Je recherche dans mes livres lus, une critique à rédiger. Parfois, j'ai lu le livre il y a très longtemps et je fouille alors dans ma mémoire, ou bien je n'ai pas écrit la critique aussitôt après la lecture car j'ai besoin de réfléchir encore au livre. Et alors, je retrouve le livre d'Albert Cohen. Et tout d'un coup, j'ai comme une grosse boule dans la gorge. Je ne sais plus par où commencer. Et c'est comme ça qu'ensuite je tire des généralités sur l'espèce humaine, sur la "saloperie" qui nous entoure, dont nous sommes aussi (un peu) responsables et tout et tout. J'ai moi aussi comme tout le monde ma sensibilité et, comme tout le monde (je veux le croire), je me remets en question. J'ai lu plusieurs bouquins de Cioran il n'y a pas si longtemps. Et actuellement je relis « La nausée ». Rien de bien réjouissant pour se réconforter l'âme. Il y a des moments comme ça dans la vie où on a besoin d'entretenir une certaine déprime pour se sentir exister. le souvenir du livre de Cohen ne m'est pas d'un grand réconfort. Mais, il se révèle absolument nécessaire pour réfléchir à notre humanité. Pour ne pas oublier ce que j'appelle la « saloperie » humaine. La part d'ombre de chacun, de tout le monde. Il y a quelques jours, j'avais commencé à lire « Les bienveillantes ». J'ai lu l'introduction. Je n'ai pas pu aller plus loin. Parfois, on se dit qu'il n'y a pas de hasard. le narrateur dit, en gros, qu'on est tous responsables individuellement de la marche d'une société. Même indirectement, le plus petit fonctionnaire au fond d'un petit bureau ou le cheminot responsable d'un aiguillage, a sa part de responsabilité sur les réalisations collectives. Et je relie alors ensemble les deux livres. Le commerçant qui insulte l'enfant de 10 ans, absolument innocent, et lui dit qu'il ne sert pas les Juifs, se doute t-il du mal qu'il fait ? On peut dire qu'il est pris dans un engrenage sociétal… etc. Mais le point de vue de l'écrivain qui nous relate ce moment qui a déterminé toute sa vie, qu'est-ce qu'on en fait, nous, lecteurs ? Qu'est-ce qu'on peut en faire ? Je vous le disais : la « saloperie » !
Ce livre est donc un petit bijou, bien écrit, bien tourné, avec tout le pathos qu'il faut pour aborder (une partie de) la réalité de l'Humain et se remettre en question sur nos actes, nos paroles…
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Quand Albert Cohen publie ce livre en 1972, il a 77 ans, il lui reste neuf ans à vivre. Pour lui, avant un adieu définitif , il devenait urgent d'écrire, de révéler, ce qui, depuis l'âge de dix ans le poursuivait, sans répit, le taraudait : raconter cette blessure restée béante toute sa vie, une sorte de carcinome irréversible dont l'affligea un camelot un 16 août après-midi en 1905 à Marseille quand il se vit traiter de « sale Youpin » . Ce livre c'est son credo par lequel il implore ses frères : ne point haïr leurs prochains parce qu'ils sont d'une race , d'une religion différentes.
J'ai vraiment ressenti le traumatisme subi par ce garçonnet, sa terrible souffrance. Envie de le consoler, d'essuyer ses larmes…
Un récit original, pour dénoncer le racisme, mais, personnellement, cet ouvrage ne m'a pas bouleversée, peut-être trop incantatoire, cela me laisse une sensation de gêne, et de regret, un sentiment d'incomplétude, difficile à expliquer.
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Bouleversante, dans sa réalisation comme dans sa thématique, universelle, du fait de l'innocence de la victime et de la sensibilité du traitement : une œuvre rare et indispensable.
Lire la critique sur le site : BDGest
oui, frères, ne plus haïr, par pitié et fraternité de pitié et humble bonté de pitié, ne plus haïr importe plus que l'amour du prochain, amour auquel j'ai cru en ma jeunesse, et j'en ai la nostalgie, et j'en sait l'attrait et le charme, et il me tente parfois, cet amour, émouvant de beauté , mais comment le prendre au sérieux, comment y croire?
Page blanche, ma consolation, mon amie intime lorsque je rentre du méchant dehors qui me saigne chaque jour sans qu'ils s'en doutent, je veux me raconter dans le silence une histoire hélas vraie de mon enfance.
