AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,95

sur 764 notes
Jonathan Coe est incontestablement l'auteur qui sait le mieux diagnostiquer l'état de la nation britannique. Une nouvelle fois, il examine l'histoire du Royaume-Uni à travers les yeux d'une famille banale de la middle class, comme un besoin obsessionnel de proposer de nouvelles perspectives sur le passé et son rôle dans le façonnage du présent, de rappeler les mythes fondateurs à la fois personnels et nationaux, à l'intersection du public et du privé.

Nous suivons donc la famille Lamb – et ses nombreuses ramifications – de 1945 à 2021, autour de sept événements marquants qui font communion et donnent le sentiment d'appartenir à une nation commune : des discours mythiques ( de Churchill, du roi Georges V pour célébrer la victoire majuscule du 8 mai 1945 ), des épisodes liés à la famille royale ( couronnement d'Elisabeth II en 1953, mariage de Charles et Diana en 1981, mort de cette dernière en 1997 ) ou sportif ( sacre de l'équipe anglaise à la coupe du monde de 1966 ).

On sent bien les coutures du récit, mais le talent de conteur est là pour faire traverser le temps aux personnages. Même si c'est parfois frustrant de les voir vieillir en accéléré, l'auteur orchestre parfaitement son archipel de personnages pour radiographier une société anglaise qui s'effrite au fil des années. le casting est impeccable, concentré identitaire large spectre, avec la dynamique Mary comme coeur central : son mari taiseux qui se révèle xénophobe, leurs fils si différents, de Jack le nationaliste tory pro-Brexit à Martin libéral europhile convaincu ou Peter, le musicien qui découvre son homosexualité sur le tard, entre autres parmi la trentaine de personnages qui peuplent ce roman. Quatre générations dont les succès, les mésaventures et les divisions reflètent les changements post Deuxième guerre mondiale.

Le sens de la comédie de Jonathan Coe est également bien présent avec notamment un portrait croquignolet de « Boris » que l'on découvre avant sa nomination comme Premier ministre lorsqu'il était journaliste dans plusieurs grands quotidiens et brillait par ses articles corrosifs sur l'Union européenne. Les passages les plus drôles du roman sont justement liés à la question européenne avec en son coeur la Guerre du chocolat qui durant une trentaine d'années a opposé les lobbystes britanniques à la Commission européenne qui interdit l'importation de chocolat britannique ( Cadbury en tête ) en provenance du Royaume-Uni jusqu'en 2003, refusant de le considérer comme du chocolat à cause de son adjonction de matières grasses végétales. Les joutes de la commission européenne autour de la question de l'étiquetage donnent lieu à un compte-rendu aussi savoureux que cocasse.

Si l'ensemble manque un peu de mordant et d'intensité - peut-être un peu longuet aussi - on prend un grand plaisir à revisiter l'histoire anglaise à travers le portrait tendre de la famille de Mary. Sur la fin du roman, époque post Brexit, on sent la colère de l'auteur, mais une colère feutrée qui laisse entrevoir lassitude et tristesse. Les passages consacrés à Mary octogénaire confinée, privée de la visite de ses enfants et petits-enfants sont assez bouleversants. Notamment le chapitre intitulée « le sommet du crâne de ma mère » où le regard de son fils Peter s'attarde sur cette partie du corps – la webcaméra de sa mère étant mal orientée – qui révèle toute la décrépitude d'un corps vieillissant.

Le roman gagne alors en en profondeur et invite le lecteur dans une réflexion quasi proustienne sur le temps qui passe qu'il faut essayer de se réapproprier. Ce qui bouge, ce sont les choses les plus superficielles mais qui dans le temps présent sont prégnantes ( qui gouverne, qui trône, qui a gagné la coupe du monde de football ). Mais ce qui reste stable et constant, ce sont les petits moments d'intimité chargés de sentiments profonds, ancrés à jamais par la puissance des souvenirs capables d'arrêter le temps, le suspendre et de le retrouver.

Sans doute pas le meilleur Coe mais Royaume désuni est un roman plein de charme qu'on lit comme dans une bulle ouatée, avec beaucoup de plaisir.


