable biographie nous emmenant, de manière plus traditionnelle, d'une naissance à une mort, moins encore de ces lourdes et fastidieuses, énormes biographies "à l'américaine" ou l'on apprend parfois jusqu'aux détails les plus inutilement triviaux, c'est à un essai entremêlant savamment et délicatement biographie et autobiographie que l'auteur de "La Consolation des voyages" nous convie. Il ne dit d'ailleurs pas autre chose dans un entretien accordé à Babelio : «Je voulais écrire une sorte de livre hybride qui est à la fois une évocation biographique et un parcours dans la vie de Victor Segalen». de fait, la forme peut surprendre, décevoir peut-être, à qui s'attendait à tout découvrir de ce grand poète un peu trop oublié, même en Bretagne, y compris des étudiants de Brest qui traînent leurs guêtres sur les bancs de cette université qui porte son nom... Il faut alors seulement se laisser bercer par cette plume emprunte d'une douce nostalgie et d'un amour commun pour cet ailleurs jamais parfaitement assouvi, possiblement inassouvissable, car comme le rappelle avec poésie le titre de ce bel ouvrage, Mes pas vont ailleurs pourrait être le mot d'ordre de tout vrai voyageur - lequel n'a décidément pas grand chose à faire avec le consommateur touriste -.
Bien entendu, l'exercice connait ses propres limites. Celle de laisser à la porte le lecteur n'ayant qu'une connaissance faible de l'oeuvre de Victor Segalen, voire qui le découvre à cette occasion, ou même celle de Jean-Luc Coatalem, ce qui est cependant moins indispensable car alors les éléments autobiographiques de l'ouvrage peuvent passer pour des moments de respiration interne à ce dernier, des moments de pause, de mise en perspective à l'aune d'un regard contemporain porté sur un être et une oeuvre qui sonne son siècle et quelque, désormais. Avec ces étrangetés que peuvent avoir les souvenir d'un inconnu qui se raconte et que l'on découvre. La mise en scène de l'altérité.

Mes pas vont ailleurs débutent par cette bizarre mort - où Coatalem pense découvrir une véritable mise en scène des derniers instants de Segalen. Un peu à la manière d'une enquête policière, très largement contingentée par le terrain (que le romancier connait bien, tant leurs parcours ont pu se croiser à plusieurs décennies de distance, de la Bretagne originelle - il faut prendre le temps de lire ces troublantes et justes évocations de Brest ou de Huelgoat, saisissantes de vérité... Pour qui connait ces lieux - à la Chine et au Pacifique), l'auteur de "Je suis dans les mers du sud" (qui évoque Gauguin, autre point commun) déroule sans ordre apparent - ce qui peut désarçonner - les moments les plus essentiels de cette vie digne d'un roman. Afin d'aller chercher au fond de cet intense moment créatif, d'un imaginaire abyssal et lumineux à la fois, que Victor Segalen rédigea, tel un immense rhizome, en une quinzaine d'année à peine, Coatalem déroule, déplie, aplani mais sans jamais essayer d'amidonner, de défroisser cette carte vénérable d'un continent large et inaccoutumé. Et comme toute enquête, celle-ci débute par un cadavre et se termine, faisceau d'indices après faisceau d'indice, par l'exposé des hypothèses les plus plausibles concernant cette fin plus concentrique qu'excentrique, mais sans que rien puisse désormais jamais être résolu.

