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sur 1232 notes
Si vous n'avez pas vraiment suivi comment la Grande Bretagne est finalement arrivée au Brexit ou si, comme moi, vous l'avez suivi un peu superficiellement, alors une solution s'impose, pas un effort titanesque, non, ni une lecture ennuyeuse ou pédagogique, pas du tout. Il suffit de se plonger dans le coeur de l'Angleterre de Jonathan Coe pour savoir comment on est arrivé là, car c'est la question qui est posée tout au long de ce roman.
Celui-ci débute en avril 2010 avec les obsèques de la femme de Colin, Sheila, avec qui il a vécu 55 ans. Celui-ci, 82 ans, conservateur depuis 1950, repart, la réception terminée, avec son fils Benjamin plutôt indécis vis-à-vis des élections qui ont lieu dans une semaine, déclarant même qu'il ne voterait peut-être pas. La soeur de Ben, Loïs accompagnée de sa fille Sophie les rejoint chez ce dernier. L'autre frère, Paul, est reparti sur Tokyo car il est fâché. Doug, l'ami journaliste de Ben est présent aussi. Les principaux personnages nous sont donc présentés dès ce premier chapitre et au fil du roman, s'en ajouteront bien d'autres tout aussi intéressants. Ainsi, au moyen d'une fiction, par le biais d'une famille agrandie aux amis et connaissances, Jonathan Coe réussit de façon magistrale à nous faire vivre ce qu'ont été ces années plus que difficiles qui ont précédé ce fameux 24 juin 2016 où a été annoncé que les britanniques s'étaient prononcés contre le maintien de leur pays dans l'Union européenne et où David Cameron avait démissionné de son poste de Premier ministre. J'avais craint, n'ayant pas lu les deux précédents, Bienvenue au club et Cercle fermé d'avoir quelques problèmes de compréhension, mais il n'en a rien été, le coeur de l'Angleterre peut se lire séparément sans aucun problème. Ce roman couvre quasiment une décennie, d'avril 2010 à septembre 2018. Il retrace la vie politique économique et sociale de toutes ces années en jalonnant son récit de certains évènements marquants comme les violentes manifestations de 2011, la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques du 27 juillet 2012 ou encore l'attentat contre la députée Jo Cox en juin 2016. le lecteur n'est jamais perdu car la plupart des chapitres sont précédés d'une date. Il est intéressant et instructif de voir que chacun est impacté par la politique, de façon différente selon sa sensibilité mais que nul n'y échappe.
L'auteur montre très bien comment, progressivement, et notamment avec le chômage de plus en plus important, s'est creusé l'écart entre les classes populaires et les élites, comment sont nés la peur du lendemain, le repli sur soi, la méfiance vis-à-vis de l'étranger et des migrants, le tout finissant par engendrer la révolte.
C'est une triste réalité que nous dépeint Jonathan Coe avec cette satire sociale. Par bonheur, les différents liens d'amour, les relations familiales ou amicales tissés entre les personnages leur permettent de traverser cette vie pas toujours simple à appréhender. Se dégagent de ce roman une mélancolie et un sentiment de nostalgie sur le temps qui passe qui m'ont beaucoup touchée.
C'est un ouvrage que j'ai trouvé particulièrement plaisant à lire et que je recommande chaleureusement. Il peut se lire sans problème, indépendamment des deux premiers.
Bien mieux que toutes les analyses politiques, le coeur de L'Angleterre est le livre à lire pour comprendre l'époque dans laquelle on vit et ce fameux Brexit qui n'a pas encore révélé toutes ses conséquences.
Je conseillerais donc vivement ce triptyque : Bienvenue au club, le cercle fermé et le coeur de l'Angleterre à tous ceux qui voudraient avoir une vue politique d'ensemble des années 1970 à 2019, de l'Angleterre, bien sûr, mais de notre vie à tous. Une manière très agréable et très enrichissante de faire le point !
À noter la très belle et très explicite jaquette !
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Deux ans après la crise financière qui a secoué le monde et engendré une ligne de fracture abyssale partout en Europe, les Britanniques sont profondément divisés par un fossé culturel et social. Le racisme et la xénophobie sont de plus en plus virulents, les riches sont de plus en plus riches, les pauvres de plus en plus pauvres, la classe moyenne se sent victime et a le sentiment qu'on ne l'écoute pas. Quant aux antagonismes de partis, la plupart des Anglais n'en veulent plus, et certains sont tentés par le nationalisme que défendent les populistes.

