« Dis que c'est par ma faute que tu m'as quitté, et j 'abonderai dans ton sens pour m'accuser de ce que tu me reproches. Prétends que je suis infirme, et je me mettrai à boiter, sans chercher un seul instant à te contredire.
Tu ne peux pas, mon amour, être moitié aussi méchant avec moi, pour justifier d'avoir jeté ton dévolu sur un autre, que je le serai moi-même, si c'est ce que tu veux.
Je couperai les ponts avec toi, je ferai semblant de ne pas te connaître, j'éviterai les lieux que tu fréquentes, et ma langue ne prononcera plus ton nom adoré, pour ne pas, indigne que je suis de toi, le salir en évoquant les liens qui nous ont unis.
Contre moi-même toujours je prendrai ton parti, ne pouvant me résoudre à aimer quelqu'un que tu maudis. »
William Shakespeare
Toute rupture d'un amour réel, est un effondrement. Toute perte de l'être aimé est aussi une perte de soi. La condition amoureuse est une affaire risquée, c'est entendu, c'est su, depuis longtemps. Mais l'Homme n'est pas seulement un aventurier, c'est plus encore un imbécile. Non content de vivre une condition exigeante, il s'est ajouté de la difficulté.
L'être humain est un bloc ! Il n'est pas un être de parole, pas seulement : c'est un être de présence, un être social.
Lisant ce texte, je ne peux que me conforter dans cette conclusion.
Jean Cocteau, par ce drame d'une rupture si ordinaire (aucun nom, aucun lieu, toute identification possible) et pourtant si personnelle, si unique, comme toutes les ruptures (« il faut être juste notre situation est inexplicable pour les gens. Pour les gens… pour les gens on s'aime ou on se déteste. Les ruptures sont des ruptures, ils regardent vite, tu ne leur feras jamais comprendre ») nous invite à réaliser à quel point la médiatisation des rapports sociaux détruit l'humanité. Et nous n'en étions qu'au téléphone à fil, avec, encore, des « dames du téléphones » (téléphonistes) faisant le lien entre les abonnés, (mais déjà aliénées par leur travail comme l'a montré le travail précurseur de Louis le Guillant, le drame du travail humain). Mais déjà la grande rupture relationnelle est annoncée dans les interruptions incessantes de la conversation.
Un drame amoureux par téléphone est en cela double. Par là,
Jean Cocteau souligne que la mise à distance, l'éloignement physique de l'autre, cette technique qui abime les liens sociaux est un abîme. Il illustre superbement que toute mort sociale est une mort absolue. C'est vrai en amour comme dans la vie de tous les jours. Cette atomisation ne laisse aucune échappatoire, aucun salut, aucune chance, même aux plus fortes aventures humaines... « Dans le temps on se voyait on pouvait perdre la tête, oublier ses promesses, risquer l'impossible, convaincre ceux qu'on adorait en les embrassant en s'accrochant à eux, un regard pouvait changer tout mais avec cet appareil… ce qui est fini est fini ». Et les cris d'amour, les appels au secours, les hurlements de désespoir, se perdent dans les méandres filandreux et indifférents de cuivre et de plastic, plus tard dans les ondes et sur les pixels d'écran que l'homme ne cesse de dresser au milieu de ses relations.