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Critique de Kirzy


Kirzy
30 décembre 2022
Jonathan Coe est incontestablement l'auteur qui sait le mieux diagnostiquer l'état de la nation britannique. Une nouvelle fois, il examine l'histoire du Royaume-Uni à travers les yeux d'une famille banale de la middle class, comme un besoin obsessionnel de proposer de nouvelles perspectives sur le passé et son rôle dans le façonnage du présent, de rappeler les mythes fondateurs à la fois personnels et nationaux, à l'intersection du public et du privé.

Nous suivons donc la famille Lamb – et ses nombreuses ramifications – de 1945 à 2021, autour de sept événements marquants qui font communion et donnent le sentiment d'appartenir à une nation commune : des discours mythiques ( de Churchill, du roi Georges V pour célébrer la victoire majuscule du 8 mai 1945 ), des épisodes liés à la famille royale ( couronnement d'Elisabeth II en 1953, mariage de Charles et Diana en 1981, mort de cette dernière en 1997 ) ou sportif ( sacre de l'équipe anglaise à la coupe du monde de 1966 ).

On sent bien les coutures du récit, mais le talent de conteur est là pour faire traverser le temps aux personnages. Même si c'est parfois frustrant de les voir vieillir en accéléré, l'auteur orchestre parfaitement son archipel de personnages pour radiographier une société anglaise qui s'effrite au fil des années. le casting est impeccable, concentré identitaire large spectre, avec la dynamique Mary comme coeur central : son mari taiseux qui se révèle xénophobe, leurs fils si différents, de Jack le nationaliste tory pro-Brexit à Martin libéral europhile convaincu ou Peter, le musicien qui découvre son homosexualité sur le tard, entre autres parmi la trentaine de personnages qui peuplent ce roman. Quatre générations dont les succès, les mésaventures et les divisions reflètent les changements post Deuxième guerre mondiale.

Le sens de la comédie de Jonathan Coe est également bien présent avec notamment un portrait croquignolet de « Boris » que l'on découvre avant sa nomination comme Premier ministre lorsqu'il était journaliste dans plusieurs grands quotidiens et brillait par ses articles corrosifs sur l'Union européenne. Les passages les plus drôles du roman sont justement liés à la question européenne avec en son coeur la Guerre du chocolat qui durant une trentaine d'années a opposé les lobbystes britanniques à la Commission européenne qui interdit l'importation de chocolat britannique ( Cadbury en tête ) en provenance du Royaume-Uni jusqu'en 2003, refusant de le considérer comme du chocolat à cause de son adjonction de matières grasses végétales. Les joutes de la commission européenne autour de la question de l'étiquetage donnent lieu à un compte-rendu aussi savoureux que cocasse.

Si l'ensemble manque un peu de mordant et d'intensité - peut-être un peu longuet aussi - on prend un grand plaisir à revisiter l'histoire anglaise à travers le portrait tendre de la famille de Mary. Sur la fin du roman, époque post Brexit, on sent la colère de l'auteur, mais une colère feutrée qui laisse entrevoir lassitude et tristesse. Les passages consacrés à Mary octogénaire confinée, privée de la visite de ses enfants et petits-enfants sont assez bouleversants. Notamment le chapitre intitulée « le sommet du crâne de ma mère » où le regard de son fils Peter s'attarde sur cette partie du corps – la webcaméra de sa mère étant mal orientée – qui révèle toute la décrépitude d'un corps vieillissant.

Le roman gagne alors en en profondeur et invite le lecteur dans une réflexion quasi proustienne sur le temps qui passe qu'il faut essayer de se réapproprier. Ce qui bouge, ce sont les choses les plus superficielles mais qui dans le temps présent sont prégnantes ( qui gouverne, qui trône, qui a gagné la coupe du monde de football ). Mais ce qui reste stable et constant, ce sont les petits moments d'intimité chargés de sentiments profonds, ancrés à jamais par la puissance des souvenirs capables d'arrêter le temps, le suspendre et de le retrouver.

Sans doute pas le meilleur Coe mais Royaume désuni est un roman plein de charme qu'on lit comme dans une bulle ouatée, avec beaucoup de plaisir.


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