paru en 1941
Différents textes sont réunis dans ce livre. on y trouve la marque de l'époque avec l'évocation de l'exode du printemps 1940, la vie chez sa fille à Curemonte, le retour à Paris. Il n'y a pas de grands discours sur ce temps obscur mais le constat, le bon sens, l'ombre des préoccupations quotidiennes de chacun transparaissent. Colette reste pareille à elle-même, observant nature, animaux, êtres, la Vie, malgré la tourmente. Elle évoque les souvenirs de la guerre de 1870, les souvenirs de "Sido" sa mère. D'autres textes ravivent les moments de sa jeunesse et dans "La Chaufferette", l'école n'est pas oubliée. Il y a également des textes antérieurs à 1940. Là, nous la suivons à Fès et l'accompagnons en tant que journaliste relatant un procès aujourd'hui oublié : le procès d'Oum-El-Hassen. Délicieusement "aillés", ensoleillés, bleutés, sonores, de splendides écrits sur la Provence terminent ce "Journal à rebours". "Hirondelles", "Le coeur des bêtes", "Le petit chat retrouvé" n'oublient pas nos chers animaux et leur "âme". Une fois de plus, les chapitres très différents de ce livre constituent un exemple parfait "d'anthologie stylistique".
Pourtant, ma vie s'est écoulée à écrire... Née d'une famille sans fortune, je n'avais appris aucun métier. Je savais grimper, siffler, courir, mais personne n'est venu me proposer une carrière d'écureuil, d'oiseau ou de biche. Le jour où la nécessité me mit une plume en main, et qu'en échange des pages que j'avais écrites on me donna un peu d'argent, je compris qu'il me faudrait chaque jour, lentement, docilement écrire, patiemment concilier le son et le nombre, me lever tôt par préférence, me coucher tard, par devoir. Un jeune lecteur, une jeune lectrice n'ont pas besoin d'en savoir davantage sur un écrivain caché, casanier et sage, derrière son roman voluptueux. C'est une langue bien difficile que le français. A peine écrit-on depuis quarante-cinq ans qu'on commence à s'en apercevoir.
390 - [Le Livre de Poche n° 3841, p. 127]
En ces temps difficiles...
Extrait de "Danger" - 1941 -
N'omettons pas le danger qui vient de la solitude, du manque de travail.
Pourquoi se lever tôt? Pourquoi manger quand midi sonne? Pourquoi nous laver au saut du lit, hâter le nettoyage des pièces que nous habitons? Rien ne nous presse. Rien, sinon la survivance d'une dignité obtuse, le besoin d'une règle, fût-elle bénigne.
..."Déjà dix heures!", j'attends ma propre visite, j'apprécie ma propre sévérité; un lambeau de papier est aussi laid dans un amas de ruines que sur une allée de sable rose, et pendant ces longs jours mortifiés où à toute heure chacun descend en soi, je voudrais ne trouver en moi-même qu'une vacance pure.
Il peut paraître étrange qu'écartée, depuis le 15 juin (1940), des demeures que je considère comme miennes - quatre pièces dans le premier arrondissement de Paris, tout autant près de Montfort-l'Amaury - je me soucie parfois moins d'elles que du changement infligé, j'en ai peur, par la guerre et l'occupation à mon village natal. Je ne l'ai salué, il y a seize ans, que d'une visite brève. C'est que je voulais constater la juste adaptation du souvenir aux sites qui l'ont formé. Un des jardins de son château désert garde de vieux rosiers en festons, une chaleur de pain chaud sur la façade qu'ils fleurissent : j'en sais assez, tout est en ordre. Ma maison natale aussi, qui vieillit, ma foi, moins vite que moi. Pour la petite ville elle-même, je passe condamnation sur quelques toits neufs et les cols de cygne électriques. Le reste se superpose fidèlement au claque dont je ne me sépare point.
783 - [Le Livre de Poche n° 3841, p. 7]
Mon enfance, ma libre et solitaire adolescence, toutes deux préservées du souci de m'exprimer, furent occupées uniquement de diriger leurs subtiles antennes vers ce qui se contemple, s'écoute, se palpe et se respire.Déserts limités, et sans périls;empreintes sur la neige, de l'oiseau et du lièvre; étangs couverts de glace, ou voilés de chaude brume d'été; assurément, vous me donnâtes autant de joie que j'en pouvais contenir.
Un écrivain pris de fièvre reste un écrivain. Même, pour quelques heures, il est un écrivain amélioré. Que de scrupule ! Ce n'est pas à cette heure que je voudrais mentir, improviser, m'embellir, gratter, jusqu'à ce qu'elle saigne un peu d'encre, la faculté d'inventer. Je n'oserais pas me contenter d'un mot provisoire et lui dire : " Attends-moi là, je reviens tout à l'heure, et je t'endimancherai. " Avec la fièvre, c'est à toute minute dimanche, et parure. Faudrait-il n'écrire que sous sa dictée, au son de ses tambourins ? Brûlante égide ! Si seulement j'étais assurée qu'elle me fût tutélaire...
389 - [Le Livre de poche n° 3841, p. 59-60]
Le père de Colette est