Deux femmes

- Mais quand même, s'il te battait, pour ne pas en dire plus, t'asun bon argument, non ? Voyons, Sue, on est en 1985. Le Moyen Age, c'est fini. Aujourd'hui, il y a des lois qui protègent les femmes.
- Ah ouais ? fit Susan d'un ton sarcastique. Eh ben on peut dire qu'on a bien été soutenues, toutes les deux ! Tu parles d'une protection ! Je voyais les flics tellement souvent qu'ils m'invitaient à leur pot de Noël ! En vrai, il n'ont jamais rien fait. Bien sûr, ils l'emmenaient pour la nuit, histoire de me faire plaisir. Et puis ils le relâchaient le matin, sobre et frais comme un gardon. Barry, il n'avait pas besoin d'avoir un coup dans le nez pour être salaud. Il n'avait besoin de rien, sauf de sa mentalité pourrie. Ce que je veux dire, c'est que si les choses ont vraiment changé, alors, nous, qu'est-ce qu'on fait ici ? La semaine dernière, ils ont acquitté un type qu'avait tué sa femme rien que parce qu'elle le faisait chier. D'après le juge, elle l'avait rendu dingue à force de se plaindre. Alors, quoi de nouveau sous le soleil, tu peux me le dire ? Le gars se faisait harceler, et pof, il est sorti après sa préventive. Nous, on en a crevé, on a vécu dans la merde, et il faut encore qu'on paie pour la vie qu'on a supprimée. Même si c'était une horreur, cette vie-là. Mon Barry, c'était un vrai salopard, mais ça, le juge en avait rien à cirer.

Il était tout le temps persuadé que leur mère cavalait ailleurs. En général, il avait raison.

Quel bâton merdeux, ce Barry, une vraie brute, un salaud et qui battait sa femme. Sa femme, oui, mais pas Roselle. Jamais. Avec elle il était l'homme qu'il aurait dû être si la situation avait été différente.
Pourtant dès qu'il échappait à son influence, il redevenait Supermachoman. Franchement, c'en était comique.

La vie, c'est un don de Dieu. Mais, ce qu'on en fait, ça dépend entièrement de nous. Et on n'a qu'une fois le droit d'y jouer.

Elle était passée par là, elle savait quel dégoût Wendy épouvrait, combien elle souffrait de savoir que celui qui aurait dû la protéger s'était servi d'elle comme aucun homme ne devrait jamais se servir d'une femme, même pas d'une vénale prostituée. Elle comprenait sa colère, cette sensation d'inanité que la petite avait dans le coeur. Puis elle s'efforça de s'habituer à cette idée, d'ingurgiter l'horreur de ce qui venait de se passer. Toute sa vie, Wendy serait hantée, plus jamais elle n'aurait un moment heureux. Tout était gâché, irrémédiablement.

Vos enfants vous sont donnés et il faut les protéger de votre mieux. C'est aussi simple que ça.

Une fois libérée, la vérité pouvait devenir terrifiante. Parfois, elle pouvait même causer plus de dégâts que le mensonge.

Les deux femmes étaient silencieuses depuis un moment.
- Pourquoi tu l'as fait, toi ?
Sue ne répondit rien et se rallongea sur sa couchette en tentant de faire le vide dans sa tête. Elle n'avait jamais révélé à personne ce qui l'avait poussée au meurtre, ni jamais pensé qu'elle le ferait un jour. Il y avait trop de monde dans cette affaire, trop de secrets à protéger...