Le résultat, c'est cet essai hybride, ce texte parfois fulgurant, parfois énigmatique, prenant ici le risque d'une certaine répétition, là du flou important, qui manquera parfois d'un peu de densité, du moins de détails ou d'approfondissement, mais c'est là le parti pris fort respectable de l'auteur.
Servi par ce style amoureusement mélancolique et langoureux par instants, délicat toujours, amoureux lorsque c'est indispensable, à la manière d'une longue, très longue adresse envoyée à travers les limbes du temps à un poète révéré, porté en soi - et sur soi, au sens propre - depuis les années de formation, Jean-Luc Coatalem sert-là un livre délicieux, à part (comme tous ses textes, d'ailleurs), poursuivant ainsi sa longue pérégrination à travers le grand mystère humain du monde. Chacun cherche sa Licorne...
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L'auteur nous raconte la courte vie de Victor Segalen, en insistant sur ses derniers jours, énigmatiques (suicide ou accident).
Il se découvre des points communs géographiques avec ce grand écrivain-poète, médecin et voyageur ; comme lui il a parcouru le globe, et comme lui il est originaire de la pointe de la Bretagne.
J'avais déjà lu des romans de Jean-Luc Coatalem, celui sur Gauguin et Flora Tristan son aïeule en particulier, dans lequel il évoque déjà la triste fin de Victor Segalen mais j'avoue que j'ai été quelque peu déçue par ce personnage qui ne m'est pas particulièrement sympathique.
Mais le texte est beau, le livre fort bien écrit.
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« Qui êtes-vous, Victor Segalen ? Et pourquoi, depuis si longtemps, me hantez-vous ? » ainsi s'exprime Jean Luc Coatelem dans le livre qu'il consacre à cet érudit breton. Je pourrai, à mon tour, interpeller l'auteur en lui demandant de m'éclairer sur cet obscur écrivain/archéologue/voyageur/médecin/militaire, qui a laissé, dans Brest et ses environs, au Huelgoat et dans ses chaos, la trace d'un homme atypique et fascinant.
Ce n'est pas la bibliographie chronologique de l'homme qui intéresse Jean Luc Coatelem mais plutôt les motivations, les modes de vie, les passions, la part mystérieuse et aussi l'impact de cet homme sur le monde actuel.
Victor Segalen a voyagé en Chine à plusieurs reprises. A dos de cheval, l'archéologue a sillonné les grands espaces à la recherche de traces, monuments, statues de civilisations anciennes, tout en faisant preuve d'une belle acuité intuitive. Cet homme est un savant boulimique qui donne un rythme effréné à sa vie: voyager, découvrir, photographier, dessiner, explorer, écrire sans arrêts.
Jean Luc Coatelem a suivi cet homme au Huelgoat, à Brest, en Chine et aussi à Papeete là où Victor Segalen espérait rencontrer Gauguin. L'auteur s'adresse à lui directement et multiplie les apartés de l'admirateur passionné. Ce ne fut pas facile pour moi de m'insérer dans cette relation duelle, fusionnelle. Ignorante de la vie et de l'oeuvre de l'un ou de l'autre je suis souvent restée en marge du chemin tracé, en deçà de cet éloge à l'homme admiré. J'ai cependant aimé me laisser bercer par la prose de l'auteur que j'ai trouvé rare et précieuse. Malgré presque trois cent pages décrivant l'homme, la part sombre, ambivalente et obscure de Victor Segalen est à peine érodée.
Merci à Babelio pour la découverte.

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De Victor Segalen, je connaissais bien peu de choses jusqu'à présent  . Homme illustre vraisemblablement puisque l'université de ma bonne ville de Bordeaux portait son nom .

Donc j'ai entamé ce roman toute guillerette d'ajouter un nouvel élément à ma culture lacunaire ... Mais si j'attendais une biographie , je suis bien déçue car cet ouvrage n'est pas L Histoire de de Victor Segalen pour les Nuls ... et Monsieur Coatalem qui a une plume fort élégante va d'abord sur ses pas à lui en passant par André Breton ... et en suivant le périple de Victor Segalen sur les traces de  Gauguin et Rimbaud ;
Il s'adresse directement à son sujet , ce qui donne  un long monologue parfois indigeste dont le lecteur se sent exclu , j'ai eu, par moment et surtout au début du livre, l'impression d'écouter une oraison funèbre , c'est dire !

Bien difficile de s'y retrouver, on pioche de temps en temps un fragment de vie de cet homme , breton d'origine, médecin, poète, aventurier, qui a sillonné la Polynésie puis la Chine, passionné par l'inconnu , grand fumeur d'opium et ressentant un besoin vital de s'éloigner de sa femme et d'une vie française morose . 

Le livre est articulé sur le mystère de sa mort : accident ou suicide dans la forêt de Huelgoat en Bretagne où il aimait retrouvé la quiétude .

Même si j'ai avancé un peu dans ma connaissance de Victor Segalen , ce roman ne donne pas toutes les clés du personnage et n'incite que peu à découvrir son oeuvre ce qui est peut-être dommage !

