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Critique de Saint-Luc


Etonnante biographie que celle de Jean-Paul Cointet sur l'un des personnages les plus haïs à la fin de son temps. La phrase qui a scellé le destin funeste (12 balles au bord d'un chemin proche de la prison de Fresnes) de Pierre LAVAL est ancrée dans les mémoires : « Je souhaite la victoire de l'Allemagne… », le second membre de ladite phrase : « parce que sans elle le bolchevisme s'installerait partout en Europe » est régulièrement zappé.
L'histoire de LAVAL, c'est celle d'un bougnat obscur (fils de tavernier) natif d'un village inconnu (Chäteldon, près de Vichy) et exceptionnellement intelligent, que son père, sur l'objurgation du maître d'école, se résout à permettre les études. Raflant tous les prix au lycée, il fait son Droit tout en faisant le pion.
Intelligence, orgueil, enflement du « moi » et mépris de la bêtise supposée des autres, qui le conduisent à se penser, très tôt, supérieur. Avocat, député, ministre, président du conseil enfin, il réussit tout. Las, l'avènement du front populaire lui coupe l'herbe sous le pied.
Clairvoyant, très clairvoyant, il se rend vite compte que la France n'a pas les moyens de résister à l'armée allemande. En 1935, il essaie de conclure un accord avec l'Italie mussolinienne, mais l'opposition de gauche (Mussolini conquiert l'Abyssinie et n'est donc pas fréquentable) et les anglais (traditionnellement hostiles à un accord entre puissances méditerranéennes) l'en empêchent.
Pacifiste dans l'âme depuis la « grande guerre », il pose ensuite, lors de la déroute de l'armée française en juin 40, un diagnostic terrible mais juste : puisque nous n'avons pas les moyens de nous opposer, tâchons d'éviter le sort de la Pologne ; collaborons, proclamons-là fort en paroles, donnons le moins possible. Et surtout, surtout, revenons à ce pouvoir dont ils m'ont injustement démis !
Le drame de LAVAL, c'est qu'un Hitler ne se manoeuvre pas comme un député de base. Pas sensible à la claque sur l'épaule ou au bon mot. A la tienne, Adolf, assieds toi là et causons, c'est pas son truc ! de compromissions en lâchages, LAVAL glissera lentement mais très sûrement vers l'abjection, vers l'haïssable.
Le pire, dans le cas de notre ex-président du conseil français, c'est que son orgueil insensé l'amène à ne pas se rendre compte que, de manipulateur génial qu'il croit être, il est en fait devenu la marionnette des nazis. Il ne réalisera qu'il a été joué que fort tard, trop tard, en 1944.
Etait-ce pour autant le mauvais français qu'on s'est plu à décrire par la suite ? Non, certes non. Il a essayé en agissant toujours de la même manière, essayé de rouler l'adversaire. le général De Gaulle, en refusant de signer son recours en grâce, a eu ce mot définitif : « il a joué, il a perdu ». Eh oui, il a voulu jouer en se croyant apte et il a trouvé plus fort (plus puissant et plus brutal aussi, soyons justes) que lui.
Au final, un jeune méritant et exceptionnellement intelligent, un avocat doué, un député combatif, un arrangeur de ministères hors pair, un président du conseil brillant… Tout cela emporté pour la postérité par l'image du renégat qu'il n'était en fait pas. Bien sûr, quand on songe aux rafles de juifs, on a honte pour lui : lui fallait-il rompre, se réfugier à Alger, ou bien tenter de limiter la casse comme il l'a en partie –en partie seulement- réussi ?
A chacun de répondre en conscience. le choix n'est finalement pas si facile qu'il n'en a l'air. Beaucoup plus confortable la place de l'avocat général MORNET qui requiert et obtient la mort contre LAVAL. La mort, il l'avait souvent requise et obtenue sous le régime de Vichy…
Cette biographie est remarquablement écrite, très documentée. Elle n'a qu'un inconvénient, elle vous plonge assez vite dans la misanthropie la plus absolue.
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