Commenter  J’apprécie          1518
God save the chocolate !
Quoi de mieux qu'un roman politique pour s'échauffer avant un réveillon de Noel et préparer les débats de haut niveau qui s'annoncent entre le tonton facho, la belle soeur qui veut sauver le chapon non genré et l'ado à la pensée twitterisée. Autant d'idéologies portées après quelques bulles avec la délicatesse d'un goal argentin.
Jonathan &Coe nous avait déjà fait le coup avec brio dans « le Coeur de l'Angleterre », Brexit désoblige. L'auteur reprend un peu la même construction de son Légo historique. Il découpe son récit à partir de plusieurs évènements, du jour de la Victoire le 8 mai 45, en passant par le couronnement de la reine, avant un crochet par la finale de la coupe du Monde en 66, puis un détour par le mariage arrangé de Charles, pour faire le pont jusqu'aux funérailles de Lady Diana et finir masqué à l'aube de la pandémie.
Spécialiste des petites histoires dans la grande, l'auteur commente ces moments à priori fédérateurs à travers les destins de trois générations d'une famille aussi dysfonctionnelle que le pays, d'où le titre un peu lourdingue mais évocateur du roman. Chacun a ses idées, conservatrices, progressistes, je m'enfoutistes ou opportunistes, et aborde ces moments d'union nationale gonflé de ses convictions. Les liens du sang ne transfusent pas les mêmes idées.
En VO, le roman s'intitule Bournville, du nom d'une bourgade proche de Birmingham, racine de l'arbre généalogique de la family et siège d'une chocolaterie dont la renommée ne tient pas à sa teneur en cacao.
Jonathan Coe excelle toujours dans les dialogues qui sonnent justes, les non-dits assourdissants, les cessez-le-feu fragiles et les sarcasmes entre gens bien élevés.
A travers des personnages très bien construits qui grandissent, s'aiment, meurent mais ne changent pas trop d'avis, il glisse des blessures personnelles comme la perte de sa mère, privée du soutien de ses enfants à cause du Covid dans ses derniers instants ou de souvenirs d'enfance avec l'arrivée de la télévision dans les foyers. Il en profite aussi pour aborder l'ascension de Boris Johnson, l'épouvantail à euros.
Ce récit est une belle tranche d'histoire à hauteur d'homme et à quelques mois près, il n'aurait pas manqué d'ajouter un chapitre pour aborder le retentissement du décès de la Queen « Stabylo ».
Avec son ironie, il n'est pas étonnant que Jonathan Coe soit un des écrivains actuels anglais préféré des français. En tout cas, c'est le mien.
Commenter  J’apprécie          1209
Comment le Royaume Uni, la nation qui a résistée à la Blitzkrieg, a contribuée massivement à l'effort de guerre et à la victoire alliée en 1945, fut le foyer du Rock européen, des Beatles aux Sex Pistols en passant par les Kinks, fut la patrie d'un football et d'un rugby virils, fair-play et flamboyants qui rayonna sur le monde, a donné Sean Connery au cinéma, s'est-elle retrouvée coincée dans les errements d'une basse stratégie qui a conduit sa classe politique a proposer et sa population à voter la sortie de l'Union Européenne ?
Répondre à cette question est l'ambitieux projet du roman de Jonathan Coe. Un roman qui s'inscrit dans la suite logique de ses précédents romans Expo58, La pluie avant qu'elle tombe , Billy Wilder et moi, comme le précise l'auteur dans ses remerciements de fin d'ouvrage.
La démonstration est audacieuse mais séduisante. C'est au travers d'une saga familiale qu'il développe sur trois générations que Coe illustre son propos. Les histoires individuelles des différents personnages, leurs choix conditionnent et/ou sont conditionnés par les événements sociaux et politiques.
La monarchie qui sort renforcée de la deuxième guerre mondiale connait ses heures de gloire et renforce sa popularité tant chez les Tories que