Je remercie Masse Critique et les Editions Stock même si finalement ma lecture n'a pas atteint son but ...
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La Feuille Volante n° 1208
Mes pas vont ailleursJean-Luc Coatalem – Stock. (Prix Fémina essai 2017)

Qui se souvient de Victor Ségalen (1878-1919), médecin breton de la marine, globe-trotteur, explorateur, homme de culture, archéologue mais surtout poète, mort à 41 ans d'un mal mystérieux, d'une façon étrange dans une forêt légendaire pleine de souvenirs personnels de ce vieux pays celte qui était le sien ? Sans forfanterie de ma part, il n'était pas pour moi vraiment un étranger et je connaissais son nom, un peu de sa vie et de son oeuvre. Certes le monde universitaire lui a rendu hommage, notamment à Bordeaux et à Brest, mais il me semble qu'il reste encore un étranger dans son propre pays et peut-être aussi au sein même du monde des Lettres qui le bouda un peu de son vivant.

J'avoue que j'ai été un peu surpris, mais pas déçu, par cet ouvrage. Je m'attendais à une biographie plus ou moins romancée de cet écrivain qui pour moi reste un être fascinant, ce qui aurait été une manière de le faire connaître davantage du grand public mais j'ai lu par moment, un texte où il est souvent question de Gauguin qu'il manqua de peu aux Marquises, et... de Jean-Luc Coatalem, de l'approche qu'il a eue du travail et de la vie de son écrivain favori dont il dit qu'il est son « compagnon secret ». Il s'adresse d'ailleurs directement à lui, avec une certaine déférence, dans une sorte de lettre posthume qu'il lui adresserait. le titre qu'il lui emprunte évoque évidemment le voyage et Ségalen fut un voyageur que sa seule qualité de médecin de la marine ne saurait justifier. L'ailleurs reste la marque d'une recherche pas forcément couronnée de succès dans la vie du poète. J'ai toujours eu l'impression que cela débouchait sur une impasse parce que sa démarche était d'une autre nature et ressemblait plus à une quête de quelque chose. Il la mena dans l'exploration d'un imaginaire intime autant dans la pratique du voyage, la curiosité de la Chine et de la Polynésie, la douceur des femmes autant que dans la fumée d'opium, tout cela et d'autres choses encore nourrissant son extraordinaire esprit créatif et curieux. La mort prématurée d'un être humain, surtout s'il est jeune, a toujours pour moi des relents de gâchis. Dans le cas de Ségalen qui souffrit tout au long de sa vie d'une sorte de dépression chronique qui donnait de lui l'image d'un être étranger à ce monde, ce fut particulièrement le cas, lui qui mit un terme à ses voyages et à sa vie.
Le personnage de Victor Ségalen est surprenant, marin qui n'aime pas la mer, militaire qui n'est guère passionné par l'armée et peut-être même par la promotion, médecin, certes compétent mais qui profite de ses voyages outre-mer que lui permettent son métier pour faire de l'archéologie, homme de culture et écrivain qui de son vivant a peu publié… Je note également les relations ambiguës, à la fin de sa vie, entre lui, Hélène, sa maîtresse, et Yvonne, son épouse, une sorte de relation à trois, consentie et consacrée jusqu'au bout par une correspondance en termes différents comme étaient différentes ces deux femmes et ce qu'elles représentaient pour lui. Leur présence à ses côtés n'a apparemment pas suffi à guérir cette neurasthénie qui a peut-être précipité sa mort, tant celle-ci pose question. Ce livre qui n'est pas un roman, qui commence et se termine par le décès de Ségalen, s'achève pourtant de la même manière avec cette évocation de la nature sauvage et mystérieuse, l'ombre de ce « dormeur du val » cher à Rimbaud que je n'ai pas pu ne pas voir dans la dernière image qu'il donne de lui, la compagnie d'Hamlet... Il y a certes plusieurs lectures de ce trépas, comme un passage d'un monde à un autre, une métamorphose peut-être, mais, en contre-point, il me semble qu'existe cette sorte d'apaisement, la quête de l'inconnu « pour trouver du nouveau » comme l'aurait dit Baudelaire, une manière d'affirmer une dernière fois sa liberté face à la camarde, cette liberté qui a baigné toute sa vie et qui a accompagné sa recherche sans doute vaine, son inhumation presque à la sauvette après falsification de son bulletin de décès, sorte de dernière manière de tirer sa révérence à ce monde qui l'a déçu.
J'ai fort apprécié ce document sur Victor Ségalen. Il a éclairé les connaissances éparses que j'avais de l'écrivain et de l'homme. C'est, pour moi, une invite à aborder son oeuvre d'une manière différente. le style de Coatalem est évidemment somptueux, poétique et sait transmettre pour son lecteur le résultat d'une recherche très documentée et passionnante. Même s'il a voulu faire « un livre hybride » sur cet écrivain voyageur qui arpenta la géographie ultramarine qui avait été celle de Gauguin aux Marquises, de Rimbaud en Afrique, de Loti en Polynésie, sur ses amitiés littéraires variées, ses voyages lointains et ses amours,cela reste une introduction exceptionnelle et bienvenue à l'oeuvre de Victor Ségalen, un extraordinaire personnage à la fois romantique et secret .
© Hervé GAUTIER – Janvier 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Nouvelle oeuvre de cet écrivain voyageur émérite particulièrement sur l'Asie dont j'ai particulièrement apprécié "Le Roi d'Angkor", "Nouilles Froides à Pyongyang" et en tout premier lieu "La Consolation des Voyages". J'attendais donc de découvrir sa dernière production.

