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Critique de patachinha


Jamais un livre ne m' a transpercée autant que celui-ci. Il y a ces livres que l' on a adoré découvrir, que l' on a dévoré avec avidité, que l' on a vénéné, parce que l' histoire est belle, les personnages sont drôles et nous paraissent attachants; ajouté à cela la belle plume de l' auteur... tout se conjugue à merveille et nous ensorcelle.
Le livre de ma mère est d' un calibre différent, indescriptible, indomptable et somptueux, regorgeant d' un doux humanisme sincère et désintéressé.
Dans mon souvenir c' est la première fois que j' ai pleuré, les yeux rivés sur quelques lignes, quelques phrases d' un autre, cet inconnu qui a su me toucher au plus profond de moi.

Albert Cohen y évoque le souvenir douloureux, lancinant, qui l' accompagne jour et nuit dans ses rêves et cauchemars, dans ses songes éveillés : sa douce mère qu' il a perdu trop tôt - hélas toujours trop tôt - car il reste toujours le plus important à dire une fois qu' un être cher est parti. le plus important peut- être, ce dont on accorde parfois peu d' importance l' instant d' avant, ce qui ne se démontre pas facilement par les actions du quotidien, ce qui ne se matérialise pas concrètement, c' est certainement l' amour. L' Amour d' un fils pour une mère. Si pur et pourtant si difficile à évoquer...

Quel attendrissement de lire sa détresse, ce qu' il n' a pu dire à temps à cette mère qu' il aimait tant. L' auteur invoque son enfance auprès de sa mère aimante, toujours présente pour le choyer dans les limites de ses possibilités matérielles, pour le réconforter, le dorloter indéfiniment sans rien attendre en retour que sa présence. Un enfant, reste toujours un petit enfant aux yeux de sa mère, même lorsqu' elle l' observe impuissante à arrêter le cours du temps, et doit se résigner bien malgré elle à voir son fils partir, grandir, faire de nouvelles rencontres, devenir père à son tour...

On sent l' émotion jaillir de sa plume sublime, lorsqu' il narre avec quelques regrets le temps où sa mère d' origines orientales, très humble, très simple tente de lui transmettre ses valeurs qu' elle a elle même apprises de ses ancêtres, un héritage culturel et religieux peut- être ridicule et désuet dans la cour des grands de ce monde, mais si riche à ses yeux.
L' ingénuité, la simplicité, la bonté naturelle de ce personnage la rendent sacrée car elle vivait pour son fils, et par son fils. Rien ne l' importait, ni les médisances, ni son infériorité intellectuelle, ni ses faibles possibilités matérielles. Elle attachait cependant une haute attention à ne pas décevoir son fils, et se sentir digne à ses yeux autant que possible. Ce fils qui tant de fois lui donnait ce plaisir simple et fondamental, secrètement menteur pour le bonheur de sa mère : la reconnaissance d' un bon plat préparé par les soins maternels, d' une belle tenue à vrai dire de qualité douteuse, de sa bonne mine alors qu' elle cheminait inexorablement vers sa fin, de sa belle maison bien entretenue avec des rideaux et des fauteuils pourtant si inesthétiques etc... tellement humaine cette mère, splendide dans sa gaucherie...

Quoi de plus beau et plus noble? L' abnégation d' une mère pour le bien-être de son enfant chéri.

Un fils qui se trouvait au croisement d' autres cultures, d' apprentissages savants et incompréhensibles pour une femme d' un autre monde, d' une autre époque et qui ne désire au fond que le meilleur pour son fils : la meilleure vie matérielle et affective possible.

J' ai trouvé trop de résonnances avec mon histoire, cela m' a choquée quelque part, m' a frappé de plein fouet comme une douloureuse évidence; à la différence que j' ai la chance d' avoir encore ma mère auprès de moi. A la réflexion peut- être que le regard de l' auteur sur la mort m' a fait prendre conscience de beaucoup de choses, quelque part il m' a effrayée, mais mise en garde également, car la mort ne m' a encore jamais touchée véritablement de près pour le moment. Et je mesure aujourd' hui toute ma chance.
Sa puissance invocatrice est immense, c' est un cri d' amour et de désespoir qui alimente sa solitude, son gouffre.
Je le comprends quand il dit douter de l' existence de Dieu, ce Dieu que sa mère adorait tant, et qui ne répond pas à ses implorations. C' est triste, un enfant qui pleure sa mère, et ne sait pas avec cette rigueur scientifique qui caractérise son temps, s' il la reverra jamais.

Toute son oeuvre, laisse comme une traînée de culpabilité, de remord, pour des choses qu' il a si imbécilement dit ou fait subir à sa mère, pas par méchanceté, peut- être parce qu' il ne se rendait pas compte, comme d' autres, que sa mère n' est qu' une simple mortelle. En attendant cet enfant a vieilli, lève pèsement le voile sur son passé, attend sa fin et réalise avec sérénité à quel point la vie est si singulière en même temps qu' identique entre tous :

" Des années se sont écoulées depuis que j' ai écrit ce chant de mort. J' ai continué à vivre, à aimer. J' ai vécu, j' ai aimé, j' ai eu des heures de bonheur tandis qu' elle gisait, abandonnée en son terrible lieu. J' ai commis le péché de vie, moi aussi, comme les autres. J' ai ri et je rirai encore. Dieu merci, les pécheurs vivants deviennent vite des morts offensés."


Un témoignage percutant sur l' amour filial, à lire pour la beauté des mots, pour la sincérité du propos...
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