chez les travaillistes avec le couronnement d'Elizabeth II en 1952.
La cérémonie retransmise en direct par la BBC coïncide avec le développement de la TV pour tous et l'un des moments forts du roman est ce chapitre dans lequel une famille reçoit 17 personnes dans son salon pour regarder le direct car elle est la seule du quartier à posséder un téléviseur.
"ça semblait merveilleux, miraculeux, de pouvoir regarder tout ça à la télévision, de se trouver là à Birmingham et d'assister à ces scènes à l'instant même où elles avaient lieu à l'abbaye de Westminster."
De la même façon, l'investiture de Charles, Prince de Galles en 1981 et l'enterrement de Diana en 1997 sont des moments forts d'unité sociale et politique pour le Royaume Uni.
Derrière ces images dont Coe nous montre qu'elles occultent la réalité et donnent une image fantasmée de l'état de la scoiété anglaise et de la place effective du Royaume Uni dans le Monde, le consensus britannique se fissure.
L'intégration difficile dans l'UE en 1973, les positions outrancières de Margaret Thatcher et son "I want my money back" en témoignent. Les Britanniques défendent seuls contre tous la position de leur pays objet d'attaques extérieures.
Telle la guerre du chocolat, suite à la directive européenne de 1973 qui prétendait imposer l'appellation "chocolat" aux seuls produits contenant un pourcentage élevé de cacao au grand dam des anglais et de leur firme Cadbury proposant des barres contenant des graisses végétales et un % important de lait.
Mais l'important n'est pas la qualité du produit mais le fait que "(...) les matières grasses non cacaotées aient été introduites dans le chocolat britannique, à cause du rationnement, pendant la guerre et (...) ce que les Britanniques aimaient dans leur chocolat, c'était qu'il avait le "goût de la guerre"
Sur toutes les thématiques, à partir d'exemples équivalents, Coe montre comment les symboles - la résilience remarquable des britanniques pendant la guerre, l'attachement à la royauté, la position dominante musicalement - l'ont emportés sur la réalité économique pour présenter aux électeurs et légitimer la stratégie de la citadelle libérale assiégée par les technocrates européens.
L'intérêt du roman est de démonter le mécanisme à partir des histoires individuelles des personnages et de montrer que si tous n'ont pas la même vision ceux qui doutent sont une minorité.
Le roman commence en mars 2020, à l'aube des confinements en Europe et après un détour par 1945 revient à 2020 durant la période de confinement effective.
Une génération chasse l'autre y compris en politique. Boris Johnson dont Coe trace un portrait quand il était reporter du Daily Telegraph à Bruxelles (voir ma citation) s'impose aux affaires, déjouant tous les pronistics.
Comme dit Jack un des personnages « C'est pour ça que les gens aiment bien Boris Johnson, au passage. Parce qu'il laisse les gens faire leur vie sans se mêler de leurs affaires. »
La boucle est bouclée. le sentiment national ne consiste plus à partager des valeurs communes mais à justifier la nécessité de laisser les « gens » gérer leurs affaires comme bons leur semble. Malheur aux faibles et aux déshérités en quelque sorte. Un credo libéral qui devient une norme de plus en plus fréquente en Europe.
Un livre qui donne à réfléchir sur le pouvoir et les conditions de son exercice par une classe politique qui en a de moins en moins et se réfugie dans une symbolique niant la réalité des relations sociales.
Commenter  J’apprécie          780
Attention, attention, ce billet ne comporte sans doute pas toute l'objectivité que l'on peut attendre d'un retour. Jonathan Coe est un de mes écrivains britanniques préférés, et je lis ses livres avec un préjugé très favorable et un sens critique sans doute un peu affaibli ;-)