Sans aucun doute Jonathan Coe essaie de comprendre son pays. Ainsi, alors qu'en ce moment les pour et les contre Brexit s'y affrontent, sous l'angle de Benjamin, Doug, Sophie et les autres, il nous invite à découvrir dans la dernière décennie les racines de la dérive britannique (qui est aussi celle d'autres pays européens). Éclairante et un brin mélancolique, une analyse pertinente, drôle et pleine de recul de la crise anglaise que seul un Britannique lucide et ouvert au monde, tel Jonathan Coe, pouvait offrir à ceux qui s'interrogent sur celle que des Français du XVIIe siècle ont nommé la Perfide Albion...
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Plonger au coeur de l'Angleterre des années 2010 est une aventure très instructive, prenante, émouvante et riche en rappels précis de la vie politique de ce pays.

Dans le coeur de l'Angleterre, Jonathan Coe redonne vie à des personnages créés dans ses précédents romans, Bienvenue au club et Cercle fermé. Je ne les ai pas lus, hélas, et cela m'a gêné un peu au début pour situer chacune et chacun car on gravite au sein d'une même famille, la famille Trotter, qui est de Birmingham, dans ces Midlands qui subissent les fermetures d'usines, le chômage et où un ressentiment, pour ne pas dire plus, envers les étrangers, va grandissant.
Colin a quatre-vingt-deux ans. Il vote conservateur depuis 1950. Parmi ses enfants, Benjamin a cinquante ans et vit seul. Lois, sa soeur, est la mère de Sophie qui se fait flasher en excès de vitesse. Plutôt que de perdre des points sur son permis, elle choisit de suivre un stage et tombe amoureuse de Ian, le formateur.
Doug est un autre personnage important du livre. Il a fait ses études avec Benjamin et il est devenu un chroniqueur politique réputé. Grâce à un sous-directeur à l'information du gouvernement, il connaît tous les dessous de la vie politique de son pays qui, après le succès des conservateurs (tories) aux législatives, fait face à des émeutes dans les plus grandes villes, en 2011. Certains, comme Ian, y voient un conflit racial.
Pendant ce temps, Benjamin se décide à montrer à Philip, un ami, son projet littéraire. Après un élagage sérieux, il est édité sous le titre Une rose sans épine, et finit par créer la surprise…
Ainsi, je me suis peu à peu passionné pour la vie de ces gens, leurs rencontres, leurs amours, leurs succès, leurs échecs et j'avoue que tout cela est bien mené, varié, avec beaucoup de maîtrise. L'auteur ne cache pas son amour pour la France, situant une belle séquence à Marseille et dans les îles du Frioul, plus une scène finale qu'il ne faut pas divulgâcher.
Enfin, l'essentiel, c'est ce fameux Brexit dont l'auteur permet de comprendre la préparation avec campagne médiatique jouant sur les ressorts du patriotisme et la force du monde des affaires. David Cameron a commis une lourde faute en lançant ce référendum qui l'a contraint à la démission du poste de Premier Ministre mais, rassurez-vous, tout va bien pour lui puisqu'il s'est mis ensuite à rédiger ses mémoires et à donner des conférences à 120 000 dollars l'heure.
Au fil de ma lecture, je n'ai pas pu m'empêcher de sourire en lisant que le gouvernement de Theresa May avait fixé la date butoir pour le retrait de la Grande-Bretagne de l'Union européenne au 29 mars 2019.

Lors de son intervention aux Correspondances de Manosque, Jonathan Coe rappelait que le Premier Ministre actuel, Boris Johnson, journaliste auparavant, avait pendant vingt ans, écrit des articles satiriques, moqueurs contre l'Europe. Comme un autre personnage, il animait un show télévisé et passait pour un homme sympa, drôle. Suivant son modèle d'outre-Atlantique, il joue les durs, maintenant.
Le coeur de l'Angleterre, au travers de destinées professionnelles et familiales, allant jusqu'à une intimité émouvante, montre bien la fracture générationnelle en cours dans ce pays où les plus de soixante-cinq ans ont fait basculer le référendum alors que la majorité des jeunes voulaient rester dans l'Europe. Cela n'empêche pas l'humour comme lors de la séance de golf car l'auteur qui ne jouait pas mais dont le frère était professionnel, n'a pas oublié ces séances interminables durant lesquelles il devait porter les clubs de tout le monde…

Très Anglais et très Européen, Jonathan Coe est très triste devant ce qui se passe et son livre m'a éclairé sur bien des points ressortant régulièrement dans l'actualité. le coeur de l'Angleterre est un livre important à lire pour comprendre notre époque.
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Le cru 2019 de Jonathan Coe s'inscrit dans l'actualité encore brûlante puisque le brexit ne cesse de faire couler l'encre, jour après jour, pour savoir comment extirper cette balle dans le pied que les anglais se sont tirée presque malgré eux.