Les premières pages ont été, pour moi, plus difficiles d'accès, ne connaissant pas du tout Victor Segalen et son histoire. Il faut donc prendre le temps de s'immerger dans ce roman / biographie, beaucoup de calme et partir..... entre Bretagne, somptueux hommage à cette terre d'origine et de légendes, Chine, Polynésie et un fantastique personnage de romans d'aventures à travers sa vie de médecin militaire, de passionné d'Asie et contemporains d'autres prestigieux artistes et écrivains.

Véritable initiateur aux trésors artistiques et méconnus de Chine, créateur de personnages de romans d'aventure, homme partagé entre deux femmes et trouble dans ses relations avec certains de ses amis d'expédition, c'est un auteur prolixe, opiomane mais toujours à la recherche de sa vérité; de la reconnaissance de ses pairs qu'il nous est donné de suivre jusqu'à la pire des issues.
Lien : http://passiondelecteur.over..
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Segalen royal.
Pierre angulaire et point d’achoppement, le tertre d’Huelgoat [la forêt d’en haut] semble constituer l’épicentre de l’essai que l’écrivain voyageur breton Jean-Luc Coatalem consacre à son homologue du siècle dernier, Victor Segalen. Les trois premiers chapitres redonnent vie aux derniers jours de Segalen gangrené par la neurasthénie. Sa mort orchestrée et son suicide maquillé montrent un esprit torturé et clinicien, lucide et désespéré qui fait froid dans le dos et en même temps ravive une aura ensevelie sous le suaire de l’oubli. Son œuvre est lacunaire et protéiforme, inachevée et en mouvement, confidentielle et universelle, labyrinthique et envoutante. Une fois lue, déchiffrée, ressentie, elle demeure inoubliable tout comme l’approche de cette mythique forêt d’Huelgoat du Finistère breton, hantée de chaos granitiques et pétrie de légendes. Il y a donc matière pour alimenter un essai qui d’emblée palpite et irradie. Coatalem écrit fraternellement à Segalen au-delà du temps et de l’espace et cette mise en écho résonne à l’unisson dans des harmoniques inouïes. L’essai de Jean-Luc Coatalem est inspiré et les similitudes dans l’art de sublimer la réalité par l’imaginaire ne suffiraient pas à insuffler l’élan créateur si les lieux parcourus par Victor Segalen ne continuaient à irradier une présence plus enfouie qu’enfuie qu’un regard éclairé peut aviver et enrichir : « Vous avez disparu et votre souvenir sur place aussi, enfin presque ». Entre la Polynésie et la Chine, hauts lieux du nomadisme sensuel et fantasmé de Segalen, Coatalem reprend les chemins de là-bas avec ferveur, sertissant ses parcours étoilés dans les tracés étincelants de l’illustre ainé. Même non initié, le lecteur est porté par la prose limpide et profonde de l’essai, le propos documenté mais expurgé, l’entrelacs subtil entre le rêve et le vécu, les passages du dehors au-dedans, jusqu’aux abords de failles intérieures où néanmoins : « Un filet de lumière passe ».
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Mes pas vont ailleurs/Jean-Luc Coatalem/Prix Femina 2017
La vie de Victor Segalen fut un vrai roman et c'est ce roman que se propose de nous conter Jean-Luc Coatalem. Avec talent il nous fait découvrir ce breton poète, marin et écrivain, grand voyageur. Dans un style très poétique et de belle facture, l'auteur nous laisse entrer discrètement dans l'intimité de Victor. Puis parcourt sa vie de la Polynésie (1903) à la Chine (1909 puis 1914) en passant par Ceylan et Djibouti (1905). Un texte relativement apologétique que l'auteur déroule dans le désordre de ses souvenirs. C'est une conversation dans laquelle il se livre à un monologue posthume s'adressant au poète disparu. Un thème avec ses variations, comme en musique.