Il se livre ici à son exercice préféré, l'analyse de la société anglaise et de son évolution au cours des années, de l'euphorie et la fierté éprouvées à la sortie de la seconde guerre mondiale à cette sortie de l'Europe, à laquelle beaucoup ne croyait pas. Il nous conte ceci à travers l'histoire d'une famille, aux ramifications nombreuses, dont le personnage principal est Mary. Petite fille à l'heure de la victoire en 1945, elle achèvera sa vie pendant le Covid. Seule, les siens restant à la fenêtre. et cet épisode est d'autant plus émouvant qu'il est l'écho de la mort de la mère de l'auteur à cette même période et dans les mêmes conditions atroces.
L'histoire n'est pas linéaire, et c'est ce qui m'a conduit à supprimer une demie étoile, nous rencontrons cette famille à sept occasions, sept dates importantes dans l'histoire récente de la Grande Bretagne. Nous ne savons pas ce qui se passe entre ces moments, et j'ai parfois regretté ces ellipses.

A chacune de ces occasions, par l'intermédiaire de cette famille et de ceux qu'elle côtoie, Jonathan se livre avec son ironie habituelle à une tendre critique de la société anglaise. Je dis tendre, parce que malgré tous leurs défauts, Jonathan aime ses personnages et nous les rend proches. J'ai retrouvé avec plaisir son ton unique, plein d'humour et de tendresse, mêlé aussi parfois de tristesse.

L'endroit choisi pour cette histoire n'est pas anecdotique. Il s'agit de Bournville, près de Birmingham , siège de la marque Cadbury. Et l'histoire de cette chocolaterie et de ses démêlés avec l'union européenne est l'un des fils rouges du livre, et donnera lieu à quelques pages savoureuses (pas à cause du chocolat lui-même), mais de l'humour avec lequel sont relatés quelques épisodes de cette guerre du chocolat.

Beaucoup de sujets sont abordés dans cette fresque, de l'homosexualité à la xénophobie, de l'amour des anglais pour la royauté à leur dédain envers le reste du monde et leur mépris des Gallois. Tout cela à travers les membres de cette famille qui sont représentatifs des différents courants, modes de pensée existant dans le pays.

Un roman qui m'a séduite encore une fois.
Commenter  J’apprécie          7545
Birmingham, 1945. L'Angleterre tourne la page de la guerre. Mary a dix ans. Elle ne le sait pas encore, mais toute une vie l'attend. Elle aimera, rêvera, travaillera, fondera une famille, évoluera avec les temps qui changent, mais elle restera Mary…

Jonathan Coe prend ce chemin de vie inspiré par sa mère pour fil conducteur pour raconter l'histoire de l'Angleterre. Plus précisément, il sonde l'identité anglaise avec une sorte de perplexité mêlée tour à tour de sarcasme et d'amusement. Cette finale rocambolesque contre l'Allemagne en 1966, les débordements d'émotion à la mort de Lady Di, la « guerre » ubuesque livrée dans les arènes européennes pour défendre le chocolat Cadbury : chaque épisode est savoureusement choisi et merveilleusement raconté.

Pourtant, il m'a manqué la tension d'un Testament à l'anglaise où l'on voit la catastrophe se profiler à l'horizon ou de l'autre série de Jonathan Coe ancrée à Birmingham (Bienvenue au club et les tomes qui suivent), où l'envie de tirer au clair la disparition d'une jeune femme m'avait fait tourner les pages. Ici, on a plutôt une succession de tableaux bien sentis, mais qui ne composent pas une véritable intrigue.

Je me serais presque prise à regretter la méchanceté qui affleurait dans les livres passés de l'auteur. Heureusement, on croise bien ici ou là un politicien néo-travailliste ou conservateur qui fait office de défouloir !

La chronique familiale est certes prenante. On rit, on pleure, on s'attache aux membres de la famille qu'on finit par avoir l'impression de connaître avec leurs qualités et leurs défauts, leurs caractères si différents. Leur détresse, face au brouillage des repères, à la fragmentation de la société, au monde qui se détraque, est poignante.

La chronique nationale m'a, quant à elle, troublée : ces crispations qui ressurgissent éternellement dans des variations pas si différentes, de la deuxième guerre mondiale au Brexit en passant par les sidérantes publicités pour l'Austin metro (« A British car to beat the world ! »), cette ignorance le vécu des Gallois ou des minorités raciales, ou même cette ferveur un peu ridicule pour James Bond ou les Windsor, soulignent la fragilité de ce qui fait tenir un pays ensemble. Comme tous les nationalismes, celui de l'Angleterre repose sur des fictions, des réflexes peu glorieux.

Mais pour moi, ce royaume désuni restera toujours celui d'une ribambelle d'écrivains sensationnels qui nous font rire, trembler ou réfléchir. le pays de Jonathan Coe.
Lien : https://ileauxtresors.blog/2..
Commenter  J’apprécie          657
Jonathan Coe signe un nouvel roman autour de son thème de prédilection, les travers et les dérives de son pays. de la seconde guerre mondiale aux années les plus récentes qui ont vu les amarres qui reliaient l'île au continent européen se rompre avec peu d'espoir de réparer les liens brisés, nous suivons l'évolution d'une famille, du bonheur d'être ensemble aux ruptures successives, avec en filigrane l'évolution d'une société qui adopte presque s'en sans rendre compte de nouveaux modes de pensées, d'autres regards sur le couple, ou des habitudes différentes au quotidien.