Bien entendu, il s'agit d'un roman et l'on retrouve des personnages déjà croisés dans Bienvenue au club, il y a quelques années. Et c'est un vrai plaisir de les voir débattre, nouer des alliances, se séparer pour mieux se retrouver au fil d'un quotidien ordinaire. Ils sont assez nombreux, autour de Benjamin, l'ermite au bord de la rivière, sa famille, ses amis, ses relations sociales. Et tout se joue autour de l'écriture de son roman, oeuvre entamée des années plus tôt et alimentée sans tri sélectif au point de se retrouver avec un pavé illisible. Ce qu'en fera son éditeur est à mourir de rire.

Grand moment aussi que l'ouverture des Jeux Olympiques, Il n'y a que Jonathan Coe pour retranscrire cette ambiance particulière, où pour quelques minutes tous les anglais se sont retrouvés soudés devant le même spectacle.

Pas de prise de position pour les Leave ou les Remain, mais une savante analyse de la situation et de sa complexité. Les politiques ne sont pas épargnés : un peu d'ironie n'a jamais tué personne.

L'humour est en effet là, parfois amer, jamais méchant, mais imprégné de ce qui fait le charme de cette spécialité britannique.


Grand plaisir donc de parcourir ces pages, et le roman ne dénote pas parmi les autres. Les fans apprécieront et les nouveaux venus auront un aperçu fidèle du talent de l'auteur.
Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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Par ici la sortie !
Ce roman, c'est le Mappy du Brexit, la carte Michelin de la transhumance de l'indécise Albion vers elle-même.
Les battements du coeur de l'Angleterre sont aussi anarchiques que ceux des personnages qui poursuivent Jonathan Coe depuis Bienvenue au Club et le Cercle Fermé. Après avoir fait trotter la famille Trotter dans les années Thatcher et Blair, il leur fait traverser la période Cameron, celui qui eut la lumineuse idée, tous phares éteints, d'organiser le référendum qui aboutira au Brexit.
A défaut de prescrire un médicament efficace à son pays, l'auteur fait défiler la chronologie de ces dernières années et décrit les symptômes à cette crise à travers trois générations, toutes traversées par des fractures amoureuses, sociales et historiques.
Côté troisième âge… de pierre, Colin, récent veuf, qui ne comprend plus grand-chose au monde qui l'entoure, se replie dans ses souvenirs et Héléna, une belle mère possessive et acariâtre qui rejette tous ceux qui ne sont pas made in England.
Côté quinquas blasés et usés, il y a Benjamin, l'alter ego de l'auteur, écrivain mélancolique et désengagé qui suit le mouvement comme le spectateur d'un match entre deux équipes dont il n'est pas supporter. Sa soeur, Lois, est aussi restée bloquée dans l'ascenseur du passé et elle choisit la fuite pour retrouver un petit gout à la vie.
Le personnage le plus passionnant du roman est Sophie, jeune universitaire qui s'amourache d'un instructeur d'auto-école, Ian. Ils n'appartiennent pas au même monde : son compagnon lui reproche sa vision progressiste, elle craint sa dérive populiste.
Si vous rajoutez un clown désabusé, des jeunes idéalistes, un conseiller politique hors sol et un chroniqueur engagé, vous obtenez une jolie galerie de portraits d'un peuple qui parle la même langue mais qui ne se comprend plus. Des anglais qui ressemblent à des français. D'un côté, des intellectuels dopés aux grands principes, de l'autre, des sujets de sa gracieuse majesté qui ont l'impression que la Manche n'est plus assez étanche.
Jonathan Coe réussit à orchestrer ce choeur qui ne chante pas à l'unisson en articulant son récit autour des événements qui ont marqué son pays depuis 10 ans. Ils sont superbement abordés à travers le regard subjectif des différents personnages. Il décrit ainsi avec la même subtilité et la même émotion la communion de tous les Britanniques lors de l'ouverture de JO de 2012, les attentats de Londres, le choc causé par le meurtre en 2016 de Jo Cox, députée travailliste et le référendum.
Jonathan Coe est un romancier, pas un journaliste. Il ne s'agit pas d'une simple chronique politique dont les personnages ne seraient qu'un prétexte à défendre une opinion.
L'auteur ne cache pas son hostilité au Brexit mais il ne juge pas ses personnages. Il n'accable ni n'épargne personne. Il semble surtout intéressé par le temps qui passe et l'impact de ces bouleversements politiques sur la vie de ses personnages. Est-il possible de s'aimer quand on ne partage plus la même vision du monde ?
Tout cela serait vraiment trop sérieux si l'auteur n'était pas Jonathan Coe, romancier mélomane qui glisse une bonne dose d'humour et d'ironie dans des scènes improbables. Les échanges entre le journaliste Doug et sa taupe, conseiller politique de David Cameron atteignent des sommets dans le burlesque. Il parvient même à rendre une scène de panne sexuelle orgasmique.
C'est le roman du Brexit et du coeur blessé de l'Angleterre. J'ai adoré.