(incipit)
Ô vous, frères humains, vous qui pour si peu de temps remuez, immobiles bientôt et à jamais compassés et muets en vos raides décès, ayez pitié de vos frères en la mort, et sans plus prétendre les aimer du dérisoire amour du prochain, amour sans sérieux, amour de paroles, amour dont nous avons longuement goûté au cours des siècles et nous savons ce qu'il vaut, bornez-vous, sérieux enfin, à ne plus haïr vos frères en la mort. Ainsi dit un homme du haut de sa mort prochaine.
J’avais trois francs dans ma poche, cadeau de ma mère en ce jour anniversaire, et je décidai d’en consacrer la moitié à l’achat de trois bâtons de détacheur. Ainsi le camelot m’estimerait, me trouverait intéressant, et je pourrais rester longtemps à l’écouter, du droit d’un client sérieux. Et puis Maman serait si contente ! Jamais plus de taches ! Le cœur battant, tout ému de l’important achat qui allait me valoir la considération des badauds et l’amitié du camelot, je mis la main dans la poche de mon costume marin pour en sortir la grande somme, et j’aspirai largement pour avoir le courage de m’avancer et de réclamer les trois bâtons. Mais alors, rencontrant mon sourire tendre de dix ans, sourire d’amour, le camelot s’arrêta de discourir et de frotter, scruta silencieusement mon visage, sourit à son tour, et j’eus peur. Son sourire venait de découvrir deux longues canines, et un paquet de sang massivement afflua sous ma poitrine, à hauteur du sternum, avec le choc d’un coup contre ma gorge. Sous son regard bleu pâle et son index tendu qui me désignait, je transpirai, et de panique j’humectai mes lèvres.
Toi, tu es un youpin, hein ? me dit le blond camelot aux fines moustaches que j’étais allé écouter avec foi et tendresse à la sortie du lycée, tu es un sale youpin, hein ? je vois ça à ta gueule, tu manges pas du cochon, hein ? vu que les cochons se mangent pas entre eux, tu es avare, hein ? je vois ça à ta gueule, tu bouffes les louis d’or, hein ? tu aimes mieux ça que les bonbons, hein ? tu es encore un Français à la manque, hein ? je vois ça à ta gueule, tu es un sale juif, hein ? un sale juif, hein ? ton père est de la finance internationale, hein ? tu viens manger le pain des Français, hein ? messieurs dames, je vous présente un copain à Dreyfus, un petit youtre pur sang, garanti de la confrérie du sécateur, raccourci où il faut, je les reconnais du premier coup, j’ai l’œil américain, moi, eh ben nous on aime pas les juifs par ici, c’est une sale race, c’est tous des espions vendus à l’Allemagne, voyez Dreyfus, c’est tous des traîtres, c’est tous des salauds, sont mauvais comme la gale, des sangsues du pauvre monde, ça roule sur l’or et ça fume des gros cigares pendant que nous on se met la ceinture, pas vrai, messieurs dames ? tu peux filer, on t’a assez vu, tu es pas chez toi ici, c’est pas ton pays ici, tu as rien à faire chez nous, allez, file, débarrasse voir un peu le plancher, va un peu voir à Jérusalem si j’y suis.
Ainsi me dit le camelot dont je m’étais approché avec foi et tendresse en ce jour de mes dix ans, d’avance ravi d’écouter le gentil langage français dont j’étais enthousiaste, crétinement d’avance ravi d’acheter les trois bâtons de détacheur universel pour me faire bien voir du camelot, pour lui plaire, pour en être estimé, pour m’en faire aimer, pour avoir le droit de rester, pour en être, pour participer à la merveilleuse communion, pour aimer et être aimé.
(p. 36-40)
Une vieille bonne si dévouée et depuis quarante ans dans la famille, les bourgeois adorent ça, et leurs yeux illuminés d'idéal s'attendrissent de confort charmé, et parce qu'ils raffolent de pratiquer leur amour du prochain, amour qui n'engage à rien, à rien qu'à sourire, ils sourient beaucoup à cette esclave et prochaine, fort aimée mais peu payée, à chaque ordre donné lui sourient saintement, lui montrent leur squelette de bouche, lui adressent un message dentaire d'amour du prochain, ce qui ne coûte pas cher et les épanouit et dilate de perfection morale.
Pire lecture de ma vie : "Belle du seigneur" - J'ai besoin de vous en parler ! (Tiboudouboudou)
Voici mon avis ou plutôt ma critique sur "Belle du seigneur" d'Albert Cohen qui est pour moi un ouvrage dangereux, je peux officiellement dire que ça a été la pire lecture que j'ai jamais faite !
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