Pas de construction alambiquée : si le début se situe au moment de l'irruption du covid, un flash-back nous renvoie à une chronologie classique, avec cette particularité de prendre appui sur des dates clé de l'Histoire, comme la fin de la guerre en 1945, le couronnement de la Reine ou le décès de Lady Di. Quoi de plus adapté qu'un événement médiatique pour que chacun y aille de son commentaire souvent assez peu productif, mais révélateur ! le récit est par ailleurs émaillé de références musicales ou cinématographiques qui ont marqué chaque période.

En fil rouge, l'histoire de la chocolaterie Cadbury, point d'achoppement entre l'Angleterre et la quasi totalité de l'Europe avec des discussions sans fin sur le statut des graisses utilisées pour la fabrication de ces douceurs !


L'humour est là, peut-être un peu plus discret, en lien avec des personnages moins truculents que dans les premiers romans comme Testament à l'anglaise ou Bienvenue au club. Malgré tout, pas de langue de bois, et les opinions de l'auteur sur le plan politique et social s'affirment dans les dialogues toujours aussi fins et pointus.


Un roman de plus à rajouter à ma collection personnelle de Jonathan Coe, qui n'est pas loin d'être exhaustive, il ne me reste donc qu'à attendre le prochain !

496 pages Gallimard 3 novembre 2022
Traduction (Anglais) : Marguerite Capelle

Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          606
Voici ma 300ème chronique sur le site de BABELIO, et je la consacre à un auteur que j'apprécie beaucoup.
Car disons le d'emblée : j'aime bien Jonathan Coe, l'un de ces auteurs britanniques que je suis toujours avec beaucoup d'intérêt.

Un récit en quelques dates majeures qui traite de l'histoire avec un petit h, d'une famille anglaise sur 3 générations, sur fond d'Histoire avec un grand H, avec quelques évènements majeurs du XXème et du début du XXIème siècle, le tout scruté avec tout le flegme et l'humour britannique dont est capable le grand auteur Jonathan Coe.

Soit une famille, la famille Lamb, et ses principaux personnages vivant près de Birmingham : les parents, Doll et Samuel, qui vont avoir une fille Mary, dont on suivra la vie tout au long du récit, qui épousera Geoffrey, un conservateur britannique typique, et qui aura avec lui 3 fils : Jack, thatchérien en diable, Marin, qui épousera Bridget (alors qu'elle a la peau noire, ce que ne pourra jamais supporter son beau-père-) et Peter, le préféré de Mary, musicien, et homosexuel qui n'ose pas se l'avouer.

7 dates qui sont sans doute inscrites dans l'inconscient collectif des Anglais :

08 Mai 1945, ou Jour de la Victoire, avec les discours de Churchill et celui du Roi bien connu maintenant grâce au film « le discours d'un roi » où Georges VI, le roi bègue, est brillamment interprété par Colin Firth.

02 Juin 1966 où le Couronnement de la Reine Elisabeth II, dans lequel le personnage de Mary, alors âgée de 17 ans, retrouve Kenneth qu'elle aurait pu épouser plutôt que ce conservateur de Geoffrey, raciste et incapable de reconnaître l'homosexualité de son fils.

Et cette finale de la Coupe du Monde du 30 Juillet 1966, dans laquelle l'Angleterre écrase l'Allemagne, pour le plus grand bonheur des 3 fils de Mary et Geoffrey, qui miment des épisodes de la 2nde Guerre mondiale avec leurs lointains cousins d'origine allemande qu'il faut humilier.

Ou encore, bien sûr l'investiture du Prince de Galles, le 01er juillet 1969, occasion pour Martin et Peter de découvrir que les Gallois détestent les Anglais, et ensuite une date qui reste dans l'inconscient collectif français également : 29 juillet 1981, ou les funérailles de Lady di suite à son accident sous le Pont de l'Alma.