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Le Brexit, comme beaucoup en France, je l'ai vécu par le biais de l'information et à travers les paroles et affirmations des uns et des autres, comprenant alors que la situation était grave pour le royaume uni comme pour une bonne partie de l'Europe, particulièrement d'un point de vue économique, mais mon ressenti était faible, je m'en rends compte aujourd'hui à la lecture de ce roman dans lequel Jonathan Coe raconte l'Angleterre des difficiles années 2010, la crise économique, le chômage, les difficultés de la jeunesse à se projeter dans un avenir incertain.

Il explique comment le pays en est arrivé à ce point : tensions politiques, manipulations du gouvernement, galvanisation par des groupes extrémistes écoutés par une fraction de la population qui ne manquera pas de penser que l'immigration est la cause de tous les maux.

Personnage bien choisis, représentant une jeunesse en révolte, quelques nostalgiques de la vieille Angleterre industrielle, au fait des manoeuvres politiques où se laissant porter par les événements, certains accepteront les faits, d'autre envisageront l'exil…

Roman édifiant pour les non britanniques qui s'apercevront de la violence générée par ce Brexit, à tel point que j'ai eu le sentiment que tout cela aurait pu dégénérer en émeute, le fossé se creusant entre les pro et anti-Brexit.

Un roman écrit pour comprendre…

Un roman qui m'a intéressée et instruite, mais que j'ai parfois eu du mal à poursuivre, peut- être parce que les questions politiques ne sont pas ma «cup of tea », et sans doute parce que je n'ai pas lu les premiers tomes et que j'ai dû plonger dans un milieu inconnu sans pouvoir m'attacher aux personnages qui avaient commencé à évoluer dans les précédents romans.

Je ne regrette toutefois pas de l'avoir lu.
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Voilà une plongée dans l'Angleterre de 2010 et peu avant le Brexit. C'est passionnant ! Jonathan COE nous plonge dans cet univers et nous donne à voir les divers aspects du politiquement correct, du nationalisme ou au contraire du conservatisme et de la revendication identitaire. Ainsi la lecture peut s'apprécier dans une même mesure que l'on soit européiste ou non et c'est avec brio que cette histoire nous est narrée.
Les personnages sont très attachants et l'écriture est captivante sans que l'aspect politique ne soit jamais ennuyant bien que relié directement à la vie de chacun. J'ai une sympathie particulière pour Benjamin pour son côté nature et pour Sophie, son contraire très expansif. Une lecture dynamique, instructive et très agréable.
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Benjamin Trotter est un quinqua plein de doutes . Dévasté par sa rupture avec Cicely, occupé par son père déclinant, incapable de mettre bout à bout les milliers de pages du livre qu'il veut publier, il coule des jours aussi ennuyeux que paisibles dans un moulin des Midlands.
On est en 2010, Cameron vient de prendre les commandes de l'exécutif et l'Angleterre est à la croisée des chemins . Elle ne sait pourtant pas encore que six ans plus tard , le Brexit serait adopté.