le récit commence en Mai 1919 : Victor Segalen fait un séjour de repos dans un hôtel situé en bordure de la forêt du Huelgoat au coeur du Finistère. Il consacre une large part de son temps en correspondances avec son amoureuse Hélène et sa femme Yvonne.
Victor est un être poli et solitaire, fébrile et fatigué, taciturne et égrotant. Médecin militaire en congé de 40 jours, il a 41 ans. Il reste assujetti à la noire idole, l'opium, et aux médicaments de toutes sortes. Il est en crise, une crise majeure, une crise mystique aussi, aggravées par un déchirement sentimental entre Hélène et Yvonne son épouse soumise.
« Dès lors je vous rejoindrai mes chers Gauguin, Rimbaud et Aragon, Stevenson et Conrad sans oublier Cendrars… et Loti… et Kerouac… »
Segalen à trois jeunes enfants qu'il aime mais de façon convenue et assez distante, laissant à Yvonne le soin de les élever. Il est lié à Debussy et Remy de Gourmont. Il s'émerveille dans cette forêt du Huelgoat peuplée de mythologie arthurienne et qui semble intouchée. C'est aussi « un homme d'action férocement agité sur le terrain puis patient orfèvre des mots, reclus dans son cabinet de travail. Un aventurier lettré et cannibale, usant de ce qu'il faut pour ériger son oeuvre : du secret, de l'obstination, des kilomètres et des milles, de l'angoisse. » Homme prolixe et taiseux, Segalen est un contrarié actif, mystique sans dieu.
Lors d'une de ses expéditions en Chine en 1914, il fait une découverte archéologique majeure, celle du tumulus de Qin Shi Huangdi, premier empereur de Chine (221 à 210 avant J.C.). Il n'imaginait pas que non loin de là dormait sous terre toute une armée découverte 60 ans plus tard.
le récit prend des allures de pèlerinage à certains moments, l'auteur ayant voyagé dans les mêmes pays que Segalen.
Un texte très bien écrit, au style très poétique. Il ne manque que les photos décrites par l'auteur et illustrant son propos.
Extrait de la dernière page : « Entre les fougères, l'herbe couleur céladon Song paraissait cette fois-là malmenée et aplatie – qui, à découvert, était venu s'allonger là, en ce point consacré, imprimant au sol des voltes et des tourbillons ? Silence perforé par les oiseaux. Ciel en abside. Caresse lente de l'air. L4ombre de votre ombre peut-être , ici ou là, comme un regret dans les feuillages argentés. Et venue d'en bas, portée par le vent, l'intimité de la rivière qui poussait jusqu'ici sa voix vive et embuée, sa belle voix entourante… »
En mai 1919, Victor Segalen fut retrouvé mort dans la forêt du Huelgoat au coeur du Finistère.
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Figure mythique du panthéon des écrivains voyageurs, Victor Segalen reste cependant mal connu. Est-ce la brièveté de son existence ? L'absence relative de sources primaires ? le flou soigneusement entretenu par le militaire-médecin-poète au cours de sa vie ?
En repartant de sa Bretagne natale, de l'hôtel où il a passé sa dernière nuit, Jean-Luc Coatalem interpelle Segalen comme on peut s'adresser à un lointain ami perdu de vue. Pourquoi ces voyages qui ressemblent tant à des fuites ? Quel est ce charme venimeux qui séduit autant sa jeune épouse bretonne qu'un éphèbe chinois par ailleurs amant de la dernière impératrice de Chine ? Etoile filante dans le monde des lettres, Segalen ne cesse de s'échapper des liens qu'il s'attache pourtant à tisser. Parti sur les traces de Gauguin aux Marquises, le voilà déjà à Djibouti, très rapidement réembarqué pour la vaste Chine, il s'échoue définitivement dans la forêt de Huelgoat.
Plus qu'une biographie classique, « Mes pas vont ailleurs » est un dialogue intime et poétique entre deux hommes aux inspirations communes. Dans un jeu de miroir et d'admiration, ce récit raconte autant Segalen que Coatalem, unis par le puissant pouvoir de séduction de l'ailleurs et la littérature. Une lecture enivrante qui invite au voyage.
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