L'enterrement est aussi pour l'auteur l'occasion de nous faire faire connaissance avec un trublion foutraque, qui arpente les allées du Parlement européen avec sa mèche blonde et que tout le monde appelle Boris. Un certain Boris qui se présente également à une élection galloise acquise aux travaillistes, élection qu'il va perdre une première fois, mais qu'il remportera plus tard. Un portrait ironique qui nous donne à voir la piètre opinion que bon nombre de sujets britanniques ont de celui qui deviendra leur Premier Ministre

Le personnage principal de cette chronologie est Mary, qu'on découvre petite puis adolescente, et ensuite pleine de vie et sportive à la tête d'une famille qui va devenir nombreuse.

Une dernière date, le 08 Mai 2020, nous plonge dans l'atmosphère de démarrage de crise du COVID, avec une scène toute pleine de sensibilité où Peter, le troisième fils, réussit à voir sa mère avant qu'elle ne meure la nuit suivante – Jonathan Coe nous précisant en fin de roman que c'est la seule véritable scène autobiographique que l'auteur a écrite.

Le procédé des 7 dates fonctionne très bien, comme il avait fonctionné dans « La pluie, avant qu'elle tombe » que j'avais chroniqué à l'époque.

Et puis il y a la localisation. Située à Birmingham, au Nord-Ouest de Londres, l'action se déroule à l'ombre de la chocolaterie Cadbury. Ce qui donne à Jonathan Coe l'occasion de nous livrer quelques scènes savoureuses, comme ce combat que mène Martin face à la Commission européenne parce que, suite à un certain nombre d'arguties incompréhensibles, l'Europe refuse d'importer des chocolats de Cadbury qu'elle ne qualifie pas de chocolat, comme ceux des Français ou des Belges.

Délectable récit scandé en sept temps, « le Royaume désuni » nous livre un témoignage brillant de la société britannique des dernières années.
Après l'excellent « Billy Wilder et moi », on rêve donc

D'ores et déjà d'une huitième saison qui nous montrera comment la société britannique vit la décision du Brexit – le rendez-vous est déjà pris pour ma part.
Commenter  J’apprécie          5433
Génial ! Jonathan Coe est vraiment très très fort. Mais il ne se la raconte pas trop et c'est cela qui est très plaisant. Il prend ici appui sur des événements de l'histoire royale britannique (celui auquel vous pensez en premier n'a pu être inclus pour des raisons de timing !) et parvient à raconter l'histoire d'un pays avec un brio impressionnant. Mais bon ce n'est pas un traité d'histoire de l'Angleterre, il a des personnages très forts, exploit d'autant plus remarquable qu'ils ne reviennent pas très souvent dans le roman. C'est bourré de notations très profondes qui témoignent de son soucis des gens. Il y a des scènes bouleversantes sur les relations père-fils, mère-fils. On y croisera des pubs, des Allemands, du chocolat, l'UE, de la musique de chambre, du sexe...C'est d'une richesse inouïe, que l'on dévore et c'est tellement brillant. Mais aussi parfois très drôle. Très très drôle. Vous n'utiliserez plus jamais l'expression "marquer des buts de la même façon".
En somme un livre exceptionnel qui invente un peu sa forme de roman choral politique (dans le prolongement du Coeur de l'Angleterre).
Un livre que j'ai lu très vite pour ne pas que cela imprime trop vite et ainsi avoir le plaisir de le relire au plus vite !
NB : un livre qui par ailleurs donne une place importante au Covid, cela va vous rappeler des souvenirs !
Commenter  J’apprécie          532
Avis à ses admirateurs et à ses détracteurs : "There'll always be an England", et Jonathan Coe en apporte la preuve.
Il raconte ici 75 ans de l'histoire du Royaume Uni, à travers quatre générations de la famille Lamb, établie près de Birmingham (le coeur de l'Angleterre !) et se développant autour de Mary, 11 ans lorsque la deuxième guerre mondiale prend fin. Au rythme des principaux événements qui marquent le pays et divisent ou réunissent la famille (couronnement de la Reine, mariage de Charles et Diana...), Jonathan Coe propose une chronique douce-amère d'une Albion partagée entre conservatisme et progressisme, et qui revendique toujours son insularité.