Quel bon roman ! Jonathan Coe s'appuie sur la famille Tropper pour parcourir la décennie britannique entre les émeutes, les JO de Londres, la campagne autour du Brexit et tous les clivages sociétaux qui en découlent.
Ce livre est grand parce qu'en plus de dépeindre la politique du pays , l'histoire de la famille Tropper se suffirait à elle seule , tellement elle est bien narrée, avec cette pointe d'humour que maitrise tellement bien les britanniques , ces rebondissements qui sont le coeur des vies ordinaires , ces personnages attachants.
Et cette famille , comme beaucoup d'autres en Angleterre ou ailleurs, se déchire autour de l'immigration , de l'austérité, du coût de la vie , du politiquement correct et donc du Brexit que l'auteur amène de façon remarquable en nous offrant une vision interne de ce procédé .

le politiquement correct, vaste sujet , soumis à toutes les extrapolations possibles. Quand deux personnes sont en concurrence pour un poste , que la personne issue des minorités est élue, se poser la question du politiquement correct, c'est déjà avoir perdu. Cela n'engage que moi bien entendu.
Et donc ce politiquement correct est remarquablement traité, bousculant le lecteur et le renvoyant à son propre quotidien.
Roman très dense , très agréable à lire , nous renvoyant à notre quotidien d'occidentaux à la croisée des chemins , opposant nostalgiques et réformateurs.
Je vous le conseille vivement.
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Les Trotter de Bienvenue au Club reprennent du service. D'un enterrement à un autre en passant par un divorce, de 2010 à 2018, ils sont les témoins d'une décennie entamée dans l'allégresse des Jeux Olympiques et qui se termine dans le feuilleton de la sortie de l'U.E, toujours annoncée, souvent programmée et toujours repoussée. Les thèmes ont quelque chose à voir avec le deuil et le divorce : la nostalgie des années de jeunesse, le sentiment de déclassement, la colère, d'un côté. En face, la mondialisation heureuse et l'incompréhension, un tantinet méprisante. Tout pour une fracture.
C'est un roman très agréable à lire même s'il est bien loin, par exemple, de Expo 58 et de sa joyeuse et insouciante facétie. Autre époque !
Les personnages principaux ont pris presque quarante ans, certains ne reconnaissent plus leur pays, leur ville, d'autres s'en accommodent mais la nostalgie n'est jamais bien loin. Il y a bien un moment lumineux, superbement décrit : la cérémonie d'ouverture des Jeux de Londres, en 2012. Somptueux événement culturel, très fédérateur, qui fit taire pour trois semaines tout ce qui divisait, irritait, opposait. Mais, on sait, en Angleterre ou sur le Continent, qu'un analgésique ne guérit rien et que son effet est de courte durée. Restent donc les maux de la société britannique, soigneusement décrits :
L'inanité des politiciens, leur imprévoyance, leur gestion à la petite semaine. Leur incapacité, sinon à résoudre les problèmes, à réduire les fractures.
Il y a la rage de ceux ne supportent plus le poids croissant des minorités et la moralisation permanente du politiquement correct, couplé au mépris hautain, de ceux qui entendent bien l'imposer partout et tout le temps.
Il y a aussi le sentiment de déclassement, de pertes de repères, de nostalgie de ceux dont la jeunesse s'est envolée, l'insolence de la génération des « millenials » prompte à trancher, décréter et à se servir des réseaux sociaux pour imposer ses certitudes quitte à recourir au harcèlement. Les médias perpétuellement en quête d'audimat et prêts à tordre déclarations, informations et opinions pour créer de la sensation et caresser les minorités dans le bon sens.
Tout cela n'empêche pas nos personnages d'aimer ou de se déchirer, de réussir ou pas, de rêver, de réfléchir, de vivre. Heureusement, car l'auteur n'a pas trouvé le plus petit début de commencement de solution pour réduire la fracture. Personne ne peut lui en faire le reproche. Ce qui est possible pour ses personnages, qui se séparent à cause du Brexit, ne l'est pas pour les deux parties du peuple britannique qui, bien que déjà divorcées, restent contraintes de faire chambre commune. L'impatience des uns, les tentatives de remise en cause de la décision par les autres, n'augurent rien de bon.
Par la diversité de ses personnages, par des dialogues éclairants et des mises en situation convaincantes, il réussit, avec talent et pertinence, le tour de force d'évoquer ces tensions et ces rancoeurs, d'une façon assez subtile (la modération anglaise) pour ne pas avoir à s'aliéner une partie de ses lecteurs, qu'ils soient « Leave » ou « Remain ». Oubliez les éditorialistes et autres « décrypteurs de l'actualité » (il y a un personnage de ce type dans le roman), lisez le Coeur de l'Angleterre, vous comprendrez tout et passerez, en plus, un excellent moment.

Merci Lecteurs.com #Explorateursrentréelittéraire
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Il y a quelque chose d'assez jouissif à lire le dernier opus de Jonathan Coe alors que s'étale au gré des fils info la cacophonie du Brexit chez nos amis britanniques. Lors d'une rencontre récente avec l'auteur venu à Paris présenter son livre, il a expliqué qu'écrire lui servait désormais à tenter de comprendre. Son pays, les événements, la politique. C'est ce qui l'a amené à prendre pour cadre de son roman les dix années précédant le référendum sur le Brexit ; en même temps, rien d'illogique, cela fait plus de trente ans qu'il nous raconte l'Angleterre, décennie après décennie, avec le recul d'un citoyen du monde, francophile et européen convaincu. Plus de trente ans, depuis Testament à l'anglaise, qu'il interroge cette société pilotée par la finance. Son précédent livre, Numéro 11 était un exercice brillant sur ce thème, peut-être un peu plus complexe à appréhender que d'habitude. Avec le coeur de l'Angleterre, on retrouve le pur plaisir de l'immersion, le frisson de l'ironie légère, l'acuité du regard tendre mais sans concession. Et surtout, la virtuosité d'un romancier qui sait nourrir son propos d'une somme phénoménale d'informations, l'ancrer dans une réalité ultra contemporaine (forcément) sans que jamais le lecteur n'ait l'impression de lire un reportage ou autre chose qu'un roman. Un vrai bon roman.

Cela passe sans doute par l'incarnation. Faire reprendre du service à Benjamin Trotter, héros du Cercle fermé et de Bienvenue au club contribue à donner un formidable relief à l'ensemble. Il ne tombe pas du ciel, il a un vécu, le lecteur a déjà fait un bout de chemin avec lui et, je suis certaine que cela se sent même pour ceux qui n'ont pas lu ces deux titres. Simplement parce qu'il existe déjà dans le petit monde de l'écrivain et qu'il l'accompagne depuis toutes ces années. Benjamin a vieilli, et son background sonne juste car il contient nos propres illusions et désillusions. Pour compléter son tableau, l'auteur introduit un pendant aux préoccupations plus immédiates en la personne de Sophie, la jeune nièce de Benjamin, plus tournée vers l'avenir. Jeune femme en début de carrière universitaire, en début de vie maritale. Un poil idéaliste, aux idées humanistes sans cesse confrontées à la réalité, parfois brutalement. Intéressant d'assister à l'éveil tardif de la conscience politique de Benjamin - jusque-là plus préoccupé de ses velléités d'écriture, mais aussi de retrouver son ami Doug, brillant journaliste et d'assister à ses têtes à têtes réguliers avec le responsable de la communication du 10, Downing Street (savoureux à souhait !).

Si ce roman est tellement réussi, c'est aussi par les différentes perspectives prises par l'auteur pour donner à voir l'Angleterre. Il parvient à nous glisser sans bruit dans presque toutes les classes sociales, sans jamais donner l'impression de faire une démonstration. le prisme politique est à la fois souligné lors de moments clé, et dilué dans les parcours quotidiens des protagonistes ce qui rend palpables les enchainements de micro-faits qui ont pu mener à la situation que nous connaissons. le regard de l'auteur reste haut, il n'hésite pas à faire traverser la Manche à ses personnages histoire de leur donner du recul à eux aussi. Tous les thèmes qui font l'actualité sont là : montée du nationalisme, politiques d'austérité, règne du politiquement correct, luttes contre les discriminations. Et Jonathan Coe tisse habilement destins individuels et collectifs pour lesquels le lecteur a la même fascination. Il y a des passages fantastiques, d'une saveur unique. Des petites piques qui n'épargnent pas les milieux intellectuels, les écrivains ou les universitaires. J'avoue que les moments où toute l'Angleterre s'observe à travers la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Londres en 2012 (qui retraçait les grands moments de l'Histoire du pays) sont exceptionnels.

Vous l'avez compris, c'est un régal. Je voue une admiration sans borne à Jonathan Coe et ce n'est pas ce roman qui va infléchir ma position. Un jour, je prendrai le temps de relire tous ses romans, de les savourer à la hauteur de ce qu'ils représentent : une fresque subtilement intelligente qui peut éventuellement nous aider à mieux comprendre ce drôle d'animal qu'est l'"homo anglicus", et peut-être nous-mêmes à travers lui.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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