Il ne s'agit donc pas d'une gentille saga familiale autour d'une tasse d'Earl Grey : comme toujours chez Coe, c'est d'abord une analyse sociétale, où la politique est inhérente au récit. Ici, le socle de l'histoire est la chocolaterie Cadbury, ce qui lui permet d'évoquer la guerre du chocolat à l'échelle européenne (avec ou sans matières grasses ajoutées ?), puis l'éveil du sentiment de défiance vis-à-vis de l'Europe, et enfin le Brexit -et sans que tout cela soit ennuyeux un seul instant.
J'ai aimé aussi la façon dont l'auteur égratigne les Windsor ("Elle a dit que la famille royale n'était qu'un ramassis de parasites qui se gavent sur le cadavre putride d'un système social en faillite."), mais il réserve sa véritable animosité à l'encontre de Boris Johnson, et c'est vraiment jouissif à lire. Affligeant aussi (et finalement douloureux lorsqu'on lit la postface).
Enfin, les personnages ne sont pas particulièrement attachants, mais ils ont un caractère qui leur est propre et qui les rend plus authentiques. On croise aussi quelques personnages des romans précédents, et cela m'a plu, d'autant que c'est fait avec la subtilité qui caractérise Jonathan Coe. Et c'est avec grand plaisir que j'ai également retrouvé son style vif, chaleureux, plein d'humour, et sa narration si bien structurée, qui donnent l'impression au lecteur d'être respecté et considéré comme quelqu'un d'intelligent, tout en l'instruisant avec simplicité ; un vrai gentleman-writer !

J'ai donc passé un très bon moment avec cet auteur, qui dépeint mieux que personne son pays et ses concitoyens, avec la tendresse et le piquant de ceux qui ne peuvent pas s'empêcher d'aimer.
Rule, Britannia !
Commenter  J’apprécie          4934
Je quitte avec regret cette famille anglaise attachante. Faut dire que je la connais depuis 1945, le 8 mai exactement !

Ce roman raconte par à-coups l'histoire d'une famille anglaise, en se focalisant sur certains de ses membres, dont Mary, puis ses trois fils et un de leurs cousins.
Par à-coups ? Effectivement, il est divisé en 7 parties décrivant un jour spécial dans la vie de l'Angleterre, et autour de l'événement décrit, on assiste à la vie quotidienne de cette famille, de leurs penchants, de leurs regrets, de leurs grandes décisions, de leurs amours et leurs désamours.
Nous commençons donc le 8 mai 1945 avec la petite Mary qui a 11 ans, puis un bond dans le temps pour arriver au couronnement de la reine Elisabeth II, le 2 juin 1953 (et inauguration de la première TV ), ensuite nous assistons à la finale de la Coupe du monde le 30 juillet 1966, marquée par la victoire de l'Angleterre sur l'Allemagne (accueil des petits-cousins allemands pour l'occasion), puis l'investiture du prince de Galles, le 1er juillet 1969 (vacances de la famille dans le pays de Galles), puis le mariage de Charles et Diana, le 29 juillet 1981, puis les funérailles de Diana, et enfin le 8 mai 2020, en plein confinement dû au Covid.

Patriotes convaincus contre personnes jugeant que la famille royale ce n'est que des parasites, travaillistes contre conservateurs : on a l'impression que l'Angleterre se résume à cela, et leur désunion, c'est drôle à lire, d'autant plus que nous croisons des personnages connus, comme Boris Johnson à ses débuts, déjà décrit comme un pantin burlesque.
Tout est réel sauf la famille en question, y compris le village de départ près de Birmingham, Bournville, où se situe une chocolaterie qui restera dans les annales de l'Angleterre.
Et puis rien n'est laissé au hasard, un détail paraissant insignifiant reviendra quelques décennies plus tard de façon inattendue mais tout à fait pertinente.

Jonathan Coe, que j'aime beaucoup pour sa verve, son ironie, son autodérision, son côté sociologue mêlé au psychologue, cet auteur m'a encore une fois ravie.
Il m'a même soufflé une idée pour un futur atelier d'écriture : « Autour d'une date dont tout le monde se souvient, racontez une anecdote vous concernant ». Qui s'y colle ?
Commenter  J’apprécie          4714




Lecteurs (1666) Voir plus



Quiz Voir plus

La pluie, avant qu'elle tombe

A quel âge est morte Rosamond?

71
72
73
74

15 questions
62 lecteurs ont répondu
Thème : La pluie, avant qu'elle tombe de Jonathan CoeCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..